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Aubrey Beardsley (Illustrateur)Pascal Aquien (Éditeur scientifique)
EAN : 9782080706492
211 pages
Flammarion (27/05/1993)
3.81/5   229 notes
Résumé :
A la fin du XIXe siècle, le mythe de Salomé suscite chez les artistes une fascination à nulle autre pareille : la princesse de Judée, qui incarne la femme " naturelle, c'est-à-dire abominable " selon le mot de Baudelaire, devient une figure majeure de l'imaginaire décadent, inspirant indifféremment peintres, poètes et romanciers.

De cette danseuse fatale, Wilde donna dans Salomé (1893) l'une des interprétations les plus marquantes de l'histoire de la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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On peut s'interroger sur les raisons qui ont fait que la mauvaise élève - classée "fumiste patentée" par l'ensemble de ses professeurs - soit devenue une sexagénaire studieuse et avide de savoir. Je crois bien que c'est une question de caractère, de sale caractère : j'étais contrainte, donc je ne le faisais pas. Maintenant que l'on ne me demande plus rien, je me sens libre d'apprendre ce que je veux, quand je le veux. Et ma curiosité est insatiable.
Il n'empêche que la volonté ne suffit pas à une juste appréciation de la dimension de certaines oeuvres. Il est donc essentiel d'avoir conscience de nos lacunes, et de les combler, du moins en partie, avant de se prononcer sur ce que l'on vient de lire.
Vous ne m'en voudrez donc pas si je partage avec vous le fruit de mes recherches. D'autant que rien ne vous oblige à me lire, nous sommes bien d'accord.

Le personnage à m'avoir fortement interpellée par ses déclarations est le prophète Iokanaan. Je le cite :
"N'approchez pas, fille de Sodome, mais couvrez votre visage avec un voile, et mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l'Homme."
"Arrière, fille de Babylone ! C'est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas écouter. Je n'écoute que les paroles du Seigneur."
"Ah ! L'impudique ! La prostituée ! Ah ! La fille de Babylone avec ses yeux d'or et ses paupières dorées ! Voici ce que dit le Seigneur Dieu. Faites venir contre elle une multitude d'hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide."
Bien que n'étant pas experte sur le sujet, il ne me semblait pas que c'était là le message de Jésus de Nazareth dont Iokanaan se revendique.

Mes recherches m'ont donc révélé que Iokanaan n'est autre que Jean le Baptiste, personnage des religions chrétienne et musulmane connu respectivement sous les noms de saint Jean Baptiste ou saint Jean Prodrome (le « précurseur »). Il fut prédicateur en Judée au temps de Jésus de Nazareth.
L'audience de ce prophète apocalyptique n'a cessé de croître, au point de susciter la réaction d'Hérode Antipas, qui, le voyant rassembler ses partisans, craint qu'il ne suscite une révolution. Flavius Josèphe mentionne l'exécution de Jean Baptiste sur l'ordre d'Antipas, dans le contexte d'un conflit de succession au sujet de la tétrarchie. Dans les évangiles synoptiques, le Baptiste est mis à mort pour avoir critiqué le mariage d'Antipas avec Hérodiade.
La religion mandéenne en fait son prophète principal. Il est considéré par l'islam comme un prophète descendant de Îmran.
Fort de cela, les choses me sont apparues beaucoup plus claires.

