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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Fairy Tales of Oscar Wilde 2: The Young King and the Remarkable Rocket qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il comprend un unique récit publié pour la première fois en 1997, écrit, dessiné, et encré par Philip Craig Russell. La mise en couleurs a été réalisée par le studio Digital Chameleons. Il s'agit de l'adaptation d'un conte écrit en 1891 par Oscar Wilde (1954-1900) et publié dans le recueil Une maison de grenades. Cet album comporte 30 pages de bandes dessinées en couleurs.

Au seizième ou au dix-septième siècle, la cour du Roi d'Espagne consacre sa journée à fêter l'anniversaire des 12 ans de l'Infante. Les tulipes et les roses rivalisent de beauté avec leurs pétales. Les papillons ont saupoudré leurs ailes de poudre d'or. Les lézards pavanent leur blancheur au soleil. Les grenades ont atteint leur maturité, se sont fendues et exposent leur coeur rouge saignant. Pour l'Infante, c'est un jour extraordinaire, parce qu'exceptionnellement elle est autorisée à jouer avec des enfants qui ne sont pas de son rang. Bien sûr, elle est la plus gracieuse parmi les autres enfants, et ses habits sont les plus riches et les plus beaux. Elle porte dans sa coiffure, une rose blanche magnifique. le roi observe sa fille jouer avec les autres enfants, depuis la fenêtre d'une pièce à l'étage, dans le château. Derrière lui se tiennent Pedro d'Aragon (son frère) et le grand inquisiteur de Grenade. Il repense à sa femme la reine, venue de France, à sa mort 6 mois après la naissance de l'Infante. Il avait fait embaumer sa femme et déposer son corps sur un bloc de marbre dans la chapelle où il se rend tous les ans, empli de chagrin.

Le roi se souvient de sa première rencontre avec la future reine, alors qu'il n'avait que 15 ans et qu'elle était un peu plus jeune. Il se rappelle le jour de leur mariage et les 300 hérétiques immolés par le feu à cette occasion. Il se rappelle comment il n'avait pas su voir la dégradation progressive de l'état de santé de sa femme, ainsi que la rumeur odieuse selon laquelle son frère l'aurait aggravé avec un gant empoisonné. Par la suite, il avait fermement refusé toute proposition de remariage. le spectacle de sa fille en contrebas évoquant trop de souvenirs irrépressibles, le roi préfère se retirer de la fenêtre. L'Infante le remarque, mais elle décide de prendre la main de Pedro d'Aragon et de passer dans la grande salle du château pour jouir des spectacles donnés en honneur. Ils débutent par une représentation théâtrale de corrida jouée par des enfants. Il s'en suit un funambule, un spectacle de marionnettes, un jongleur, une pantomime, un montreur d'ours, un spectacle de singes. Vient enfin un jeune bossu qui se met à danser en toute innocence, pour le plus grand plaisir des enfants.

Il s'agit donc du troisième recueil d'adaptation de contes d'Oscar Wilde par P. Craig Russell. le lecteur retrouve les caractéristiques des 2 premiers, à commencer par la grande cohérence narrative puisque l'adaptateur s'est chargé de tout. La mise en couleurs du studio Digital Chameleons s'avère être en phase avec la vision interprétative de l'auteur. Ils utilisent des couleurs claires et gaies sans être vives ou criardes. le lecteur apprécie les bleus, rouges, verts et bruns qui établissent une ambiance claire et enjouée, adaptée aux lecteurs de tous âges, sans tomber dans des impressions édulcorées, ou à l'opposé sinistres. Ils font usage de discrets dégradés pour quelques fonds de case, mais privilégient la mise en oeuvre d'aplats, pour conserver l'impression de simplicité. P. Craig Russell n'a rien changé à sa manière de dessiner, avec un rendu global tout public qui sait rendre compatible une lisibilité immédiate avec un niveau de détails élevés pour une qualité d'immersion impressionnante. Ainsi les traits de visage des personnages sont épurés et simplifiés, que ce soit le visage angélique de l'Infante, le visage innocent du nain bossu, ou les visages aux expressions réservées des adultes. le lecteur peut ainsi facilement voir quelle émotion les habite et éprouver de l'empathie immédiatement.

