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Critique de Takalirsa


C'est une collègue qui m'a conseillé ce livre et elle a bien fait car c'est un coup de coeur ! J'ai tout de suite adhéré à l'écriture qui mêle narration et pensées (en italique) et qui laisse parfois la parole aux interlocuteurs·trices de Jean (« Djinn ») Atwood (d'où le titre). Cela donne un certain dynamisme au récit qui se lit très vite malgré ses 600 pages.
Le texte est avant tout un manifeste féministe pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Les patientes qui défilent dans le bureau du Dr Karma ont toutes besoin, avant tout, de se confier en toute impartialité (« Ne jugez pas les femmes. Écoutez-les »). le médecin ne réalise d'ailleurs d'examen gynécologique que si c'est nécessaire (« Elles voulaient seulement que je leur tienne la main et que je les écoute pleurer. »). le Dr Karma s'efforce de répondre aux interrogations des femmes sur les différents moyens de contraception et sur la grossesse, ce qui l'amène souvent à entendre des confidences sur les relations amoureuses/sexuelles/maritales (« Elle avait besoin qu'on la rassure »).

Mais pour Jean Atwood, jeune interne ambitieuse qui a dû batailler pour en arriver là (« J'ai été trop humiliée, trop rabaissée auparavant, parce que je suis une nana ») et qui veut se spécialiser en chirurgie car elle peut « faire aussi bien qu'un mec, voire mieux », l'unité 77 n'est qu'un « défilé de plaintes, de gémissements, de jérémiades » (« Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ces femmes et de leurs malheurs ? »). Au départ, l'héroïne semble désabusée et méprisante envers les patientes et l'on sent beaucoup de colère en elle – pourquoi donc ? Sa vie privée (son compagnon Joël qu'elle a mis à la porte, son père américain qu'elle n'a pas vu depuis cinq ans) se dévoile par touches, tout comme le secret qu'elle cache sous ses vêtements.

En réalité Jean est « désarçonnée par la manière dont nous travaillons ici », si loin de l'enseignement reçu. C'est l'un des thèmes phares de l'oeuvre : « Dans les foutues facultés françaises, on déforme les médecins au point qu'ils s'imaginent, une fois leur diplôme en poche, qu'ils savent tout et n'ont plus rien à apprendre ». le Dr Karma défend une autre manière de soigner, moins orthodoxe et plus humaine (« Avec les autres médecins, t'as toujours l'impression que t'es personne »). « Formatés par l'université », les jeunes médecins sont « déjà aigris, agressifs, frustrés » avant même d'avoir eu leur propre clientèle. Et puis pour le Dr Karma, « la médecine française est une médecine de classe. Un trop grand nombre de « professionnels » méprisent les femmes immigrées, obèses, prolétaires, femmes seules ou adolescentes en rupture ». Quant aux transgenres, ils fascinent tellement que les chirurgiens ont tendance à les prendre pour des cobayes (la chirurgie reconstructrice des organes génitaux n'est pas encore très au point). Plus le livre avance, plus il accorde d'importance à cette délicate question de l'identité : doit-on dès la naissance décider d'un bébé intersexe s'il est fille ou garçon ?

Ainsi, au fil de témoignages laissant perplexe et faisant réfléchir, on voit Jean évoluer progressivement (« Tu es une sensible, au fond. ») sans que le Dr Karma ne lui impose quoi que ce soit, même s'il est « malade qu'un jour tout ce savoir-faire acquis pour faciliter la vie des femmes sera perdu ». L'interne se rend compte que « mon immersion parmi les patientes de l'unité 77 a complètement changé ma manière de voir les choses », y compris dans sa vie personnelle, ce qui la rend bien plus sereine. Au final on sait que « quoi qu'il arrive et où qu'elle aille, elle soignera et elle fera du bien ». Et c'est tout ce que l'on attend d'un (bon) médecin.
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