Dans son étude, Franck Pierobon avance l'idée que le personnage principal de cette tragédie n'est pas salomé mais Hérode. Et, comme je suis incompétente à développer avec autant de justesse et de précision, je vais me permettre de le citer :
" Il est nécessaire d'explorer les caractéristiques des trois personnages de la pièce : Salomé, Iokanaan et Hérode.
Dans l'imaginaire du XIXe siècle, salomé est tragique au sens où elle s'éloigne de l'humain, elle incarne le désir à l'état pur — le désirable : c'est un corps humain qui se sait désiré et désire l'être. À l'inverse Iokanaan refuse de s'incarner. La pièce joue essentiellement sur cette dichotomie entre Iokanaan, homme juif, voix de Dieu et de la conscience, incarnant la parole, et Salomé, femme hellénistique, incarnée, image du désir, voix de son propre désir. Face à ces deux types, Hérode fait figure de héros car il est humain et souffre, seul, sans Dieu, lié aux autres. Seul personnage dont la parole soit performative car il est roi.
La question de l'incarnation souligne les discordances. Iokanaan ne veut pas s'incarner, Salomé n'est qu'incarnée. Dans le traitement qu'en fait Wilde, l'incarnation réunit la question du corps, de la visibilité, et du regard.
Autre enjeu développé par la pièce, Salomé, fille vierge, beauté qui désire (comme le ferait un homme), veut être reconnue comme femme et comme être singulier, comme individu. Comme l'homosexuel, elle cumule les genres féminin et masculin.
Salomé est à la fois la désirabilité et le désir (actif et passif).
Salomé qui devrait, en tant que femme, en tant qu'incarnation dionysiaque de la beauté, être du côté passif, de ce qui s'offre au regard et au désir, transgresse son état en éprouvant du désir et en décidant selon lui. le regard d'Iokanaan serait une rédemption pour elle mais signifierait l'incarnation pour lui.
Hérode apparaît alors comme le personnage principal : il écoute Iokanaan, regarde Salomé, n'agit pas et cependant les fait tuer. Il détient le pouvoir et l'incarne. À la suite de cette incarnation, il doit survivre à la perte de la voix sainte, et de la beauté divine.
Comme Hérode, Wilde fait face à un paradoxe : l'esthétique catholique l'attire, mais la morale catholique le rejette.
C'est ainsi qu'Oscar Wilde ne peut que se reconnaître mimétiquement dans le Christ et plus exactement dans la figure du réprouvé, honteux et glorieux, bestial et divin, acteur du théâtre mondain et auteur d'une oeuvre qui lui fait miroir, mais il ne peut achever de s'y reconnaître qu'au delà de la mort symbolique, dans sa propre passion, dont son propre procès sera comme le décalque."

Je vous demande humblement pardon d'avoir emprunté le travail d'un autre pour rédiger ce billet mais il faut savoir reconnaître les limites de ses compétences et, n'en ayant aucune en matière de tragédie antique, j'ai préféré m'effacer afin de vous proposer une analyse à la hauteur de l'oeuvre De Wilde.

Voilà, voilà... Je ne sais pas ce que vous en pensez mais si j'avais fait l'effort de rendre un tel devoir alors que j'étais encore écolière, peut-être aurais-je pu envisager la Fac au lieu d'enquiller une brillante carrière de smicarde à 16 ans à peine.

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Oscar Wilde écrivit ce texte en français en 1891, il paraît dans cette version en 1893, avant d'être traduit en anglais par Alfred Douglas, qui maîtrisait toutefois moyennement le français, ce qui obligera Wilde lui-même à retoucher cette traduction, qui parut en 1894 accompagnée par les gravures de Beardsley, qui Wilde n'aimait pas.

Wilde appréciait la langue française : « Pour moi, il n'existe que deux langues : le français et le grec ». Par ailleurs, il escomptait que la pièce pourrait être créée par Sarah Bernhardt qu'il considérait comme la plus grande des actrices. Enfin, le choix du français est aussi lié à l'importance du mythe de salomé dans la littérature et l'art français en général. Ainsi, dans les Salons officiels de la deuxième moitié du XIXe siècle, il eut jusqu'à 5/6 toiles par an avec salomé comme sujet. En 1912, Maurice Krafft prétendit avoir recensé 2789 poèmes

Wilde s'est beaucoup imprégné du traitement de la thématique par certains auteurs français ; la source biblique du texte a ainsi subi des transformations profondes. Wilde a eu connaissance du poème inachevé de Mallarmé, Hérodiade et d' A rebours de Huysmans, avec ses célèbres descriptions des tableaux de Moreau. Mais l'auteur français qui a eu la plus grande influence sur Wilde pour sa salomé, est sans doute Flaubert. Hérodias (qui fait partie des Trois Contes) traite directement le sujet, Wilde va y reprendre un certain nombre d'éléments (chez Flaubert St Jean Baptiste s'appelle Iaokannan par exemple) mais il y a aussi salammbô dont on peut retrouver énormément de détails dans la salomé de Wilde. le banquet d'Hérode ressemble par certains côtés au banquet du début de salammbô, la lune est dans les deux un élément essentiel etc. Il faut citer également Maeterlinck, le grand auteur symboliste belge, dont Wilde semble avoir emprunté à bien des égards l'écriture et l'impressionnisme des images. salomé est donc une oeuvre aux multiples influences, très pensée, sans doute artificielle et construite plus que ressentie. Une oeuvre qui participe d'un jeu sur les possibles, sur les transformations successifs d'un thème, sur les variations que différents auteurs lui font subir, en se répondant l'un à l'autre, l'art devenant une fin en soi.

