Une perfection..
Paru sous le titre The Hot Spot en 1953, ce roman est devenu un classique du genre et on comprend pourquoi… Une histoire ciselée comme une pièce de joaillerie, une mécanique bien huilée , un vrai travail de professionnel .
Charles Williams sait ce que veut dire un début , un milieu , une fin , dignes de ces noms, et entre ces trois passages obligés , toi lecteur , tu savoures, tu flippes, tu angoisses, tu kiffes et tu jubiles …
Et cet écrivain sait planter son décor : une toute petite ville paumée au Texas, où l'on s'ennuie. Il fait chaud , très chaud quand soudain " Arrive un vagabond " , Madox, trente ans, un homme dont on ne sait rien, au nez cassé . Il trouve tout de suite un emploi de vendeur de voiture. Un jour, un incendie se déclare dans la ville , et la banque est pratiquement déserte, vulnérable. Pourquoi s'embêter à travailler plus pour gagner plus, lorsqu'un braquage facile vous tend les bras ? Et c'est le début des emmerdes , des mauvaises décisions prises par Madox… Les deux autres s'appelleront Dolores et Gloria.
Il fait chaud...
A ma droite : Dolores Harshow, la femme du patron. Aussi mûre et veloutée qu'une pêche dans le péché , une garce qui s'ennuie et a jeté son dévolu sur Madox. [ " A moins qu'elle soit assez furax pour me larguer, elle. Je reviendrais sans cesse. Dans le seul secteur d'activité qui 'intéressait, elle était extraordinaire" ]
A ma gauche : un poids plume , fragile , la secrétaire : Gloria Harper, des jambes interminables, de grands yeux innocents, vingt et-un printemps au compteur , rongée par un secret .
La vierge ou la putain, le péché ou la rédemption.
Madox devra choisir entre ces deux femmes fatales , à condition que le shérif lui foute la paix .
Dés lors , a t'il vraiment le choix ?
Il fait chaud, très chaud...
Diabolique , ce Charles Williams : intraitable avec ces personnages...
Implacable la mécanique… Une magistrale leçon d'écriture, une claque ( que dis-je) , un classique , que vous pouvez également voir sur grand écran ( The Hot Spot de Dennis Hooper, avec Don Johnson , Virginia Madsen, et Jennifer Connely.]
(Un immense merci aux éditions Gallmeister et à Babelio pour sa masse critique … )
Challenge Mauvais Genres
Commenter  J’apprécie         7414
Madox est dans la place !
Sans véritable attache, Madox va où le vent le porte.
C'est finalement dans un bled paumé qu'il échoue, trouve un boulot démotivant de vendeur de bagnoles, s'amourache d'une banque et côtoie simultanément deux femmes au caractère diamétralement opposé. Petit coquinou, va.
Trois représente toujours un mauvais chiffre en terme de relationnel humain.
Trois ne rime pas avec emmerdes, et pourtant....
Petit mais costaud.
Ce Hot Spot dépote en dépit de son âge avancé.
Il faut croire que 1953 et récit millésimé font plutôt bon ménage.
En un peu plus de 220 feuillets, les bras levés, Charles Williams restitue parfaitement l'ambiance oppressante d'un triste patelin ricain tout en développant une dramaturgie étourdissante au tempo alerte.
Femme mariée du patron vs jeune fille en fleur. La passion ou la raison.
Casse d'une banque vs casse d'une banque ? L'amour du risque, sans Jonathan et Jennifer ?
Williams ne fait pas dans le questionnement existentiel qui s'éternise mais bien dans l'efficacité brute.
Un environnement minable, comme toile de fond, sur laquelle se détache une galerie de portraits magistralement troussée, l'auteur s'appuie sur l'humain et ses innombrables failles pour torcher un page-turner aux faux airs de classique.
La psychologie contrariée de tous ces acteurs dénote de par la justesse de ton usité, la plume directe et immersive de Williams y contribuant pour beaucoup.
Sorte de Feydeau délocalisé au pays de l'Oncle Sam, ce Hot Spot n'a rien perdu de sa verve et de sa fraîcheur en dépit de ses quelques printemps au compteur, signe d'un récit à la noirceur prégnante et au charisme inaltérable.
Merci à Babelio et aux éditions Gallmeister pour cette somptueuse source de fraîcheur à laquelle je compte bien venir écluser très régulièrement.
Commenter  J’apprécie         536
Fait gaffe , Madox, tu traines un peu trop ta gueule de dur près des blondes .Et si l'une a l'air innocente, l'autre serait du genre bambocharde (du verbe bambocher , action qui consistait dans le monde d'avant, dans un jargon préfectoral, à faire la fête).
Surtout, que c'est la femme de ton boss, Madox. Tu viens d'arriver dans ce bled Texan , on est au début des années 50, tu vends misérablement des voitures , tu devrais faire gaffe...
Il n'y a pas grand chose dans le susdit bled texan. Main street, on a les références qu'on peut , un resto, un cinéma, une banque . Et des blondes. Deux au moins.
Quel roman. Noir, parait il ! Même gris clair , j'en redemande , tellement c'était bien. J'ai même cru voir le narrateur du Big Lebowski, le cow boy, chaque fois que Madox allait au restaurant. Avec sa voix grave , et son physique à désosser un quidam d'un simple revers de main.
