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Critique de Malaura


Composées dans une ferme de la montagne ardéchoise en 1962 et parues en 1966, les « Lettres de Gourgounel » de l'écossais Kenneth White remportèrent très vite un vif succès.
L'auteur y relatait son installation dans la vallée de la Beaume en Ardèche, au lieu-dit de Gourgounel, dans un mas en ruine en plein coeur des bois de châtaigniers, accessible seulement par un chemin muletier.
Après plusieurs années de vie citadine passées à Glasgow et à Paris, le besoin de se retrouver face à lui-même, de se dégager des contraintes et des influences du quotidien, incitèrent Kenneth White à rejoindre le Sud de la France pour s'établir en milieu rural dans l'un des départements les plus isolés du pays.
Là, influencé par la pensée orientale, par la philosophie de Thoreau et son livre « Walden ou la vie sauvage », par les grands poètes vagabonds que furent Rimbaud ou Whitman, Kenneth White aspirait à mettre en pratique le précepte de Nietzsche de « l'isolement temporaire », c'est-à-dire le recouvrement de ses forces par une profonde concentration sur soi-même.

Gourgounel…Avec son nom qui « gargouillait, qui parlait le langage des sources », avec sa situation idyllique au sein d'une nature foisonnante, Kenneth White avait découvert en Gourgounel le lieu qu'il recherchait, « le lieu où tout ne parlerait que de l'essentiel, c'est-à-dire de la solitude, du silence, du vent, du soleil et de l'orage », « l'endroit où concentrer sa vie et sa pensée ».

La démarche de l'auteur n'est pas de revenir à la terre dans un but de « régression pastorale » où tout autre motif rural ou agricole, mais bel et bien une volonté de communion spirituelle avec la nature ; « c'est soumettre toute la réserve de matières accumulées au cours des dernières années (connaissances, images, sentiments) à la puissance métamorphosante du feu », une « alchimie mentale » qui, par le biais de l'étude, du travail, de la méditation et de la contemplation, ouvre les voies de l'univers cosmique et fait accéder à un équilibre existentiel, à une sagesse similaire à la sapience orientale.

C'est ce message de paix et d'équilibre qui a valu à « Lettres à Gourgounel » son succès et sa notoriété, jumelé de surcroît, à une langue toute simple, qui veut exprimer en toute clarté le bien-être ressenti et l'enrichissement personnel et spirituel acquis au coeur de ces montagnes.
Ici, pas d'effet de style mais une volonté de limpidité afin que le lecteur « goûte un peu de la saveur venue directement de la terre première » et puise dans la souplesse de ces lignes le plaisir fondamental que la nature inspire.

Ce qui fait l'originalité de l'ouvrage, c'est son relief vallonné et ondulant, changeant et capricieux comme une rivière serpentine, passant ça et là de la narration d'un quotidien fait de petits riens (refaire la toiture, dormir à la belle étoile, cueillir des champignons), à la description des autochtones (portraits hauts en couleur des paysans du coin), à la célébration de haïkus et de pensées orientales et au récit d'anciennes légendes, d'histoires locales ou d'anecdotes, puisées dans des lectures ou dans des souvenirs personnels.
Tout cela forme une composition vivante et joyeuse, comme un tableau sans cadre qui se peindrait au-delà des limites de sa surface, au gré de l'itinéraire spirituel de l'auteur. Et puis toujours cet émerveillement constant, jour après jour, face aux richesses du ciel et de la terre, de l'eau et de la nature, face à cette beauté pure qui transcende l'être qui sait regarder autour de lui, qui sait contempler et boire à la source de la vie.
« Une merveilleuse luminescence émanait des arbres, de la pierre, du ciel et de tout le visible. Et le grand vent soufflait… »
Pour Kenneth White, Gourgounel était « un lieu de l'esprit, situé partout et nulle part ».

Parce qu'il est avant tout un passant dans ce monde, un marcheur, un voyageur, l'auteur a poursuivi d'autres itinéraires et parcouru bien d'autres lieux de l'esprit, en France, en Europe, en Extrême-Orient... Ces voyages ont fait naître d'autres ouvrages, « Les cygnes sauvages », « La route bleue », « Atlantica »…
Aujourd'hui, on associe généralement les termes de « nomadisme intellectuel » et de « géopoétique » à cet écrivain, penseur et poète qui n'a cessé depuis lors d'essayer d'entretenir et d'enrichir « le rapport Homme-Terre » dans tous les domaines de la vie.
A l'heure où la Terre va de plus en plus mal, il est à souhaiter que son message n'ait pas fini de résonner en nous…
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