Nous sommes à un banquet chez le tétrarque Hérode. Des soldats observent de loin, tout en gardant le prophète Iokanaan, qui prophétise et stigmatise Hérodias, la femme d'Hérode. salomé, la fille d'Hérodias d'un premier mariage vient vers la citerne où est enfermé le prophète. Elle veut le voir et lui parler. Les soldats refusent, mais leur jeune capitaine, amoureux, fait sortir Iokanaan. salomé fait des déclarations d'amour à Iokanaan qui se répand en imprécations. le jeune capitaine syrien se suicide. salomé promet, ou plutôt menace, de baiser la bouche de Iokanaan. Hérode, attiré par salomé vient à sa suite avec Hériodas. Il essaie d'amadouer la princesse, et lui demande de danser pour lui, ce que sa mère lui défend. Elle finit par se décider à le faire, à la suite de la promesse d'Hérode de réaliser n'importe lequel de ses souhaits. Elle danse et demande en récompense la tête de Iokanaan. Hérode ne veut pas, fait des propositions diverses à salomé, qui tient bon. le tétrarque finit par tenir sa promesse et salomé pourra enfin baiser la bouche de Iokanaan. Hérode effrayé par son comportement, la fait tuer par ses soldats.

salomé est donc au centre de la pièce, alors qu'elle n'était qu'une silhouette, un outil utilisé par sa mère pour obtenir la mort du prophète dans la Bible. Etrangement, la pièce m'a fait penser au vieux schéma de la chaîne amoureuse de la pastorale, même si ce dernier est perverti : Héridias aime (ou veut posséder, dominer) Hérode qui aime (veut posséder, dominer) salomé (qui aime, veut dominer) Iakanaan qui aime Dieu. Ce qui arrête la chaîne, la rompt, sort Iakanaan du jeu, le met sur un autre plan. Chacun aspire à ce qu'il ne peut véritablement avoir Hérodias le souverain frère de son premier mari, Hérode sa belle fille, salomé un saint. Aucun ne peut satisfaire son désir sans transgresser un interdit, franchir une limite, sauf Iakanaan, qui seul a un désir légitime, en apparence, même si au final destructeur, et qui interdit la satisfaction aux autres maillons de la chaîne.

C'est peut être la limite de cette pièce, d'être une sorte de jeu à tous les niveaux, que ce soit de la trame, du langage, de références innombrables...Il est difficile à mon sens d'être vraiment transporté par ce texte, même si on apprécie tel ou tel élément, ou l'ensemble comme une belle mécanique. Et qu'on peut passer beaucoup de temps à donner des clés de lecture, qui sont presque infinis. Au final, comme pour Maeterlinck (Pelléas et Mélisande), la seule façon vraiment convaincante de donner vie à tout cela, est peut-être de l'accompagner d'une musique géniale. Wilde a eu la chance d'inspirer Richard Strauss, et ses mots continent à vivre et d'enflammer, même si c'est en allemand au final...
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Salomé, Ishtar ou Astarté, déesse voilée, princesse de Judée, fille d'Hérodias et de Babylone. Elle est, comme un serpent qui danse, la décadence.
L'idole, adulée, dorée, adorée, s'entiche du corps et de la bouche de celui qui prédit la mort, l'annonciateur de l'Apocalypse, la fin de Babylone. Or, la déesse se voit rejetée par l'homme de Dieu alors elle accepte de céder à la demande d'Hérode et elle danse pour le roi, sensuellement, afin d'obtenir de lui ce qu'elle désire : un baiser de la bouche du prophète.
Hérode s'y refuse mais il a donné sa parole et la parole d'un roi, comme celle d'un prophète, est sacrée.
Des paroles d'un noir profond, des paroles de mort sont proférées dans la pièce, mais je retiendrai surtout la déclaration d'amour de Salomé à Iokanaan sur le modèle du Cantique des Cantiques :