Ici , on ne se fait pas chier à décrire des tapisseries ni à regarder la rosée s'éclipser subtilement sous les léchouilles d'un rayon naissant. Mais je m'égare. Comme Madox.
Pourtant, il sait ce qu'il veut. La blonde. du pognon aussi, qu'il ne pourra pas avoir par son boulot.
C'est clair , net et précis. Pas de fioriture , des faits. Des rebondissements, du suspens, de la psychologie . Des destins à accomplir . le plus malin gagnera.
Entre temps, chaque page nous tiendra en haleine , tout pouvant basculer sur un coup de dé, sur une erreur minime .
Respect.
Commenter  J’apprécie         4711
Juste avant d’ouvrir le bureau, il m’a demandé de prendre un chiffon et de briquer les voitures. Je me sentais déjà le moral en berne, alors je lui ai dit d’aller se faire foutre. L’autre vendeur, un homme plus âgé au teint cireux qui répondait au nom de Gulick, a pris des chiffons dans un tiroir de bureau avant de sortir.
Harshaw s’est calé au fond de sa chaise et m’a dévisagé.
– Qu’est-ce qui va pas chez vous, Madox ? Vous en voulez au monde entier ?
– Non, ai-je répondu. Je suis vendeur. Si je veux devenir laveur de voiture, je changerai de boulot.
– Si vous continuez à ce rythme-là, ça risque d’arriver plus vite que vous le croyez. Vous avez quel âge ?
– Trente ans, pourquoi ?
– Eh bien, vous n’avez pas révolutionné le monde, à ce que je sache, ou alors vous ne seriez pas ici.
– Je peux pas vous contredire.
– On ne peut pas vendre les voitures quand elles sont sales, a-t-il grogné. Vous voulez laisser Gulick se charger de les nettoyer tout seul pendant que vous peignez la girafe ?
– Si je sors mon peigne, on s’en mordra les doigts tous les deux, ai-je répliqué.
Je me suis relevé et je suis sorti, écœuré par la dispute et par tout reste. Je me suis appuyé à une voiture, j’ai fumé une cigarette en regardant Gulick travailler, et au bout d’un moment, j’ai jeté le mégot dans la rue d’un geste sauvage et je suis allé prendre un des chiffons.
Je me souviens de m'être trouvé debout près de la voiture quelque part sur une route de campagne sombre, à fumer et écraser mon mégot sous ma semelle de chaussure en pensant : j'ai trente ans et ce n'est qu'une gamine - rien qu'une belle gamine aux grands yeux, une gamine pas très bavarde. C'est tout ce qu'elle est. Et l'embrasser, c'était comme percuter un camion de nitroglycérine.
Et pourquoi pas ? Dans ce monde on prend ce qu’on veut ; on ne reste pas planté là à attendre que quelqu’un vous l’apporte sur un plateau. J’étais assis au bord du lit, tout nu dans la nuit étouffante, à écouter la voix rauque et sans âge de l’autre côté du mur qui racontait comment Machin avait enfanté Bidule, et je pensais à quel point ça pourrait être simple. Il devait y avoir dix ou quinze mille dollars, peut-être même davantage, dans cette banque d’opérette, qu’un homme assez audacieux pourrait ramasser. Et avec tout cet argent, on pouvait se mettre au vert un sacré moment, en compagnie d’une femme aux yeux marrons sur une plage des Caraïbes, à faire voguer un voilier catboat, à pêcher dans les récifs et à boire des Cuba Libre là où l’après-midi dure toujours.
Ne savais-je pas ce qui allait arriver, aussi sûr que le soleil se lève chaque matin, si je restais dans la même ville que cette aguicheuse ? Oh oui, bien sûr, j’allais garder mes distances, c’était certain. Est-ce que je ne le faisais pas à chaque fois ? Quelle était ma moyenne générale quand il s’agissait d’éviter les ennuis avec les traînées de tous genres ? Un zéro pointé, et je ne voyais rien dans la situation actuelle qui présageait d’une amélioration de mon score. Et vu la façon dont elle engloutissait l’alcool, dont elle devenait dingue une fois ivre, c’était aussi prudent de la fréquenter dans une ville comme celle-ci que de fréquenter un crotale. Impossible de savoir ce qu’elle risquait de faire. Le plus sage était de se tailler d’ici, et de la laisser prendre ses risques par un autre gars.
On aurait beau vouloir décrire sa chevelure avec précision, on finirait invariablement par la comparer à un toit de chaume, alors que ça n’y ressemblait pas. C’était peut-être parce qu’ils étaient si raides, sans aucune raie. Ils avaient une couleur de miel ou de paille, striés de mèches blondies par le soleil, et ils cascadaient depuis le sommet de son crâne en un carré court qui donnait un effet de casque de foot américain, et ils dessinaient sur son front une frange en forme de V, ou allez savoir comment ça s’appelle.
8 mai 2023
François Guérif (directeur de la collection "Rivages Noirs") parle de l'écrivain Charles Williams, adapté de nombreuses fois au cinéma.