Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2019, écrits par
G. Willow Wilson, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Christian Ward. le tome se termine avec une postface de 2 pages de l'autrice explicitant sa démarche créatrice, 5 pages d'études graphiques, et l'annonce du tome 2 (épisodes 6 à 10).
Dans une autre galaxie lointaine, le vaisseau de livraison Sundog connaît des dysfonctionnements moteur, et la capitaine Grix prend la décision de se poser sur une lune inhabitée pour pouvoir établir un diagnostic plus précis, et réparer, sachant que cet arrêt le mettra en retard dans son planning de livraison. Eline, la représentante de l'entreprise Lux à bord, l'avertit qu'il va essuyer des pénalités pour ne pas avoir respecté ses engagements de livraison et qu'il n'a pas intérêt à endommager la cargaison avec cet atterrissage forcé. Sur la planète Duni, dans la capitale, Vess, une Rool, avance les yeux bandés dans les rues pour rejoindre le monastère afin de devenir une nonne. Deux copines la regardent passer, et l'une d'entre elle la fait trébucher. L'autre reprend sa copine et aide Vess à se relever. Elle lui demande de saluer sa soeur lissa, si elle parvient jusqu'au monastère. La capitaine Grix parvient à exécuter la manoeuvre pour atterrir sans trop de casse sur l'une des lunes de la planète Qari. Vess a commencé à gravir la longue série de marches qui mènent jusqu'au monastère, les yeux toujours bandés. Après avoir revêtu une combinaison spatiale, Grix est sortie à l'extérieur du vaisseau, pour évaluer les dégâts, accompagnée d'Eline et de Krov. Vess est enfin arrivée à l'extrémité de l'éperon rocheux en face du monastère flottant. Sa porte s'ouvre et une passerelle se déploie jusqu'à ses pieds. Elle est accueillie par la mère Proxima qui lui souhaite la bienvenue parmi la sororité de la Sévérité. Vess demande si elle est vraiment devenue une vraie nonne, comme ça. La mère lui répond de commencer par prendre un bain chaud et un bon repas, et de revêtir une robe qui lui sera apportée, ainsi elle pourra ressentir la réalité de ce qui lui arrive.
Sur la lune de Qari, Krov continue d'effectuer les réparations sur le système de refroidissement. Pendant ce temps-là, Grix inspecte la marchandise pour s'assurer qu'il n'y a rien de cassé. Il prend comme référence le registre des livraisons à effectuer, et découvre un paquet éventré qui ne contient rien. Il demande à Xether de le rejoindre dans la soute. Il demande à celui-ci de consulter l'avant dernière ligne : derrière le nom du produit, elle est vide, certainement une erreur, une commande qui a été annulée. La capitaine lui suggère de lire les métadonnées associées : un enregistrement concernant un transfert de fonds. Grix récapitule : si leur employeur Lux avait fait effectuer les réparations demandées depuis un mois sur leur circuit de refroidissement, ils ne viendraient pas de découvrir un trafic d'argent entre l'entreprise Lux et les nonnes. Au monastère, deux autres nonnes passent devant Vess, et lui font bien sentir qu'elle est une rool, une race peu représentée dans l'enceinte, avec un sous-entendu raciste très clair. Vess identifie Lissa et lui transmet le message de sa soeur. Les deux nonnes partent, et elle est proche de pleurer, se demandant si elle a bien fait d'aller contre la volonté de ses parents en venant ici. La mère Proxima pénètre dans la cour et remet sa coiffe de nonne, tout en lui indiquant qu'elle a une mission particulière à lui confier.
Cette série est publiée par l'éditeur Dark Horse, sans sa branche Berger Books, chapeautée par
Karen Berger, la responsable éditoriale historique des comics Vertigo. En découvrant la couverture, le lecteur pense à la fois à Ody-C Omnibus: En route vers la distante Ithicaa de Matt Fraction & Ward, et à LaGuardia de
Nnedi Okorafor et
Tana Ford, ce dernier publié aussi sous le sceau de Berger Books. Il commence sa lecture en espérant que l'artiste s'est attelé à une intrigue plus intelligible que celle de Fraction. Il est vite rassuré : la scénariste raconte une histoire linéaire, focalisée sur deux personnages. Il fait donc la connaissance de la capitaine Grix, et de la nonne novice Vess. Il a vite fait d'assimiler l'identité des quatre autres individus présents à bord du vaisseau Sundog, et des trois ou quatre autres personnages supplémentaires. le fil directeur de l'intrigue est facile à suivre : une histoire de détournement de fond avec des ramifications politiques au plus haut niveau de la société, et la fuite en avant de Grix et son équipage, pour survivre. En outre, le dessinateur est revenu vers des cases plus concrètes que pour Ody-C avec un accent mis sur le registre de la représentation descriptive, quittant les territoires plus conceptuels et plus abstraits de la série de Fraction.