"SALOMÉ
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lis d'un pré que le faucheur n'a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes, comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée, et descendent dans les vallées. Les roses du jardin de la reine d'Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses du jardin de la reine d'Arabie, ni les pieds de l'aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer... Il n'y a rien au monde d'aussi blanc que ton corps. Laisse-moi toucher ton corps !
[...]
SALOMÉ
Ton corps est hideux. Il est comme le corps d'un lépreux. II est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi, et qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible, il est horrible ton corps ! ... C'est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, à des grappes de raisins noirs qui pendent des vignes d'Edom dans le pays des Edomites. Tes cheveux sont comme les cèdres du Liban, comme les grands cèdres du Liban qui donnent de l'ombre aux lions et aux voleurs qui veulent se cacher pendant la journée. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur, ne sont pas aussi noires. le silence qui demeure dans les forêts n'est pas aussi noir. Il n'y a rien au monde d'aussi noir que tes cheveux ... Laisse-moi toucher tes cheveux.
[...]
SALOMÉ
Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d'épines qu'on a placée sur ton front. On dirait un noeud de serpents noirs qui se tortillent autour de ton cou. Je n'aime pas tes cheveux ... C'est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d'écarlate sur une tour d'ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d'ivoire. Les fleurs de grenade qui fleurissent dans les jardins de Tyr et sont plus rouges que les roses, ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l'arrivée des rois, et font peur à l'ennemi ne sont pas aussi rouges. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples et sont nourries par les prêtres. Elle est plus rouge que les pieds de celui qui revient d'une forêt où il a tué un lion et vu des tigres dorés. Ta bouche est comme une branche de corail que des pêcheurs ont trouvée dans le crépuscule de la mer et qu'ils réservent pour les rois ... ! Elle est comme le vermillon que les Moabites trouvent dans les mines de Moab et que les rois leur prennent. Elle est comme l'arc du roi des Perses qui est peint avec du vermillon et qui a des cornes de corail. Il n'y a rien au monde d'aussi rouge que ta bouche ... laisse-moi baiser ta bouche."

L'orientalisme à la Flaubert - je pense à Hérodias et à Salaambô - l'atmosphère riche de symboles religieux de Gustave Moreau - voir L'apparition et salomé dansant - tout cela est revisité par le décadent Oscar Wild, avec un "je ne sais quoi" de subtil. Mon seul regret est qu'Oscar Wilde ne réécrit pas la danse des sept voiles qu'on s'imagine bien volontiers mais Flaubert, il est vrai, le fait déjà très bien dans Hérodias :

"Ses pieds passaient l'un devant l'autre, au rythme de la flûte et d'une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu'un, qui s'enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu'un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde, et semblait prête à s'envoler.

Les sons funèbres de la gingras remplacèrent les crotales. L'accablement avait suivi l'espoir. Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur qu'on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entre-closes, elle se tordait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile, et ses pieds n'arrêtaient pas. [...] Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes, comme les bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l'étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d'invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta ; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux en écartant les jambes, elle se courba si bien que son menton frôlait le plancher ; et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise. Ensuite elle tourna autour de la table d'Antipas, frénétiquement, comme le rhombe des sorcières ; et d'une voix que des sanglots de volupté entrecoupaient, il lui disait :
— Viens ! viens !
Elle tournait toujours ; les tympanons sonnaient à éclater, la foule hurlait.
Mais le Tétrarque criait plus fort :
— Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de mon royaume !
Elle se jeta sur les mains, les talons en l'air, parcourut ainsi l'estrade comme un grand scarabée ; et s'arrêta, brusquement."
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Salomé, en voilà une drôle de pièce... Elle se repaît des thématiques symbolistes de l'époque, si bien évoquées par Félicien Rops et Alfred Kubin, entre autres. Et par "entre autres", j'entends évidemment Aubrey Beardsley, qui fut apparenté aux Préraphaélites, à l'Art Nouveau, au symbolisme et à l'Aesthetic Movement (donc, là, j'ai perdu les 3/4 de mon lectorat, au vu de la réaction de mon copain à qui je suis en train de lire la critique à haute voix...) Ayant précisément dégotté une publication de salomé parue chez Ombres et agrémentée des dessins réalisés par Bearsdley pour l'édition anglaise originale (la pièce ayant été écrite en français), j'ai pris, je l'avoue, davantage de plaisir aux illustrations qu'au texte.

