Passage
Traduction :
Jean-Pierre Pugi
ISBN : 9782290356906
Pavé de plus de neuf cents pages, en format poche, "
Passage" souffre parfois de quelques longueurs. Mais la passion de l'auteur pour son sujet et le plaisir qu'elle prend à écrire, l'humour également dont elle saupoudre largement un thème plutôt difficile, que certains trouveront sinistre - le "
passage" où se propulse l'esprit après que la dernière étincelle de vie ait quitté le corps - et l'optimisme avec lequel elle ne cesse d'envisager la question amènent le lecteur à l'esprit ouvert à se montrer plus qu'indulgent. Soulignons aussi qu'il s'agit ici de S. F. et qu'on ne rencontre ni spectre, ni zombi, ni cadavre en décomposition - vu le thème, on aurait pu.
Connie Willis part d'une idée très simple : dans un hôpital américain, une psychologue, Joanna Lander, travaille sur les expériences de mort imminente - EMI en abrégé. En termes plus clairs et moins effrayants, il s'agit de ces comas auxquels la science n'a toujours pas trouvé d'explication logique, qui voient le patient se transformer en légume pendant des semaines et même des années, et qui se terminent un beau jour par une espèce de résurrection, l'esprit et la parole revenant audit patient sans qu'il soit pour autant capable de raconter ce qu'il a vu, fait et dit pendant sa longue absence. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact : il arrive que le patient ait des souvenirs - comme le fameux "tunnel de lumière" qui, pour les cadors de la Science-Qui-Sait-Tout ne serait qu'une hallucination provoquée par le cerveau. D'autres, qui ont de l'imagination et n'ont pas oublié leur catéchisme, se rappellent avoir vu des anges et les êtres qu'ils avaient aimé mais qui les avaient quittés pour gagner l'Au-delà. Et puis, bien sûr, il y a ceux qui affirment avoir vu Dieu en personne mais à ceux-là, on réplique en général qu'ils ne sont pas les premiers et qu'il y en a d'autres qui l'ont vu avant eux et sans tomber pour ça dans le coma
Associée, faute de mieux, à Maurice Mandrake, lequel est si farouche partisan du "tunnel de lumière" qu'il cherche à influencer en ce sens tous les rescapés d'EMI lui tombant entre les pattes - il faut dire que, de ces expériences, réelles ou inventées, Mandrake tire un certain nombre d'articles et surtout de livres qui se vendent comme des petits pains - Joanna ronge son frein. Jusqu'à ce que le neurologue Richard Whright lui propose de travailler à ses côtés. Lui, son projet, c'est de provoquer des EMI sur un petit nombre de volontaires dûment triés sur le volet et d'aboutir à des résultats indubitablement sérieux et scientifiques. Wright bien sûr n'est pas croyant et, pour lui, après la mort physique, il n'y a plus rien. Joanna, pour sa part, veut bien se laisser convaincre - tout plutôt que les bondieuseries écoeurantes et sirupeuses de Mandrake et ses partisans - mais il lui faut des preuves et, pour les obtenir, elle est prête à payer de sa personne.
Tel est le point de départ de ce qui, sous l'apparence d'un récit S. F., se révèle une réflexion bien plus profonde qu'on pouvait s'y attendre sur la survie de l'esprit après la Mort. Willis ne tombe jamais dans le mélodrame : ce n'est pas dans son caractère. Comme elle se méfie des excès que représente dans son livre le personnage de Maurice Mandrake, elle ne recourt pas non plus au mysticisme, pas même à la spiritualité - ou alors, c'est très subtil . Au début, lorsque Joanna se retrouve elle aussi sur l'un des ponts d'un navire qu'elle imagine être le "Titanic", c'est par une impression de mystère qui, au fur et à mesure des expériences subies, se transforme en une angoisse assez glauque que le lecteur partage très vite, que la romancière accroche son public. Peu à peu, il devient pour Joanna quasi vital de trouver la solution de l'énigme posée par les EMI et, contrairement aux démarches respectives de Mandrake (dominée par l'intérêt financier et le désir de célébrité) et de Wright (il veut tout simplement prouver que la science a raison), celle de Joanna, sans doute parce qu'elle est femme, cherche à unir raison logique et survie de l'esprit.
Le livre fourmille de personnages dont certains, comme Maisie, la petite fille atteinte d'une maladie cardiaque qui risque de l'emporter d'une minute à l'autre et Ed Wojakowski, un ancien de la Navy septuagénaire dont on ne saura jamais vraiment s'il affabule ou pas, sont particulièrement attachants. Quant à la fin du roman, elle a de quoi surprendre et vous confortera certainement dans l'idée que le "
passage" n'est peut-être pas aussi simple et universel que tous les Mandrake et tous les Wright du monde cherchent à nous le faire croire.
Connie Willis : un auteur original, à découvrir. ;o)