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CONTE DE LA FOLIE (TROP) ORDINAIRE.

Billy... Nommons-le ainsi, puisque c'est aussi de cette manière que le désigne le narrateur de la Cavale de Billy Micklehurst, derrière lequel se cachent les traits du jeune Tim Willocks, pas encore tout à fait majeur. Billy est l'un de ces nombreux - innombrables ? - traîne-misères, errants, vagabonds, SDF disons-nous aujourd'hui, comme si un sigle pouvait à lui seul jeter un voile pudique ce que ce que vivent nombres de pauvres gens : la misère, la faim, la maladie, l'alcool... Parfois, jusqu'à la folie.

Billy est de ce nombre. Mieux - et pire sans doute - il en est presque le parangon. Sans âge réellement déterminable, comme c'est si souvent le cas chez ces habitués des squatts à l'abandon, des ponts aux arches putrides, des quais venteux, des terrains vagues pas encore rendus inexploitable par des monceaux de roches volontairement déversés par des autorités en vaine de salubrité publique et d'électorat à rassurer - quand ce ne sont pas des douches froides qui les attendent - Billy pourrait ainsi avoir quarante années tout aussi bien que soixante. Son visage porte les stigmates de son existence vagabonde et si ses défroques portent à notre jugement l'état de déréliction dans lequel il subsiste, il n'en éprouve pas moins le désir de paraître comme en atteste cette écharpe rouge qui, affirme-t-il, aurait appartenu à la star internationale David Niven ! C'est qu'il tient aussi un peu du Clochard céleste, cet homme capable d'hypnotiser de son verbe affolé un petit auditoire de ses semblables.

Notre futur auteur - mais aussi, avant cette carrière dans l'écriture, futur médecin puis psychiatre - était alors fasciné par le sentiment intense de liberté que lui faisait ressentir son ami Billy. Ce n'est que plus tard qu'il compris que cette liberté, en partie vraie au demeurant, cette cavale permanente, étaient fort probablement doublée d'une très intense souffrance à être, entachée des symptômes liés à un trop important alcoolisme. Aussi Billy allait-t-il enfouir ce profond mal être dans ses rêves fou de protection des âmes mortes qui, puisqu'il dormait dans un des grands cimetières de Manchester, lui demandaient de les sortir de là : l'un des drames de Billy était qu'il n'en connaissait ni ne pouvait en trouver le moyen.

Des années après, à la fois pour rendre hommage à ce compagnon de formation parfaitement inconscient de l'avoir été et qu'il s'était engagé à donner un texte à un journal d'aide pour sans abris, Tim Willock revient sur cette rencontre saisissante et d'importance qui resta marquée au fer rouge au point de reconnaître ceci en conclusion du bref mais lumineux entretien que l'auteur donne aux éditions Allia comme conclusion à cette nouvelle fulgurante : «Billy n'avait pas d'importance aux yeux des gens, pourtant il a exercé sur moi une influence énorme qui perdure davantage que celle qu'ont eue la plupart des gens croisés au cours de mon existence.» Et d'achever, philosophe : «C'est le charme de la vie - jamais vous ne savez ce qui va vous changer de si merveilleuse et si intrigante façon.»

Un texte très bref auquel fait donc suite un entretien des plus éclairant sur la psychologie humaine, sur le sentiment - vrai, incorruptible ou altéré - de liberté, sur la folie, mot qu'il préfère au médical "psychotique" qu'il trouve dénué d'humanité ainsi qu'au cruel "aliénation", sur la souffrance profonde, ontologique chez certains, d'être au monde et de ne savoir comment s'y résoudre. Billy trouvera une solution définitive à ses angoisses : il sera découvert pendu à une croix dans le fameux cimetière dont il devait délivrer les âmes enchaînées...

«Je ne savais pas que l'esprit de Billy était l'équivalent neurologique du paysage dévasté qu'il habitait. Les rues de sa mémoire et ses hallucinations étaient, de façon erratique, éviscérées et en ruines, bombardées et calcinées, plongées dans l'obscurité, emplies de gravats et infestées de rats affamés.»

Combien de ces esprits dévastés et maudits dans les sous-sols de nos sociétés tellement proprement policées en surface...?
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Billy était un « transparent ». Il appartenait à la classe la plus misérable qui soit. « Quand on le regardait, Billy pouvait avoir dix ans au-dessous ou au-dessus de la cinquantaine. Des décennies sur les routes et d'innombrables litres […] de spiritueux méthylés avaient forgé son squelette, sa peau et ses organes internes en une épave indestructible. Son visage était remarquable pour ses yeux et ses dents. Les yeux parvenaient à être à la fois profondément enfoncés et férocement protubérants ; et pendant que sa mâchoire inférieure se glorifiait d'une rangée complète de chicots jaunissants, ses gencives supérieures affreusement ravagées n'en abritaient que deux – une canine et une incisive – qui oscillaient, précaires, et dépassaient quand il refermait la bouche. » Billy le SDF vivait à Manchester, « une cité sombre. Une ville fantôme. Une ville de parias fièrement dressée, majestueusement brisée. » Billy passait ses nuits dans les cimetières, couché sur les conduits du crématorium, à la recherche d'un peu de chaleur humaine. C'est là qu'il voyait les morts et leur parlait, désespéré à l'idée de ne pouvoir leur venir en aide. Ayant depuis longtemps basculé dans la folie, parvenu au dernier degré de la misère physique et morale, Billy a été retrouvé pendu à une croix du cimetière Sud, un matin d'hiver.