P. Craig Russell ne privilégie pas l'immédiateté de lecture des dessins, au détriment de leur densité d'informations. Il a choisi de leur donner une apparence gentille, éloignée du photoréalisme. Pour autant, il intègre des détails à chaque scène, en fonction de sa nature. Ainsi quand la future reine arrive pour la première fois en Espagne, le lecteur peut admirer le détail de sa coiffure, à la fois les anglaises, mais aussi la broderie sur le tissu au sommet de sa tête. Lorsque l'histoire détaille la tenue de l'Infante pour son anniversaire, il peut regarder sa coiffure, y voir la rose blanche délicatement posée, et constater que sa coiffure diffère de celle de la reine mère. de même chaque personnage dispose d'une tenue différente. En fonction des cases, l'artiste peut choisir de ne faire ressortir que la forme globale des principales zones de couleurs quand les personnages se trouvent loin. S'il s'agit d'un plan plus rapproché, les traits de contour se font plus précis, en traçant le détail du contour des formes de chaque élément séparément, comme pour la robe de l'Infante. Au fil des différents séquences, le lecteur peut aussi prendre le temps d'admirer plusieurs éléments de décors : les sculptures du trône sur lequel siégeait la reine, les arabesques du carrosse royal, la forme de la fontaine et de son bassin, le harnachement du cheval du cavalier qui a enlevé le nain dans les bois, l'architecture et les décorations des différentes pièces du château, traversées par le nain. Ces endroits et ces accessoires n'ont rien de générique et font ressortir la culture artistique de P. Craig Russell, sans qu'il ne donne l'impression d'en faire étalage.

En cohérence avec le principe de conte, P. Craig Russell réalise également quelques images mignonnes aux traits de contour plus simplifiés, comme cette délicate représentation du théâtre de marionnettes, exquise dans sa pureté. le lecteur retrouve cette même approche dans les animaux et les plantes qui parlent. Il pourrait y voir un effet négatif, une forme d'infantilisme. En fait ces éléments sont charmants, et viennent jouer le rôle de choeur, montrant la réaction d'individus francs, mais aussi prononcer des aphorismes de l'ordre naturel sur les événements, sur le comportement du nain. du coup, leurs observations se teintent d'une forme de cruauté dans la mesure où ils estiment que la nature incarne la beauté. le lecteur se doute bien que ce conte comporte une fibre cruelle. Il découvre la situation privilégiée de l'Infante, littéralement une enfant roi. L'utilisation d'une monarchie par Oscar Wilde installe cette jeune fille comme étant naturellement le centre d'intérêt de tout le monde, et à qui tout est dû, dans un ordre légitimé par la forme de gouvernement. La rencontre entre ce monde et celui très simple du nain bossu ne peut que donner lieu à une incompréhension. La première partie du récit montre que ladite incompréhension est profitable aux 2 parties : l'Infante est enchantée par la simplicité naturelle dépourvue de duplicité du nain, ce dernier est enchanté de susciter des émotions positives par son comportement. La deuxième partie fait le constat de ce qui sépare ces 2 mondes.

Comme dans les contes précédents, Oscar Wilde se montre prévenant, utilisant les conventions narratives des contes, au premier degré, de la princesse à l'individu sans une once de malice. le lecteur peut voir comment il utilise ces conventions pour mettre à nu un ordre social tout entier au profit des riches et puissants. Il les emploie avec habileté pour évoquer l'âge de l'enfance, avec son point de vue très égocentré, sa compréhension très partielle de la réalité, et sa découverte brutale de points de vue totalement étrangers et différents, voire opposés. Wilde a réussi à contourner la présence de l'Église dans ce récit, l'Inquisiteur n'ayant pas de rôle particulier. Il se permet quand même une pique en passant avec la mise à mort des hérétiques comme spectacle de réjouissance. Il a aussi intégré des développements inattendus, notamment celui sur l'histoire personnelle du roi. Il jette un regard plein de compassion sur ce monarque, lui aussi victime des circonstances, incapable de mener à son terme son processus de deuil. C'est inattendu car l'auteur montre une véritable sympathie pour ce personnage, sans son cynisme habituel, sans sarcasme sous-jacent, et ces 2 pages ne sont pas indispensables à l'histoire.

Le lecteur peut aussi détecter un ou deux passages privilégiés par Russell dans son adaptation, en particulier une scène de 4 pages où l'enfant difforme se retrouve face à un miroir. Au départ, elle se présente sous la forme d'une pantomime agréable à lire, bien qu'un peu naïve. En voyant que l'artiste insiste sur ce passage, le lecteur finit par s'interroger sur ce dont il s'agit vraiment. Il apparaît qu'il met en scène le stade du miroir dans le développement de l'enfant, cette prise de conscience de soi. Sous l'apparence d'une séquence muette un peu enfantine, P. Craig Russell se montre aussi cruel qu'Oscar Wilde, au fur et à mesure que la compréhension de l'enfant difforme augmente et qu'il se trouve en mesure d'interpréter les réactions des autres enfants quand il a dansé devant eux.

Avec ce troisième tome, P. Craig Russell poursuit son travail d'adaptation, avec la même approche graphique et la même intelligence d'adaptation. le lecteur découvre donc ce conte d'Oscar Wilde très respectueux des formes, très dur dans le fond. Ils ont choisi d'y consacrer plus de pages, ce qui permet à Wilde de développer d'autres éléments que le coeur de son récit, et à Russell de consacrer plus de cases aux événements qu'il juge cruciaux.
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