Car salomé est tout de même une pièce bizarrement fichue. Un seul acte, une seule scène, un seul décor (Racine en aurait pâli d'envie !) Débutant dans un style très emphatique, avec des répliques répétées à l'envi, - Wilde ayant sans doute essayé d'imiter les maîtres du genre comme Maeterlinck -, la tragédie est d'abord centrée sur le personnage de salomé, au moment où elle voit le prophète Iokanaan pour la première fois et qu'elle se prend d'une passion fatale pour lui. Entrent Hérode et Hérodias et alors, très rapidement, c'est bien Hérode qui devient le personnage central d'une pièce qui mêle soudain et bizarrement humour - à la Wilde - et tragédie. On reverra salomé à la fin, qui, sur une promesse bien malavisée d'Hérode, dansera pour lui (quoique ce passage ne soit pas du tout décrit), et recevra, malgré les protestations et les atermoiements du souverain, la tête de Iokanaan en récompense. Et mourra.

Alors oui, on retrouve en effet ici un thème typique du symbolisme, à savoir la femme fatale. Une femme effrayante (pour les artistes symbolistes, j'entends) à cause de ses appétits sexuels - et ce n'est pas par hasard que Iokanaan passe son temps à clamer qu'Hérodias, la mère de salomé, est une catin. Une femme toute puissante, puisqu'elle aura raison de tous les arguments d'Hérode pour obtenir la tête de Iokanaan, et en même temps vouée à la perdition ; pire, se perdant elle-même. Et, d'un autre côté, salomé n'est qu'une jeune fille pas vraiment innocente, mais encore bien naïve. Consciente de la concupiscence masculine, elle en joue parfois (avec le personnage du jeune Syrien) ou s'en effraie (Hérode la dégoûte), et découvre les émois d'une sexualité qui s'éveille, pour le coup, violemment. C'est là qu'on retrouve l'ambivalence si bien rendue par Kubin, qui représentait aussi bien des femmes sensuelles et terribles que des femmes terrorisées par la sexualité masculine. Et qu'on peut aussi penser à Puberté de Munch...

Mais enfin, cette thématique n'est pas suffisante en elle-même. Certes, Wilde développe un personnage qui n'est guère qu'évoqué dans La Bible, mais enfin, ce n'était pas nouveau en 1891, et il a d'ailleurs largement puisé son inspiration chez Gustave Moreau et d'autres(les représentations de salomé de Moreau ayant par ailleurs donné lieu à un célèbre passage de À rebours, de Huysmans, chef-d'oeuvre du symbolisme littéraire). Certes, Wilde use de jolies métaphores sur la Lune, mais tout cela est un peu lourd et sent l'artifice. Heureusement, les tirades finales de salomé, empreintes d'une poésie plus spontanée, sont réussies. Ce qui n'est pas, à mon avis, le cas de la pièce dans son ensemble, qui vaut plus comme témoignage de la prégnance du symbolisme à la fin du XIXème siècle que pour elle-même. On pourrait aussi ajouter que le théâtre n'est pas forcément le point fort De Wilde, mais, à tout prendre, je préfère L'importance d'être constant ou Un mari idéal à salomé.
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En écrivant « salomé » Wilde offrait un bel hommage aux Lettres françaises. En premier lieu, le dramaturge a écrit la pièce directement en français et pensait à Sarah Bernard pour le rôle-titre. Ensuite, à la lecture de la pièce, les influences de son auteur sont assez limpides. Lecteur du « A rebours » de Huysmans, Wilde n'est pas resté insensible à l'évocation des tableaux de Moreau qu'on y trouve. Et surtout, Wilde a été impressionné par les écrits de Flaubert (qui ne le serait pas ?), le divin « Salammbo » et l'excellent « Herodias », un des « Trois contes » qui s'intéresse au même épisode biblique que la pièce De Wilde. C'est un bel hommage, très imparfait, maladroit mais non dénué de beauté et de charme.

