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Critique de ElizaLectures


Dans les années 1880, à Saragota, en pleine saison des courses, quatre jeunes filles de la haute bourgeoisie américaine tentent de percer dans la société new-yorkaise. Malgré la richesse de leurs pères respectifs, les jeunes Virginia et Annabelle St. George, Elizabeth et Mabel Elmsworth ne sont cependant pas dans les invitations des soirées mondaines. Dans l'esprit de leurs mères, la fréquentation de la jeune Conchita Closson, dont la famille demeure entachée d'un soupçon de scandale, n'est pas de nature à améliorer leurs chances. Et pourtant, la douce et aimable Conchita se fiance bientôt à Lord Richard Marable, cadet dissipé d'une famille anglaise, et les jeunes mariés partent vivre en Angleterre. La nouvelle gouvernante des St. George, Miss Laura Testvalley propose alors de passer une saison à Londres, pour donner une nouvelle chance aux jeunes filles. Les Elsmworth les rejoignent bientôt. Accueillies et guidées par la nouvelle Lady Marable, les quatre Américaines vont bousculer le milieu calme et engoncé de la haute société, et y trouver un succès qu'elles n'auraient même pas espéré à New York, couronné par des mariages fastueux. Mais cette réussite sociale exceptionnelle sera-t-elle vraiment source de bonheur pour nos Boucanières ? La liberté de ton de ces Américaines pourra-t-elle s'accommoder des traditions britanniques ?

Ce roman riche et foisonnant reprend le thème très prisé par Henry James de la rencontre entre la nouvelle Amérique et la vieille Europe. Cette opposition est encore renforcée par le choix de personnages féminins pour les Américains et de personnages presque exclusivement masculins pour les Anglais. Edith Wharton ne s'intéresse d'ailleurs que peu aux hommes dans ce récit, excepté les Thwarte, père et fils, confidents et amis respectifs de Miss Testvalley et d'Annabelle. le roman se divise en quatre parties, chacune distante des autres de quelques années. On suit donc l'évolution de ces cinq jeunes filles pendant une période assez longue, qui permet à l'auteur de nous décrire la suite de ces mariages. Alors que le début du roman met plutôt en avant Virginia St. George, l'image de la jeune femme accomplie, au détriment de ses compagnes qui n'ont ni son esprit ni sa beauté, c'est finalement sur sa soeur Annabelle que l'auteur s'attardera, par le biais de sa gouvernante. Miss Laura Testvalley apporte une touche artistique et presque exotique dans ce roman : appartenant à la famille Testaviglia, elle est la cousine du peintre Dante Gabriele Rossetti, et initie Annabelle à la sensibilité préraphaélite. C'est une femme de caractère, profondément droite sans être puritaine, intelligente et cultivée, qui nourrit toute sa famille avec son emploi de gouvernante. Sans en dire plus sur la toute fin du roman, j'ai été très touchée par son dernier choix, profondément altruiste et qui en fait à mes yeux le personnage le plus intéressant du roman. Son influence sera très bénéfique pour Annabelle, que Mme St. George délaissait au profit de son aînée (le choix d'une gouvernante était pour elle une manifestation de rang social plus qu'une nécessité). Plutôt réservée et considérée comme une enfant au début du roman, Annabelle est celle qui, presque par surprise, accède au plus haut rang social et qui a pourtant le caractère le moins approprié pour supporter la rigidité du protocole. Profondément réceptive à la beauté sauvage de la nature anglaise, elle s'épanouit dans les ruines du château du duc de Tintagel (quel beau choix de nom !). On assiste avec beaucoup d'émotion à l'éveil de ses sentiments et à ses luttes intérieures. Et parce qu'elle est totalement inconsciente de l'enjeu de son rang et des devoirs qui lui incombent, c'est d'elle que viendra l'action la plus répréhensible aux yeux de la société.

La rigidité des règles de la vie sociale constituent cette fois encore le ciment de l'histoire. Qu'il s'agisse de faire son entrée dans le monde, d'être courtisée ou bien encore de son comportement avec son mari, les héroïnes sont sans cesse confrontées à ce qu'elles devraient faire ou à la façon dont elles devraient agir, en vertu de règles ancestrales établies par la bonne société. Leur nationalité leur confère un statut d'étrangères qui les rend très hermétiques à ce code de bonne conduite. Cette excuse permet à Edith Wharton de montrer combien ces règles peuvent s'avérer nocives pour l'épanouissement d'un caractère fragile et irréconciliables avec la violence des sentiments à laquelle nous pouvons tous être confrontés. Chez Edith Wharton, il semblerait bien que la complexité de la vie se reflète dans les destins souvent tragiques de ses héroïnes. Pourtant, le destin des Boucanières est bien moins dramatique que celui de Lily Bart dans Chez les heureux du monde. Toutes ne connaîtront pas la déception d'Annabelle et la fin du roman nous offre quelques beaux exemples d'entente conjugale.

Il faut préciser que ce roman était inachevé et qu'il a été terminé, dans l'édition Livre de poche, par Marion Mainwaring en 1993, après avoir classé et analysé toutes les notes laissées par Edith Wharton en préparation de ce roman. L'histoire est donc celle qu'avait imaginée l'auteur, jusqu'au bout. Il serait injuste de ma part de dire que j'ai ressenti à la lecture ce changement de plume. On se rend bien compte qu'il manque aux cent dernières pages cette élégance distante dans l'expression des pensées et des ressorts de nos héroïnes. Néanmoins, cela n'a en rien gâché ma lecture.

Ce roman a été plus qu'un coup de coeur : il entre sans conteste dans la short-list de mes romans préférés. Bruissement de robes, propos frivoles et éclats de rire en cascade ne parviennent pas à masquer la révolte d'Edith Wharton face à un monde corseté dans lequel elle ne s'est jamais retrouvée. La richesse de ce roman, l'exubérance de ses personnages et la palette des émotions qui s'y déploient, sous la plume claire et élégante de l'auteur, en font un moment de lecture incomparable.

Lien : http://passionlectures.wordp..
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