Ce n'est peut-être pas très délicat à avancer comme argument de ma part, mais cet ouvrage constitue une chance exceptionnelle pour vous échapper pendant quelques heures des dernières informations sur la pandémie et ne pas souffrir de confinement. L'ouvrage d'
Anila Wilms combine, en effet, une histoire à suspense de double assassinat avec une évocation originale de la population albanaise de juste après la Première Guerre mondiale, les rivalités politiques dans le Balkan avec des intrigues pétrolières entre grandes puissances. Un mélange heureux et agréablement écrit qui vous feront perdre toute notion du temps.
Le 6 avril 1924, sur le pont de la rivière Droga (peur en Français), près du village Mamurras à 40 kilomètres au nord-ouest de la capitale albanaise Tirana, est effectué une découverte horrible et macabre : une voiture abandonnée au milieu du pont, portières ouvertes, avec un mort au volant et un autre sur la banquette arrière. Une 3e victime se trouve étendue à quelques pas de la bagnole, également baignant dans le sang. Une fusillade les a tous les 3 criblés de balles.
Les 2 morts sont de jeunes voyageurs américains qui voulaient découvrir ce pays à part. L'un s'appelle Dan E. Marvin et est marié et l'autre, Gregory C. DeBurgh, est le fils d'un sénateur californien. La 3e victime se nomme Dod Kakarriqi, était le chauffeur du véhicule et est retrouvé dans le coma.
D'après le droit coutumier des montagnards du nord de l'Albanie, connu sous le nom de "Kanun" ou Canon, un des piliers de ce code de conduite est l'hospitalité, l'autre la vendetta ou la dette de sang. Tuer un hôte, tels ces jeunes touristes américains, est considéré comme le crime absolu !
Un personnage central est Julius G. Grant, l'émissaire des États-Unis à Tirana, un homme sérieux et consciencieux, qui aura fort à faire pour tenir son chef à Washington, le secrétaire d'État aux affaires étrangères, au courant du développement de l'enquête criminelle pour mettre la main sur les responsables du meurtre de ses compatriotes.
En même temps il faut qu'il se débrouille pour obtenir une concession importante sur les gisements pétroliers albanais en faveur de la Standard Oil de John D. Rockefeller. Seulement la concurrence est dure, puisque son homologue britannique, sir
William Harris essaie de même pour l'Anglo-Persian Oil Company de William Knox D'Arcy. Tâche d'autant plus délicate pour notre Julius que sir William est un faux jeton comme seule la perfide Albion sait en produire.
Anila Wilms en choisissant avec soin ses personnages locaux qu'elle décrit avec verve et maestria nous livre un riche panorama de la population albanaise de cette époque, allant du riche "bey" propriétaire terrien et figure dominante, en passant par les moins fortunés citadins de la capitale, les pauvres travailleurs agricoles, jusqu'aux rustres et misérables montagnards du haut nord du pays.
Tous ces braves gens se rencontrent de préférence au Bar Bristol, où sous l'oeil vigilant du patron Demi, les Albanais se lancent dans des conciliabules parfois particulièrement animés. le dénommé Keno Effendi y assure souvent la touche comique. Ainsi, lorsque le crieur public vient annoncer toutes les libertés qui sont suspendues à la suite du double assassinat, il remarque : "Je ne savais pas qu'on avait autant de droits ! C'est bête de l'apprendre juste au moment où on nous les retire".
Dans les 205 pages de son roman, l'auteure ne perd jamais de vue le double meurtre brutal du début en nous sert régulièrement de petites bribes d'informations et sans jamais, dans le narratif sur son pays... perdre le nord.
J'espère qu'
Anila Wilms ne va pas se mettre à faire de la couture ou de la dentelle au lieu d'écrire de fins romans, car honnêtement j'aimerais bien lire un deuxième ouvrage d'elle de cette qualité, si possible.