« salomé » n'est pas la meilleure pièce de son auteur. J'ai trouvé Wilde plus inspiré dans le registre radicalement différent de « L'éventail de Lady Windermere ». Selon moi, le problème principal vient du fait que la pièce est trop courte. L'auteur n'a pas le temps de poser ses personnages, de planter le contexte et tout va trop vite. On a à peine le temps d'entrevoir les personnages que le dénouement arrive déjà au grand galop. Les rapports entre les personnages restent donc à l'état d'esquisses, cela donne l'impression d'une oeuvre assez inaboutie.
Ceci dit, il s'agit tout de même d'une pièce intéressante et très agréable à lire. Sans être extraordinaire, la langue est plutôt belle, fluide et offre de jolies envolées poétiques. Wilde joue de façon intéressante autour du thème du regard et créé un parallèle entre le personnage de salomé et la figure de Méduse. J'ai trouvé que cela donnait lieu à des passages réussis.

Malgré les réserves dont j'ai fait part dans mon billet, je n'ai pas été déçue par cette pièce. La lecture de « salomé » fut bien agréable.
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Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Tu n'as pas voulu de moi, Iokanaan. Tu m'as rejetée. Tu m'as dit des choses infâmes. Tu m'as traitée comme une courtisane, comme une prostituée, moi, Salomé, fille d'Hérodias, princesse de Judée ! Eh bien, Iokanaan, moi je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête m'appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l'air. Ce que laisseront les chiens, les oiseaux de l'air le mangeront... Ah ! Iokanaan ! Iokanaan, tu as été le seul homme que j'aie aimé. Tous les autres hommes m'inspirent du dégoût. Mais toi, tu étais beau. Ton corps était une colonne d'ivoire sur un socle d'argent. C'était un jardin plein de colombes et de lys d'argent. C'était une tour d'argent ornée de boucliers d'ivoire. Il n'y avait rien au monde d'aussi blanc que ton corps. Il n'y avait rien au monde d'aussi noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier, il n'y avait rien d'aussi rouge que ta bouche. Ta voix était un encensoir qui répandait d'étranges parfums et quand je te regardais, j’entendais une musique étrange ! Ah ! pourquoi ne m'as-tu pas regardée, Iokanaan ?
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Si tu m'avais vue, tu m'aurais aimée. Moi je t'ai vu, Iokanaan, et je t'ai aimé. Je t'aime encore, Iokanaan. Je n'aime que toi... J'ai soif de ta beauté. J'ai faim de ton corps. Et ni le vin ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je, Iokanaan, maintenant ? Ni les fleuves ni les grandes eaux ne pourraient éteindre ma passion. J'étais une princesse, tu m'as dédaignée. J'étais une vierge, tu m'as déflorée. J'étais chaste, tu as rempli mes veines de feu... Ah ! ah ! pourquoi ne m'as-tu pas regardée, Iokanaan ? Si tu m'avais regardée, tu m'aurais aimée. Je sais bien que tu m'aurais aimée, et le mystère de l'amour est plus grand que le mystère de la mort. Il ne faut regarder que l'amour.
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SECOND SOLDAT
Il s'est tué lui-même, Seigneur.
HÉRODE
Pourquoi ? Je l'ai fait capitaine !
SECOND SOLDAT
Nous ne savons pas, Seigneur. Mais il s'est tué lui-même.
HÉRODE
Cela me semble étrange. Je pensais qu'il n'y avait que les philosophes romains qui se tuaient. N'est-ce pas, Tigellin, que les philosophes à Rome se tuent ?
TIGELLIN
Il y en a qui se tuent, Seigneur. Ce sont les Stoïciens. Ce sont des gens très grossiers. Enfin, ce sont des gens très ridicules. Moi, je les trouve très ridicules.
HÉRODE
Moi aussi. C'est ridicule de se tuer.
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SALOMÉ
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lys d'un pré que le faucheur n'a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée et descendent dans les vallées. Les roses du jardin de la reine d'Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses du jardin de la reine d'Arabie, du jardin parfumé de la Reine d'Arabie, ni les pieds de l'aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de le Lune quand elle couche sur le sein de la mer... Il n' y a rien au monde d'aussi blanc que ton corps - Laisse-moi toucher ton corps !
