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EAN : SIE113775_841
L'Age d'Homme (30/11/-1)
4/5   17 notes
Résumé :
Traduction et avant-propos d'Alain Van Crugten

Roman, essai bourré de digressions, pathologie d’une époque en déliquescence, L’inassouvissement fait jaillir avec une acuité panique et visionnaire les archétypes de notre temps.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
1927
Stanislaw Ignacy Witkiewicz, dit Witkacy, achève l'écriture de ce terrible monument de la littérature moderne. Cette notion, forcément mouvante, de modernité, possiblement galvaudée, prend ici un caractère absolu, voir effrayant.
Connu à l'époque avant tout pour ses travaux théoriques, dont celui sur la « forme pure » en arts décoratifs, ainsi que ses pièces de théâtre, il signe avec « L'Inassouvissement » un des tout premiers roman d'anticipation; mais contrairement à Zamiatine ou H.G Wells, les codes habituels de la science-fiction en sont quasiment absents. On en vient même à douter de la parenté de ce livre avec le genre de l'uchronie/dystopie… Non, s'il faut absolument classer, ceci est un roman psychologique (psychiatrique même), saturé de questionnements philosophiques, dont certains occuperont plus tard quantités d'auteurs, des existentialistes aux structuralistes.

Witkacy a une infinité de choses à nous dire, avant de se les dire à lui même, sa prose prenant souvent la forme d'une brulante logorrhée, jaillissant sans filtre sur la page. La préface du traducteur Alain van Crutgen éclaire énormément à ce sujet; on pourrait même se payer le luxe de la lire en premier… Il y explique entre autre certains excès formels de l'auteur —ses interminables transgressions parées de parenthèses — ainsi que sa créativité langagière, triturant sa langue polonaise à l'aide du français, du russe, de l'anglais ou de l'allemand, créant des mots trans-nationaux, défi de taille pour une traduction qui semble très bien s'en sortir (quel travail cela a du être…).

Witkacy a l'air d'avoir tout à fait conscience du défi qu'il propose au lecteur, sacrifiant parfois l'élégance littéraire au bénéfice de la compréhension, ponctuant certains longs passages, emmêlés jusqu'au fond du ravin, par ses propres commentaires de lecteur, respirations nécessaires à la profonde folie de son principal caractère, le jeune et tumultueux Genezyp Kapen, dit Zypcio.

Car c'est avant tout un roman d'apprentissage, s'ouvrant sur un vers du poète Tadeusz Miciński à laquelle cette oeuvre est dédiée :
« Moi, en choisissant mon destin, j'ai choisi la folie. »
Initiation ontologique, dans ce futur proche mais indéterminé, où les bolchéviques ont conquis la majorité de la Terre, leur doctrine ayant vaguement fusionné avec le fascisme, épuisant les états-nations de leur singularité, la Pologne comme rare exception, face à une Chine conquérante…
Cette toile de fond étrangement uchronique, tout comme ces batailles en deuxième partie de livre, n'ont pas en apparence de velléités de réalisme ou de prospective, bien que la fin de l'individualisme semble préoccuper sérieusement notre auteur. Elles achèvent de plonger le lecteur dans un environnement totalement dérangé, d'où naissent questions et contradictions, principalement métaphysiques et psychanalytiques. le complexe d'Oedipe, que van Crutgen place dans sa préface au centre de son interprétation, en est l'un des pivots, avec l'interrogation du matérialisme ou de la transcendance, et de l'éternel tragédie des rapports homme / femme.
Ce foisonnement de thèmes doit permettre à chaque lecteur une interprétation singulière.

Zypcio y apprend, comme par une effrayante plongée, « la monstruosité métaphysique de l'existence », dans un voyage halluciné, où la morale n'aurait plus vraiment d'existence, au pays de la chair contre celui des idées. Ce « héros » n'est pas là pour qu'on s'identifie à lui, l'auteur lui-même partageant notre exaspération pour son bouillonnement permanent, jusqu'à l'explosion; « hyper-sensible » ou « schizophrène », peu importe, il sert avant tout de détonateur à ces déchaînements d'émotions et de pensées contradictoires, que Witkacy nous cuisine inlassablement dans son volcan-chaudron.

La première partie se déroule principalement dans le château de la princesse Ticonderoga, « forteresse transformée à l'intérieur en " un dithyrambe édredonnesque et indécent comme un mandrill " en l'honneur des corps amollis et des âmes purulentes en décomposition — il n'y a pas moyen d'exprimer cela autrement ».
La deuxième et dernière partie, nous sortant de cet étouffant univers, offre une plus grande fluidité par son crescendo dans la folie.

Respiration : comme Philip K. Dick dans Ubik, Witkacy voit un futur où les drogues sont complètement intégrées à la société… Vite, une boite d'excellente mescaline de chez Merck® !
Encore une inspiration freudienne, sans doute…

Vous aurez déjà compris que cette lecture n'est pas des plus aisées, mais son étrange originalité, ses nombreux passages d'une vénéneuse beauté, permettent de s'y retrouver malgré les lambeaux de chairs putrides accrochés à vos mains.

L'inassouvissement, c'est celui qui vous pousse à regarder un autre épisode de cette géniale série dont tous vos amis parlent; c'est celui qui vous pousse à sortir inlassablement votre téléphone de l'endroit qu'il ne devrait rarement quitter; c'est celui qui vous prend à tout moment de votre vie, lorsque vous pensez encore avoir le choix; c'est celui qui éloigne des combats légitimes ceux en quête d'individualité; enfin, mais sans en voir la fin, c'est celui qui éloigne de l'Amour, filiale ou conjugal, comme seul but d'être en vie.
C'est le fait d'être en vie, dont le seul assouvissement en serait la mort.

