"Comment sait-on que faire ? Sait-on jamais ?
- On ne sait pas. Moi je ne sais pas. On demande des indices à la vie, je suppose, on n'en reçoit pas et on prend tel ou tel parti. Tout peut arriver. Tout est hasard.
C'est ainsi que les jours d'après la mort de mon père se changèrent en semaines et en mois, avec cette cruauté impitoyable et familière du temps, qui nous emporte toujours vers l'avant alors même que nous demeurons immobiles. Le temps ne passe pas ; c'est la douleur qui croît.
Le ciel, tel un verre qui explose à la chaleur, laissait chaque jour tomber ses cristaux, éclats obliques d'un hiver qui s’éternisait.
Le temps n’est pas une courbe lisse mais une série de cahots, de bonds et de pauses.
La pluie qui menaçait sans cesse ne tombait jamais, elle se retenait en d’énormes continents pales de nuages, lentes formes mouvantes qui se fondaient les unes dans les autres au-dessus de ma tète pendant mes siestes, confluaient au fil de l’après-midi au point que le ciel n'était plus qu'une immensité blanche trouée par des pépites de bleu aussi hautes et inaccessibles que le paradis même.
Ce fut un de ces coups d'accélérateur dans l'histoire d'une vie, où la raison et les projets cèdent à l'action irréfléchie.
Lorsqu’elle reprit, sa voix était coupante, elle avait avalé les bris de verre de ses larmes.
Si Margaret Gore avait parlé à sa fille, elle aurait pu le lui dire. Elle lui aurait dit qu'en amour tout change et ne cesse de changer. Il n'y a pas de point fixe ; la pendule du cœur ne s'arrête pas sur l'instant du bonheur pour toujours ; c'est l'engrenage du désir et du manque qui fait vibrer les aiguilles, tantôt c'est l'ascension et tantôt la chute, la chute et puis l'ascension, et les doutes se changent en certitudes qui au fil du temps retournent au doute.
Pas de lettre de toi. Je ne peux plus attendre, il faut que je t'écrive ce soir. C'est de la folie, je le sais, cet amour qui ne cesse de me hanter le sang. Il coule dans mes artères, je le sens dans tout mon étre, ce besoin de contact avec toi, d'écrire des mots que tu liras. Même lorsque ma main s'arrête sur la page un instant, c'est pour sentir ta respiration faire une pause en cet endroit de la feuille, pour t'y reposer avec moi. Là où nous pouvons partager une paix. Ta mère doit penser que j'ai perdu la raison. J'ai vu comment elle me regarde: on dirait qu'elle s'attend qu'à n'importe quel moment je grimpe sur la table et je me mette à hurler. Elle pense encore à Sean, je crois, et à ce qui est arrivé. Elle cherchd une preuve , un secret bien caché, qui révélerait quelquechose.
Rien dans ma vie ne m'a préparé à ce qui m'arrive. A t'aimer. D'ailleurs c'est à peine ce que j'appelle de l'amour. Il faut que te voie. C'est une nécessité urgente, comme du feu dans ma peau.
Je ne suis jamais sûre de rien, dit simplement Isabel. Parfois oui, et puis le lendemain je suis perdue. Alors je me dis : "Est-on jamais sûr de rien ?"