Le lecteur éprouve un plaisir immédiat à pouvoir se projeter dans un récit de science-fiction avec des visuels bien construits, montrant des paysages et des personnages concrets et imaginatifs, tout en étant maitrisés. Dans la postface, l'autrice explicite sa source d'inspiration, et indique que ce système solaire comprend 4 planètes, toutes habitées par des races à forme humanoïde pour des besoins narratifs. Elle ajoute que la technologie des voyages à une vitesse plus grande que celle de la lumière n'a pas encore été inventée. Ward prend soin de donner une apparence un peu différente à chaque race, essentiellement la couleur de la peau, sa texture et la forme de la tête, tout en se cantonnant à un modèle anthropoïde. le lecteur reconnaît sans difficulté la dizaine de personnages principaux, et voit bien à quelle race chacun appartient. L'artiste réalise des dessins avec une partie des contours tracés à l'encre, et une partie en couleur directe. Les visages sont expressifs, sans aller jusqu'à des expressions très nuancées, ou des états d'esprit passant fugitivement. de même la direction d'acteur reste dans un registre utilitaire pour le langage corporel, sans chercher de performance d'acteur, ou des nuances délicates et fugaces. Il prend soin de créer des tenues vestimentaires différentes pour chacun, avec un soin particulier apporté par le costume des nonnes.
Dès la première séquence, le lecteur peut apprécier le soin apporté à la construction d'un monde concret et palpable : l'intérieur du vaisseau spatial et sa forme extérieure. Puis il peut avoir une vue du dessus de la capitale de Duni donnant une bonne idée de son architecture, une vue magnifique de l'escalier menant jusqu'au monastère flottant, l'architecture intérieure du monastère, les locaux abritant les registres, la surface de la lune de Qari, etc. Il admire la forme des autres vaisseaux spatiaux qu'il lui est donné de voir. Étant seul créateur visuel à bord, cumulant la fonction de dessinateur et de coloriste,
Christian Ward déploie sa maîtrise de l'infographie pour des images entremêlant traits encrés et couleur directe, dans des cases sophistiquées, avec une répartition changeante des informations visuelles entre ces deux éléments graphiques. Il intègre les effets spéciaux avec un naturel confondant, et varie ses découpages de pages, avec quelques constructions sortant de l'ordinaire pour des effets très réussis. Les pages ne donnent pas le tournis car il ne s'agit pas de planches démonstratives, mais elles induisent un effet de dépaysement, combinant une fibre déstabilisatrice avec une fibre spectaculaire, tout en conservant une narration visuelle claire et fluide.
Effectivement,
G. Willow Wilson déroule une intrigue à la dynamique claire, facile à suivre et très entraînante, ménageant régulièrement des scènes d'action pour un récit d'aventures divertissant à l'avancée fluide. le lecteur se laisse facilement entraîner dans ce thriller de science-fiction, se demandant comment l'équipage du Sundog va pouvoir se tirer de ce nid de vipères. La scénariste développe un peu les tenants de la foi de Vess, surtout pour montrer qu'il s'agit d'une croyante, sans chercher à ce que le dogme de sa religion soit à même de séduire le lecteur : il n'y a pas de fibre prosélyte de ce point de vue. le lecteur peut sourire en reconnaissant la nature de l'employeur de la capitaine Grix : une entreprise omniprésente de vente et de livraison de tous les produits imaginables, pressurant ses livreurs, toute ressemblance avec une entreprise de vente par internet au nom de fleuve, étant bien évidemment fortuite. Il sourit également quand Grix explique son point de vue à voix haute, à Xether. le bonheur ne s'achète pas, il ne se commande pas, et il n'est pas livré à domicile dans une boîte en carton, toute ressemblance avec une société de consommation n'étant pas fortuite. Enfin, Grix recommande à son interlocuteur de s'interroger sur la raison pour laquelle une entreprise souhaite refourguer autant de camelote à des citoyens, sur les buts sous-jacents d'une société dans laquelle prospère une telle industrie, et sur les connivences qu'elle peut entretenir avec le pouvoir en place. Ces éléments de réflexion découlent de manière organique de la narration et des personnages, sans être incorporés de manière forcée ou artificielle.
La couverture de ce premier tome promet une aventure de science-fiction haute en couleurs. Scénariste et artiste tiennent ces promesses, avec une intrigue bien rythmée, et une maîtrise de l'infographie pour un savant dosage qui nourrit les personnages et les environnements, aboutissant à une narration visuelle coulant de source, inventive et séduisante, entièrement au service de l'histoire. Celle-ci prend la forme d'un thriller mêlant les genres policier et politique, charriant des thèmes de réflexion en toile de fond.