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Critique de 5Arabella


L'importance d'être constant est la dernière pièce écrite par Wilde, et la plus célèbre, celle que l'on joue le plus souvent. le théâtre occupe une place importante dans l' oeuvre de l'auteur : 7 pièces achevées et deux fragments. A son époque le théâtre était très populaire et permettait à un auteur de connaître un succès publique et gagner des sommes relativement importantes en cas de réussite. Mais au-delà c'est un genre qui ne pouvait que convenir à Wilde, qui dans toute son oeuvre met l'accent sur le dialogue et la parole, et qui dans ses écrits et dans sa vie pratique une mise en scène permanente de lui-même.

L'importance d'être constant a été écrite à a demande du metteur en scène George Alexander pendant l'été 1894. Wilde la réécrira pour la réduire à 3 actes, comme le souhaitait le commanditaire. La pièce sera créée le 14 février 1895, ce sera un véritable triomphe. Mais pour l'auteur, il s'agira d'une sorte d'apothéose avant la chute. Lord Queensberry tente de perturber les représentations, et le différent entre les deux hommes va aboutir au procès qui condamnera Wilde et l'enverra en prison ; ce procès débute le 26 avril. Dès l'arrestation De Wilde, son nom est retiré de l'affiche et des programmes ; la pièce n'est plus jouée à partir du 8 mai.

La pièce est en apparence très légère. Un jeune homme, Jack Worthing, qui ignore ses véritables origines, s'est inventé un frère qui lui permet de quitter régulièrement son domaine rural et la pupille qu'il a en charge, pour venir se distraire à la capitale, sous prétexte de venir au secours de son frère dissolu. C'est sous le prénom de ce frère fictif, Constant qu'il est connu à Londres, et qu'il courtise une jeune fille Gwendolen. Cette dernière répond à ses sentiments, mais essentiellement à cause de son prénom usurpé, Constant, car elle s'est promis d'épouser uniquement un homme qui le porte. Mais la mère de Gwendolen, lady Bracknell refuse de donner sa fille en mariage à un homme qui ignore qui sont ses véritables parents, et qui a été découvert par son père adoptif dans un sac de voyage abandonné à une consigne de gare.

En parallèle, l'ami de Jack, Algernon, désireux de rencontrer sa pupille, Cecily, se rend à sa résidence campagnarde pendant ce qu'il pense être une absence de Jack en se faisant passer pour le fameux frère Constant. Cecily et Algernon tombent amoureux, leur histoire se complique lorsque Jack revient plus tôt que prévu, et n'a qu'une idée en tête, faire partir Algernon. L'intrigue s'emballe progressivement avec la venue de Gwendolen, décidée à braver les interdits maternels pour son cher Constant, puis par la mère de la jeune fille qui veut mettre fin aux élans amoureux de sa fille dirigés sur un prétendant qu'elle juge indigne. de ce fait, Jack refuse son consentement au mariage de Cecily et Algernon.

Mais lady Bracknell reconnaît en Miss Prism, la gouvernante de Cecily, la femme qui une trentaine d'années plus tôt a disparu avec un nourrisson, le neveu de lady Bracknell. Miss Prism avoue que par une méprise épouvantable, elle a mis le nourrisson dans un sac de voyage laissé à la consigne, au lieu d'un manuscrit. Jack revient avec le fameux sac où il a été trouvé, il s'agit bien du même, et il devient donc respectable, frère d'Algernon, et qui plus il est, il apprend qu'il s'appelle en réalité Constant. Les deux mariages peuvent donc avoir lieu.

La pièce est vraiment très drôle, il s'agit d'un véritable festival de répliques brillantes, bons mots. Mais au-delà de la drôlerie et du plaisir immédiat du lecteur (ou spectateur) elle marque une véritable étape dans l'oeuvre théâtrale De Wilde. D'une certaine façon, il y réalise le programme qu'il annonçait à propos d'Un mari idéal : «libérer le théâtre de tyrannie de l'action au profit du seul langage ». Wilde n'est jamais allé aussi loin dans cette directions que dans L'important d'être Constant. L'intrigue, ou ce qui en tient lieu, détourne, voire pervertit, les modèles de théâtre dans lesquels Wilde a trouvé ses sources, ce qui, d'une certaine façon, marque l'appropriation définitive qu'il en fait pour trouver son propre style et univers.

La commande d'Alexander portait sur une pièce qui serait une version moderne de L'école de la médisance de Sheridan, fleuron de ce qu'on appelle Comedy of manners, qui a toujours été une source d'inspiration pour Wilde, comme l'ont été les pièces française contemporaines. Mais dans L'important d'être Constant, l'utilisation des techniques et ficelles devient surréaliste. Par exemple (et Wilde s'est servi de cela dans plusieurs pièces) un lourd et honteux secret d'un des personnages est un des ressorts principaux de l'intrigue. Ici, c'est Miss Prism qui le porte ; personnage terne et respectable au possible, qui n'a jamais fauté, même en rêve. Son secret consiste dans l'erreur qu'elle a commise en intervertissant bébé et manuscrit, ce qui est invraisemblable, et prête juste à rire.

De même, les jeunes filles qui rêvent forcément d'amour et de mariage, ne le font que pour souhaiter un élu qui porte le prénom de Constant. Peu importe le physique, et toutes les autres qualités, les affinités etc. le seul critère est un prénom. Il y a là une façon de mettre en pièce toute une rhétorique amoureuse idéaliste, et pointer les absurdités des mariages faits dans la bonne société sur la base d'une méconnaissance quasi totale de ce qu'est une vie de couple.

Wilde aborde dans la pièce la question de l'identité, des identités multiples du moi, du masque qui permet d'être plus vrai que le visage nu. « L'homme est le moins lui-même lorsqu'il parle pour lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité », écrivait-il dans « le Critique comme artiste». C'est ainsi que Jack, lorsqu'il prétendait être Constant, pensant tromper son monde, disait la vérité de son identité. Et Algernon, lorsqu'il se prétendait le frère de Jack n'usait pas d'un subterfuge, mais énonçait leurs véritables liens.

Tout cela l'air de rien : l'art de Wilde consiste dans l'élégance suprême de donner la sensation d'être léger, voir superficiel, alors qu'il suggère, à partir de références qui montrent une culture plus qu'impressionnante, une multitude d'idées, de concepts, de pensées.
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