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Critique de LaSalamandreNumerique


« Interférences » est un livre d'horreur terrifiant. Imaginez plutôt ; vous êtes en vacances et trouvez (exemple typique de sérendipité si vous vous intéressez à l'aspect technique de la chose) une excellente librairie au détour d'une charmante ruelle. Ravi, vous retrouvez de nombreux titres d'auteurs aimés, discutez un peu avec les gestionnaires du lieu, excellents et passionnés… puis découvrez un auteur que vous ne connaissez pas, au milieu d'autres, de grande qualité. La quatrième de couverture évoque un ouvrage de science-fiction réfléchissant au concept de l'excès de communication. le sujet est à la mode mais non dénué d'intérêt. Mieux, l'auteur a obtenu pas moins de 11 prix Hugo, le graal du genre, 8 Nebula (bien aussi) et 13 Locus. Impressionnant ! le livre est annoncé comme « Un des romans de SF les plus drôles de ces dernières années »… Bon, ce dernier point inquiète un peu mais, si c'est exact et s'ajoute à la qualité supposée liée aux prix obtenus par Connie Willis et à une réflexion intéressante, ce ne peut être qu'agréable et un « plus » pour une lecture estivale.
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Et c'est là que cela devient franchement horrible. C'est la loi du genre, ce qui semble charmant se transfigure et révèle aux malheureux participants toute l'atrocité des choses, qui ici n'a rien à envier au plus terrifiant des Lovecraft.
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- de science-fiction il n'y a pas du tout. Il y a juste l'idée de l'existence de la télépathie. Cette dernière toucherait uniquement les irlandais de pure souche car… ce serait un gène récessif handicapant. L'Irlande n'ayant pas été souvent envahie il aurait pu survivre alors qu'il aurait disparu de terres plus conflictuelles. Vous comprenez, la sélection naturelle a des aspects implacables ! Si vous trouvez cela absolument stupide, savez que l'Irlande a été le lieu de conflits sanglants et répétés, déjà entre clans, si vous demandez pourquoi d'autres iles plus éloignées ne seraient alors pas concernées, entre autre, rassurez-vous, moi aussi… mais il y a bien plus glaçant. Un exemple parmi tant d'autres : l'héroïne devient télépathe au début du livre (non, je ne spoile pas) et au départ elle n'y croit pas. Soit. Mais, alors qu'elle entend la voix d'un homme dans sa tête elle cherche… des micros ! La voix répond à chacune de ses pensées et elle cherche… des micros. Cela ne perturbe en rien l'homme qui cherche ensuite à lui montrer qu'il n'y en a pas… et l'auteur semble trouver cela cohérent. Plus de 720 pages de cette « admirable logique » a de quoi semer l'effroi chez les âmes les mieux nées. Pour autant il y a encore plus subtilement angoissant.
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- Ce livre fait partie de l'horrifique littératée « Feel-good-chick-Lit ». L'auteur ne s'en vantait pas, ce qui se comprend voire s'excuse (le revendiquer serait si indécent !), mais, très vite, le doute n'est plus permis. L'ensemble de l'histoire, cousue non de fils blancs mais d'amarres pour des 3 mats, structure tout le livre et l' « intrigue » autour d'une « fabuleuse » histoire d' « amour ». Briddey fréquente Trent car il est beau, riche et lui offre des fleurs, l'invite aussi dans des restaurants chers. Reconnaissez que, face à de telles évidences, comment ne pas être folle de passion ? Elle n'a que mépris pour C.B, homme qui s'isole, est peu communicatif et s'habille mal (là aussi le bon sens ne peut que nous frapper). Mais Trent s'avérera un égoïste manipulateur (il se sert de l'héroïne pour sa carrière, le méchant) alors que C.B sera gentil avec elle. N'est-ce pas amplement suffisant pour changer d'amour ? Pendant 720 pages (j'insiste tant, en comparaison, la traversée du Néguev en tenue d'homme grenouille serait une plaisanterie ) Briddey cherchera d'abord à cacher à Trent qu'elle a des sentiments croissants pour un autre (c'est vraiment très, très mal) puis à cacher à C.B qu'elle a des sentiments pour lui (c'est honteux bien entendu) avant de vouloir masquer son désir (c'est sans doute sale même si « c'est son coeur qui change » comme dirait « le Doc », référence pour les plus anciens). de façon stupéfiante (et si inattendue) cela se terminera dans un fabuleux baiser. Je vous épargne la petite surdouée de 9 ans, la famille hilarante, un médecin qui a du pouvoir (il est médecin), un patron qui a du pouvoir (il est patron), une soeur invasive (c'est une soeur) et l'habituelle panoplie de seconds rôles aussi profonds et subtils qu'une horde de morts vivants découvrant un survivant au coeur des ruines. Et que dire de la « drôlerie » revendiquée ? Rien, c'est préférable.
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Ce qui est le plus troublant pour qui lit un ouvrage de ce type (car il n'est qu'un des bien trop nombreux exemples du lot) et qui a une intelligence et une affectivité normale n'est sans doute pas la profonde bêtise intellectuelle de ce type de livres. Charlie Gordon doit trouver des romans « faciles ». Tout au plus pourrait-on déplorer, dans ce cadre, les trop nombreuses facilités et les incohérences évitables. Comment ne pas voir dans cette médiocrité généralisée et qui n'a rien à voir avec de la simplicité une forme de mépris ? Mais il y a pire.