Dans cette courte nouvelle rédigée à l'origine pour un magazine vendu dans la rue par des sans-abris, Tim Willocks ressuscite un souvenir de jeunesse. Alors qu'il avait 17 ans, il est devenu l'ami d'un SDF ressemblant beaucoup à Billy. Au coeur du texte, il y a la souffrance. Dans un entretien avec l'auteur en fin d'ouvrage, ce dernier affirme : « La souffrance est presque la condition sine qua non de la vie de tout être humain. Riches, pauvres, bons, mauvais, laids, nous l'éprouvons tous. » Plutôt que de la pitié, le narrateur ressent pour Billy beaucoup de respect : « Il était dur sans pour autant être méchant. Il était passé maître dans l'art de la survie. Il s'affirmait libre là où nombre d'entre nous en sont incapables. »

Un beau portrait, où, finalement, la folie n'est jamais très éloignée d'une certaine forme de lucidité. Touchant et juste.

A noter que ce tout petit livre (9 x 14 cm) propose à la fois le texte en anglais et la traduction française.

Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Une courte nouvelle, suivie d'un entretien avec le maître.
Tous deux passionnants, mettant en évidence à la fois l'humanité du bonhomme, et sa capacité magique à rendre palpable les souffrances du jeune Werth... euh Billy.
Où l'on a également l'occasion d'une visite guidée bien glauque de Manchester.
Au vu de la courtitude du texte, à réserver aux fans de Willocks je pense ; on peut rester sur sa faim. Pour les autres, ce n'est pas le choix qui manque dans sa bibliographie. Si on me demande... Ah vous me demandez ? OK, alors, puisque vous insistez : "Green River" ou "Bad City Blues" en tête de liste, so far.
Où que tu sois, attends-moi Billy, j'arrive !
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L'originalité, vient surement du fait que cette nouvelle est un peu autobiographique puisqu'elle s'inspire d'une rencontre que l'auteur a eu avec un homme qui deviendra le personnage de Billy, et que cette rencontre continue de la marquer des années plus tard...

Nouvelle courte et plutôt agréable à lire. Par contre, on en garde que très peu de souvenir quelques semaines après.
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C'est sur le banc d'un jardin public où il comptait déjeuner qu'un étudiant fait la rencontre d'un étrange clochard. La tête tout embrumée par les vapeurs de l'alcool, Billy Micklehurst l'emmène à la rencontre d'une Manchester peuplée d'âmes errantes et des souvenirs du passé.
Tim Willocks excelle dans l'art de la description. A travers elle se matérialise le personnage de Billy, mais aussi la ville et les visions d'un onirisme macabre et alcoolisé évoquées par Billy. C'est intéressant, mais pas passionnant.
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Cette nouvelle en forme de portrait de Billy Micklehurst par Tim Willocks est triplement réjouissante. Tout d'abord, parce que l'auteur y dévoile un talent pour la précision et la concision doublé d'une force d'évocation qui va loin, très loin au delà des mots. Ensuite parce que l'on apprend dans la petite - mais passionnante - interview en fin d'ouvrage le rôle qu'a joué (et continue de jouer) cet incroyable personnage dans la vie de l'auteur, la place du fou dans la société, la beauté des rencontres hasardeuses. Mais enfin parce que cette édition est bilingue et que l'on peut ainsi savourer la verve inspirée et le vocabulaire luxuriant de l'auteur en version originale, si besoin en se raccrochant à la traduction.
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"La Cavale de Billy Micklehurst" est l'occasion de vérifier que cet auteur est aussi à l'aise dans la brièveté que dans la longueur ! Il y relate un épisode de sa vie de jeune homme qui l'a beaucoup marqué : sa rencontre et son amitié avec un sans-abri.

Dans ce récit sans misérabilisme, ni concession vis-à-vis de lui-même, il brosse de Billy un beau portrait, à la fois dur et émouvant, s'attachant à dépeindre son anti-héros avec une justesse et une humanité fort touchantes. Il met en lumière les richesses qu'il a su déceler sous l'allure misérable et crasseuse, montre son attachement et le respect que lui inspire cet homme perdu pour une société qui l'a oublié... Il décrit aussi la déchéance, les ravages de l'alcoolisme, et surtout cette folie qui l'habite, le détruit peu à peu, mais qui, paradoxalement, contribue à faire de ce personnage un individu peu ordinaire.

Comme à son habitude, Tim Willocks mêle noirceur et poésie avec une grande force d'évocation. Une fois de plus, je suis conquise !

Une précision à propos de ce petit ouvrage : le texte y est proposé en deux versions (l'originale, en anglais, et sa traduction française), et nous pouvons également y découvrir la transcription d'un entretien entre Tim Willocks et Natalie Beunat (traductrice pour les Éditions Allia entre autres) à l'occasion duquel l'auteur nous livre d'intéressantes pistes de réflexion sur la folie (en plus d'être écrivain, il a une formation de psychiatre).
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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L'originalité, vient surement du fait que cette nouvelle est un peu autobiographique puisqu'elle s'inspire d'une rencontre que l'auteur a eu avec un homme qui deviendra le personnage de Billy, et que cette rencontre continue de la marquer des années plus tard... Nouvelle courte et plutôt agréable à lire. Par contre, on en garde que très peu de souvenir quelques semaines après.
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