A Londres, après des débuts difficiles, les choses s'arrangent assez rapidement. Dans un café fréquenté par les Français, Monet fait la rencontre de Daubigny qui le présente à Paul Durand-Ruel également réfugié outre-Manche en précisant: «Voilà un homme qui sera plus fort que nous tous... Achetez, je m'engage à vous reprendre [les toiles] dont vous ne vous déferez pas et à vous donner de ma peinture en échange». Les achats n'ont pas lieu aussitôt, mais la première exposition annuelle de Durand-Ruel à Londres qui ouvre ses portes le 10 décembre 1870. New Bond Street, accueille une toile de Monet, L'Entrée du port de Trouville.
C'est dans l'atelier de la rue La Condamine que Monet met la dernière main aux toiles qu'il destine au Salon; il s'agit de La Pie et d'une marine à laquelle il travaille en présence de Z. Astruc. Le 22 mars 1869. les noms des membres du jury sont connus: Gleyre et Daubigny sont du nombre. A la fin de la première semaine d'avril. Bazille annonce à son père que si sa Vue de village est acceptée grâce à Cabanel, Monet est entièrement refusé. Le responsable de cet échec et de beaucoup d'autres serait le redoutable Gérorne. élu en tête de liste, qui a traité de «bande de fous» les représentants de la jeune école.
Dès le séjour de Monet à Londres en 1870-1871, c'est-à-dire bien avant la manifestation collective de 1874, Paul Durand-Ruel avait décelé le talent du jeune peintre et acquis deux de ses oeuvres. Le soutien que, tout en courant de grands risques, il lui apporta par la suite ainsi qu'à ses camarades, dans les moments les plus pénibles, permet de penser que sans lui, sans sa confiance, les conditions de vie difficiles des artistes eussent été pires et auraient duré plus longtemps, puisque c'est grâce à l'initiative de Paul Durand-Ruel que furent remportés les premiers succès aux Etats-Unis, entraînant un rayonnement inespéré pour l'époque. Aujourd'hui, en raison de la quantité et de la qualité des documents conservés, nul ne peut aborder l'histoire de l'impressionnisme sans avoir recours à cette source.
Un jour pourtant, il entre dans la boutique sans s'apercevoir que le peintre se tient modestement dans le fond. Le patron s'avance et présente au paysagiste «ce jeune homme qui a tant de talent pour la charge». Psychologue, Boudin commence par louer ses oeuvrettes: «C'est amusant, c'est leste, c'est enlevé. Vous êtes cloué», puis il en vient aux restrictions: «Mais vous n'allez pas. j'espère, en rester là», et aux recommandations: «Étudiez, apprenez à voir et à peindre, dessinez, faites du paysage.» Et comme le sujet lui tient à coeur, il serait même devenu lyrique, du moins si l'on en croit Thiébault-Sisson.
La majeure partie des dessins anciens de Monet parvenus jusqu'à nous se trouvent dans un carnet qui contient non seulement des essais de caricatures encore frustes pour la plupart, mais également des croquis de personnages, de bateaux et surtout de paysages de facture assez classique, dont plusieurs sont datés de 1857. L'apprentissage personnel du portrait-charge s'effectue donc parallèlement à celui du dessin.