"Quand nous sommes heureux, nous sommes toujours bons ; mais quand nous sommes bons, nous ne sommes pas toujours heureux."
(
O. Wilde, "
Le Portrait de Dorian Gray")
Une fois j'ai lu quelque part que Wilde ressemblait un peu au Lord Henry du "Portrait de Dorian Gray" : non seulement par son goût prononcé pour l'art et la beauté, mais surtout par sa capacité à manipuler les gens... et lors des débats les réduire en pièces, grâce à son intelligence et son esprit brillant.
Tout ceci est aussi visible dans ses beaux contes qui fleurissent littéralement devant les yeux, mais leurs fleurs précieuses ont un parfum de tristesse.
La beauté joue un grand rôle dans chacun d'eux ; l'admirable beauté physique des êtres vivants et de la nature. Puis la beauté discrète cachée dans la bonté, qui est très rarement récompensée à sa juste valeur, contrairement à ce que nous apprennent les contes de fée classiques. Les deux mondes
De Wilde - le merveilleux monde imaginaire et le monde réel - s'y rencontrent de façon inoubliable, et vont peut-être influencer un peu le vôtre... c'était du moins mon cas quand j'étais enfant.
J'aimais toutes sortes de contes, mais ceux
De Wilde et d'Andersen étaient différents : écrits par la plume trempée en partie dans la réalité, ils me faisaient pleurer... vraiment pleurer, ce à quoi, en vérité, je n'étais pas vraiment préparée... probablement à cause de ce contraste saisissant de la beauté pure balancée sans ménagement dans la boue, tout ceci accompagné par la découverte à quel point le monde peut être cruel et injuste.
Stylistiquement, Wilde reste un esthète né - peut-être plus que jamais - mais ce qui différencie ses contes de ses pièces satiriques n'est pas l'intention de se montrer caustique en pointant les défauts humains, mais plutôt de les corriger ; notamment le cynisme, l'égoïsme et la froideur de coeur qu'il veut réchauffer par l'amour, la tendresse et la générosité.
Les contes ont donc une charge éducative, morale, et parfois (comme dans "Le géant égoïste") ouvertement chrétienne, mais pourquoi s'en formaliser ? On peut difficilement reprocher à Wilde d'être né à l'époque victorienne, et ses scénarios ont le charme des tableaux préraphaélites, ou des arabesques florales de Morris. le dandy irlandais s'est converti au catholicisme en 1900, peu de temps avant sa mort, et ces courts récits (presque des paraboles), qui datent de douze ans plus tôt, traitent de façon intemporelle les thèmes classiques du bien et du mal, de l'ingratitude et du sacrifice pour autrui. La poésie pure mâtinée d'une bonne dose d'ironie fine propre à l'auteur.
Et le coeur du lecteur - coeur en or, coeur de pierre, coeur d'artichaut, de guimauve, d'acier et tous les autres - éclatera toujours à la fin, en même temps que le coeur de plomb du malheureux Prince Heureux.
"
Le Prince Heureux" résonne assez fort avec la citation de "Dorian Gray" que j'ai mise en exergue, et nous dit, de facto: "les amis, vous pouvez vous fourrer tout votre bel altruisme quelque part !", même si, paradoxalement, il nous incite à faire exactement le contraire. Sacré Oscar ! La fin est inoubliable, presque aussi affligeante que celle du "Rossignol et la Rose", mais c'est ce deuxième qui me faisait toujours réduire mes mouchoirs en lambeaux.
Le Rossignol va se sacrifier pour l'amour humain, en transformant une rose blanche en rose rouge unique... cette rose rouge me paraissait toujours comme le plus beau et le plus précieux objet qu'on puisse imaginer... et quel sera son destin ? Vanitas vanitatum et omnia vanitas...
"Le géant égoïste" est légèrement plus optimiste, mais une petite larme coulera tout de même, peut-être par soulagement que même les plus "méchants" ont leur chance à la rédemption. Heureuse fin, exceptionnellement, et très symbolique.
"L'ami dévoué" est une terrible chose. Je veux dire : c'est superbement écrit, mais tellement cynique ! J'avais toujours du mal a condamner complètement les héros négatifs, envers lesquels je ressentais une forme de pitié, mais le dévoué meunier ne représente pas ce vague, abstrait et charismatique Mal avec lequel on pourrait presque sympathiser. Non, il est répugnant pour une raison tout à fait précise, et s'il vous rappelle par hasard certaines personnes de votre connaissance, l'histoire peut faire assez mal.
"La fusée remarquable" fait penser à quelques contes d'Andersen qui prêtent vie aux objets inanimés, mais je trouve Andersen plus doué à cet exercice. Une agréable histoire qui nous avertit que péter plus haut que son fondement peut assez facilement nous rendre ridicules.
Tant que j'y suis, je ne peux pas m'empêcher de mentionner aussi "L'enfant de l'étoile", qui ne fait pas partie de ce recueil (vous le trouverez dans "Une maison de Grenades", il me semble), dont je garde un souvenir tout particulier. Un conte si cruellement réaliste que j'ai mis un moment pour m'en remettre. Un bel enfant gâté, son affreux caractère, prise de conscience, fin heureuse. Ou pas ? Et s'il n'y avait pas de fin heureuse ? La dernière phrase m'a glacée. Je n'ai que très rarement lu quelque chose d'aussi... réel... C'est comme si je voyais Wilde vider pensivement un verre d'absinthe, puis retourner vers son manuscrit et ajouter cette phrase sur un coup de tête. 5/5