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Ce que je trouve plus profondément dérangeant encore est de trois ordres. D'abord les « « « sentiments » » » évoqués n'ont aucun sens, aucune profondeur. Cela ressemble à un arbre dessiné par un enfant, sans racines, à un iceberg vu en surface par une personne qui n'aurait aucune idée des 90%, invisibles pour les yeux mais pas pour le coeur » (merci Saint Exupéry). Je pense aussi à la Mildred de Bradbury, devant les écrans géants, à regarder des personnages qu'elle ne comprend pas, qui s'aiment et se disputent sans cause et sans que cette absence de sens ne la trouble. C'est terrifiant, et là je suis sérieux, à cette époque de téléréalité, d'écrans de télévision qui seront bientôt de la taille de ceux de Fahrenheit mais aussi de la multiplication de ces « livres » affligeants. Je me demande, de plus en plus sérieusement, s'il existe une part importante d'infirmes affectifs qui simulent largement les sentiments profonds (amour, haine, passions, peurs…) mais qui, au fond d'eux, sont avant tout profondément vides. Il y a bien des êtres à la sensibilité inhabituellement fine (je ne parle évidemment pas de fragilité mais pense à de grands poètes entre autre), l'inverse est-il improbable ? Car, sinon, qui accorderait la moindre attention à ces gesticulations de marionnettes improbables simulant, mais si mal, la vie ?
Par ailleurs, en cette période de selfies et autres egos hypertrophiés et creux, ce qui marque dans ces « livres » est que toute l'histoire, pour ne pas dire l'ensemble du monde construit par l'auteur n'est qu'un décor pour développer l'histoire, si pauvre soit-elle, de l'héroïne. Ici la télépathie n'est que prétexte pour montrer que Trent est méchant, que C.B mérite d'être aimé… et tous les personnages mais aussi l'entreprise, les collègues, la famille ou les inventions sont comme au service des platitudes prétendument « amoureuses » entre 2 personnes, comme si l'univers était un système héliocentrique autour du nombril, de la stupidité et des préjugés de Briddey. Je crois que c'est faussement anecdotique de donner à des lecteurs manquant le plus souvent de recul l'image que le monde tourne autour de leur petite personne. C'est une fermeture et un renforcement néfaste alors que la littérature devrait au contraire toujours, selon moi, ouvrir au monde, à des idées nouvelles et questionner nos représentations. Comment, ici, ne pas citer Kafka : « La croissance de l'homme ne s'effectue pas du bas vers le haut mais de l'intérieur vers l'extérieur. » ? Ici c'est exactement l'inverse qui est mis en scène. En ce sens je ne vois pas dans ces ouvrages un premier pas vers d'autres lectures plus qualitatives, dans le prolongement du bêlant « lire c'est bien », mais au contraire la négation du sens profond de l'activité mentale associée à cette démarche.
Enfin le succès croissant de ce type d'ouvrages, envahissant jusqu'à de bonnes librairies, a quelque chose qui, si cela n'étonne pas le misanthrope en moi (ou l'idéaliste désabusé, mais les deux ne sont-ils pas des frères jumeaux ?), reste effrayant. Cette profusion de « daubes ultimes » se substitue pour partie aux ouvrages de qualité (l'espace sur les rayonnages n'est pas extensible à l'infini, les maisons d'édition ont besoin de se rémunérer, les libraires d'avoir un chiffre d'affaire minimal et même les sites internet sont limités dans l'étendue de leurs offres par le temps de concentration moyen de celui qui consulte leurs pages) ; le lectorat (de plus en plus et trop) moyen finit par s'habituer à consommer ces produits fades et simplets, ces « page-turners » ineptes et creux.
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Je maintiens mon avis initial, mais le formule cette fois très sérieusement : « Interférences » est un livre d'horreurs et il est terrifiant. Pour ceux qui en sont encore capables secouez-vous ! Ne lisez pas n'importe quoi, vous méritez mieux ! le temps est précieux et compté. Votre temps est précieux et compté. Je ne sais pas si c'est élitiste de dire que le relativisme culturel est une ineptie, je sais en revanche que qui passe son temps à ingurgiter continuellement des hamburgers au lieu d'une cuisine variée et de qualité sera obèse et aura différents soucis de santé mais va aussi détruire son sens de ce qui est bon et vivre des expériences culinaires incroyablement pauvres. C'est triste.
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Le vrai mépris est de considérer que certains êtres ne méritent de lire que cela voire que cela pourrait les aider à (se) grandir. Il existe des milliers de livres beaux voire sublimes, enrichissants intellectuellement comme affectivement, profonds, émouvants, bouleversants parfois. Si certains sont difficiles d'accès d'autres sont simples (Qui est incapable de lire « le petit prince » pour donner un exemple ?). En ce jour notre État vote l'autorisation de la commercialisation de viandes aux antibiotiques et aux hormones. Cette triste capitulation morale autorise aussi, pour des raisons exclusivement bassement mercantiles, les grandes firmes à attaquer en justice tout État qui se voudrait plus écologique ou soucieux de la santé de chacun. Je n'ai qu'une chose à ajouter, et si les mots employés vous choquent réfléchissez à ce qui en réalité devrait vous troubler : tentez d'éviter de manger de la merde mais n'en lisez (et n'en écrivez) pas non plus. Chacun mérite mieux.
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