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Wiley (01/09/1990)
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Aujourd'hui, je sais que je vais en perdre quelques uns, mais c'est pour une bonne cause (je crois). Ce n'est pas sexy, ce n'est pas vendeur. Ce n'est ni un roman, ni même un bouquin, juste un article scientifique paru dans une revue qui n'a jamais fait craquer les box offices du monde scientifique : OIKOS, en date du mois de septembre 1990, volume 59, numéro 1.

Je crois déjà vous entendre : « Mais qu'est-ce qu'elle est allée nous déterrer la Nastasia avec ses articles d'il y a 25 ans avec rien que des chiffres et des maths et le tout écrit en anglais. » Certes, c'est vrai ; il n'y a là-dedans que des chiffres et de l'anglais.

La toute première raison qui pourrait éventuellement vous y faire jeter un œil, c'est que cet article est l'œuvre d'un grand, grand monsieur du monde scientifique, David Sloan Wilson, fils du romancier Sloan Wilson, surtout connu pour L'Homme Au Complet Gris. Vous connaissiez le romancier issu de scientifiques (Aldous Huxley), voici la réciproque à cette équation.

La deuxième, c'est que j'ai eu l'occasion de parler personnellement avec David Sloan Wilson et qu'il m'a fait grande impression et c'était… ouh !… la vache !… bientôt treize ans ! C'est fou ce que le compteur tourne, mais bon, ça vous le saviez déjà, et mes petites discussions avec le bonhomme, vous vous en tapez et vous avez raison. C'est juste que quand on croise un gars comme ça, on sait qu'on croise quelqu'un de rare.

Outre que l'individu s'est battu seul ou à peu près pour une idée complètement à contre-courant, jugée ringarde et has been pendant le plus clair de sa vie de chercheur, alors que tous les confrères disaient le contraire et se renforçaient entre-eux pendant que lui galérait à faire passer ses articles constamment retoqués par les comités de lecture résolument hostiles à ses idées pas dans le mouv.

Ça a duré, dans les 20, 25 ans cette situation. Pendant 20, 25 ans vous courbez l'échine, vous publiez vos super articles dans les revues les plus pourries et mal cotées parce que le club des copains qui tiennent la baraque vous en interdisent l'entrée. J'ai du respect pour les gens qui témoignent autant de rectitude et d'abnégation, qui loupent toutes les promotions intéressantes parce qu'ils ne plient pas là où on le leur demande.

Mais comme le dit notre bon vieux Bob Dylan, « the first one now will later be last, as the slow one now will later be fast » et, chemin faisant, le temps aidant, les générations passant, l'air du temps s'agitant aux rideaux, D. S. Wilson, " l'autre Wilson " comme on disait, car le vrai Wilson dans ce milieu était E. O Wilson (Edward Osborne Wilson, tenant de l'exact opposé théorique à celui de D. S. Wilson) a fini par avoir un peu la cote.

Il faut parfois savoir prendre un peu de vent, faire une pause dans sa marche quotidienne pour saluer des gens comme lui, ce que maladroitement j'essaie de faire aujourd'hui. Des gens qui, contre vents et marées ont su garder un cap, alors que tout (le système, les honneurs, les retombées financières, etc.) leur dictait de laisser tomber et de suivre l'autre voie, la facile, la courue d'avance, la rentable.

Si je m'en viens vous parler de cet article où il y a presque autant de formules mathématiques que de texte, c'est que les implications de cet article ont profondément métamorphosé ma vision de la vie et ma compréhension du monde. On en trouve des applications partout et même sur Babelio.

Cet article nous dit quoi, au juste ? Cet article nous dit que de façon scientifique, ce qui caractérise un comportement dit " altruiste ", c'est un comportement qui augmente les chances de survie de l'autre au détriment de celui qui exécute ce comportement. Mais Wilson avait déjà débroussaillé cette notion, mathématiquement parlant, en distinguant l'altruisme fort de l'altruisme faible.

L'altruisme fort, c'est celui qui vient d'être défini plus haut : je fais quelque chose qui me coûte à moi et qui ne rapporte qu'aux autres. L'altruisme faible, quant à lui, consiste à faire quelque chose qui ne me coûte rien, ou à peu près rien, mais qui bénéficie aux autres.

Jusqu'à présent, tous ceux qui parlaient de sélection de groupe se heurtaient au problème de l'altruisme car la notion de " faire quelque chose POUR LE GROUPE " ne tient pas mathématiquement parlant, c'est toujours et systématiquement contre sélectionné si bien que ceux qui n'agissent que pour eux ont plus de chances de survie.

Or, dans la vraie vie, on voit de tels comportements qui semblent bénéficier plus au groupe qu'à l'individu. Exemple : vous êtes un brave petit suricate, vous vous dressez fièrement du haut de vos trente centimètres et vous apercevez un aigle qui fonce droit sur vous.

Choix n°1 : vous vous barrez le plus vite possible sans rien dire à personne et c'est votre frangin qui se fait bouffer.
Choix n°2 : vous vous barrez exactement comme dans le choix n°1 mais en poussant un cri de hurlement à la mort qui sera relayé par tous vos cousins dans la seconde.

Ce petit cri, pas spécialement gracieux ne vous a rien coûté, ou presque, mais il a sûrement sauvé votre frangin qui a pu se carapater à temps. Donc ce comportement est vivement sélectionné. C'est le moment précis où vous me dites : « Oui, mais nous ne sommes pas des suricates. » Erreur ! Nous sommes tous des suricates !

Exemple : vous vous baladez en voiture un bel après-midi du samedi sur une route de campagne départementale. Après un ou deux virages, vous croisez un gars qui vous fait un appel de phare. Il n'a manifestement pas eu le temps de juger de toute la panoplie de vos charmes, c'est donc qu'il voulait vous faire comprendre quelque chose. Deux secondes après, c'est au tour d'une mère de famille de vous faire de l'œil. Alors soit votre charme est décidément très grand, soit il doit y avoir des flics embusqués non loin.

Vous avez la sagesse de ralentir et de vérifier que tout le monde a bien sa ceinture à l'arrière. Bien vous en a pris car au virage suivant, les gendarmes étaient effectivement sur le qui-vive. Cinq cents mètres plus loin, c'est vous qui actionnez vos phares pour prévenir un gars dont vous ne connaissez rien, peut-être même que c'est le genre de gars que vous auriez envie de haïr, mais vous le faites quand même.

Je ne sais pas si désormais le titre de cet article vous parle un peu plus, mais en ce qui me concerne, je suis complètement convaincue de la justesse de son propos : " là où il y a de l'altruisme faible, il y a une forte sélection de groupe ". Promenez-vous ensuite dans les quartiers chauds de votre ville et vous y comprendrez à nouveau plein de choses.

L'altruisme faible est très fortement bénéfique aux groupes dont les membres savent se renvoyer l'ascenseur. Très vite on comprend l'influence des communautés, les cooptations, les mafias, etc. Bref, l'humain quoi ! Et si après ça, après avoir lu ce petit bijou d'article vous ne dites pas « Chapeau Monsieur Wilson », alors je ne peux plus grand-chose pour vous. D'ailleurs, ce n'est qu'un avis, qui à moi, ne me coûte pas tellement, et qui pour vous… allez savoir…
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