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Hérode : 'ai des bijoux cachés ici que même votre mère n'a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J'ai un collier de perles à quatre rangs. On dirait des lunes enchaînèes de rayons d'argent. On dirait cinquante lunes captives dans un filet d'or. Une reine l'a porté sur l'ivoire de ses seins. Toi, quand tu le porteras, tu seras aussi belle qu'une reine. J'ai des améthystes de deux espèces. Une qui est noire comme le vin. L'autre qui est rouge comme du vin qu'on a coloré avec de l'eau. J'ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, et des topazes roses comme les yeux des pigeons, et des topazes vertes comme les yeux des chats. J'ai des opales qui brulent toujours avec une flamme qui est très froide, des opales qui attristent les esprits et ont peur des ténèbres. J'ai des onyx semblables aux prunelles d'une morte. J'ai des sélénites qui changent quand la lune change et deviennent pâles quand elles voient le soleil. J'ai des saphirs grands comme des œufs et bleus comme des fleurs bleues. La mer erre dedans, et la lune ne vient jamais troubler le bleu de ses flots. J'ai des chrysolithes et des béryls, j'ai des chrysoprases et des rubis, j'ai des sardonyx et des hyacinthes, et des calcédoines et je vous les donnerai tous, mais tous, et j'ajouterai d'autres choses. Le roi des Indes vient justement de m'envoyer quatre éventails faits de plumes de perroquets, et le roi de Numidie une robe faite de plumes d'autruche. J'ai un cristal qu'il n'est pas permis aux femmes de voir et que même les jeunes hommes ne doivent regarder qu'après avoir été flagellés de verges. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n'existent pas, et quand on les porte dans la main on peut rendre les femmes stériles. Ce sont des trésors de grande valeur. Ce sont des trésors sans prix. Et ce n'est pas tout. Dans un coffret d'ébène j'ai deux coupes d'ambre qui ressemblent à des pommes d'or. Si un ennemi verse du poison dans ces coupes elles deviennent comme des pommes d'argent. Dans un coffret incrusté d'ambre j'ai des sandales incrustées de verre. J'ai des manteaux qui viennent du pays des Seres et des bracelets garnis d'escarboucles et de jade qui viennent de la ville d'Euphrate. . . Enfin, que veux-tu, Salomé? Dis-moi ce que tu désires et je te le donnerai. Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire.
Les juifs : Oh! Oh!
Salomé : Donne-moi la tête d' Iokanaan
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Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donnent rendez-vous chaque samedi à 14h00 pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • • Ce que je sais de toi de Eric Chacour aux éditions Philippe Rey https://www.lagriffenoire.com/ce-que-je-sais-de-toi.html • La promesse de l'aube de Romain Gary, Hervé Pierre aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/la-promesse-de-l-aube-premiere-partie.html • le jongleur de Agata Tuszynska aux éditions Stock https://www.lagriffenoire.com/le-jongleur.html • a fille d'elle-même (Romans contemporains) de Gabrielle Boulianne-Tremblay aux éditions JC Lattès https://www.lagriffenoire.com/la-fille-d-elle-meme.html • Les muses orphelines de Michel Marc Bouchard et Noëlle Renaude aux éditions Théatrales 9782842602161 • Oum Kalsoum - L'Arme secrète de Nasser de Martine Lagardette et Farid Boudjellal aux éditions Oxymore https://www.lagriffenoire.com/oum-kalsoum-l-arme-secrete-de-nasser.html • le pied de Fumiko - La complainte de la sirène de Junichirô Tanizaki , Jean-Jacques Tschudin aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/le-pied-de-fumiko-la-complainte-de-la-sirene.html • Amour et amitié de Jane Austen et Pierre Goubert aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/amour-et-amitie-1.html • L'homme qui vivait sous terre de Richard Wright et Claude-Edmonde Magny aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/l-homme-qui-vivait-sous-terre.html • Maximes et autres textes de Oscar Wilde et Dominique Jean aux éditions Folio https://www.lagriffenoire.com/maximes-et-autres-textes.html • • Chinez & découvrez nos livres coups d'coeur dans notre librairie en ligne lagriffenoire.com • Notre chaîne Youtube : Griffenoiretv • Notre Newsletter https://www.lagriffenoire.com/?fond=n... • Vos libraires passionnés, Gérard Collard & Jean-Edgar Casel • • • #editionsphilipperey #editionsfolio #editionsstock #editionsjclattes #editionstheatrales #editionsoxymore
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