Merci de votre attention.
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Witkiewicz est l'homme qui fit entrer la culture polonaise dans la modernité. Il est l'un des plus important phénomène artistique du début XXe s. Il s'est suicidé en 39 lors de l'invasion de la Pologne.

L'inassouvissement est un roman psychologique, philosophique, hanté par la peur de la folie, satire féroce, oeuvre vraie et passionnée d'un homme extraordinaire.
Très vite l'envoûtement vous saisit, né de l'extrême tension de chaque phrase. Tout dire, tout de suite, avant que l'humanité ne disparaisse, pas de répit, pas d'échappatoire.
La forme n'a donc absolument rien de traditionnelle, Witkiewicz considère le roman (art non pur) comme un sac où l'on trouve de tout, pêle-mêle.
Il s'agit pour lui de conserver un lien profond et direct entre littérature et expérience humain, entre expérience formelle et complexité du réel.
L'inassouvissement comme A la recherche du temps perdu et L'homme sans qualité, appartient à la famille des "derniers grands récits" aux ambitions totalisantes.

Witkiewicz lance aux « hommes du futur » que nous sommes, cet avertissement, dont nous pouvons mesurer aujourd'hui la justesse : « Vous êtes au pouvoir d'une machine qui vous échappe des mains et qui grandit comme un être vivant, qui mène une vie autonome et doit finir par vous dévorer ».

Jan Kott : "Jusqu'à la 2e guerre mondiale, il n'était compris que par une minorité. Peut être parce que nous étions tous encore avant, tandis que lui était déjà après." J'ajouterais que c'est toujours vrai.

Cette fabuleuse lecture est un engagement, un corps à corps dont on ne sort pas indemne, une rencontre qui vous arrive ou pas.
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Je mets quatre étoiles, parce que c'est un énorme livre, un travail probablement colossal, une inventivité certaine, une introspection et descriptintrospection assez intéressante et assez puissante à l'époque de son écriture. Witkiwicz utilise et joue aussi beaucoup avec la langue, les langues (incursions de français, russe...) et la ponctuation (insertion de parenthèses un peu comme celle-ci).
Il garde une trame narrative au travers du parcours du personnage principal, Zypcio-Genezyp, qui sombre gentiment dans la folie et qui s'en sort finalement pas si mal (sorry pour le spoiler), il explore et vit tout un parcours initiatique amoureux, militaire, intellectuel et on le suit pas à pas.
Plusieurs personnages majeurs gravitent autour de lui et donne du contexte et du contraste au personnage principal. Et en soi sont déjà bien bien construits et intéressants : Kocmoluchowicz, la Princesse, l'extraordinaire et répugnant musicien Tengier, le ou les théâtreux-artistes... Y a de quoi faire, de quoi interpeller pas mal de lecteurs, ça touche tous azimuts.
Oui et il y a du Dostoïevski dans cette folie et dinguerie qui explose à un moment où l'autre chez tous les personnages, ces rapports complexifiés à haut point...

Roman d'anticipation ou uchronie aussi. Un délire de péril jaune qui se concrétise, l'éveil chinois et la défense russe et au milieu la sempiternelle Pologne-tampon... Entre un bolchocapitalisme décadent et la puissance chinoise mue par une cryptique religion ou secte qui prend une ampleur en parallèle.
La partie projective-uchronie n'est pas vraiment une réussite pour moi, je n'y crois pas, ni en la figure tutélaire-maximus-top chef Kocmo..., ni en la recomposition du monde et de ses blocs, et l'histoire nous l'a montré... (Ceci dit, on ne sait jamais, rien n'est encore perdu ? Ahah.)

Donc, on a affaire à une stratification individu-famille-société-monde où tout est en déconstruction-reconstruction, en mouvement et cela est assez réussi. Des questionnements et des réponses théorico-logico-théologiques multiples en opposition, ou en tentative de syncrétisme... En adaptation, en évolution inéluctable... Pour le dire aussi simplement que possible.

Comme pas mal de critiques l'ont signalé, cet ouvrage préexiste à énormément d'autres de grand renom, influence énormément d'autres géants postérieurs chronologiquement, je n'en ferai pas une liste (j'en suis assez peu capable), mais croyez en cela.Mais si ce livre-roman quasi complet et total a pu fasciner, moi, lecteur X, je ne l'ai pas spécialement goûté, et, d'un pur chef-d'oeuvre, n'en ait point ressenti en mes tripes l'impact. Tous les personnages m'ont plutôt énervé, pas un ne m'a touché authentiquement, personnellement de façon inénarrable... (J'aime bien m'identifier et n'y suis arrivé que trop partiellement.)
Dans un genre vaguement semblable, car peut-on parler de genre, j'ai nettement préféré La Conscience de Zeno d'Italo Svevo, que je recommande au passage.

Du coup en globalisant tout cela, j'octroie uniquement quatre étoiles et non cinq.

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Un roman magistral qui brille encore cinquante ans après sa publication, et ce malgré qu'il soit souvent difficile d'accès dans ses nombreuses références à une Pologne et une Europe d'entre-deux-guerres. L'écriture est vive, inspirée et emportée, souvent de perd et digresse pour mieux construire un continent en pleine guerre de civilisation. L'auteur manie habilement les styles et ses personnages pour élaborer sur des points politiques, sociologiques et métaphysiques, et ce roman en devient une réflexion d'une rare profondeur sur aliénation du soi et l'avilissement de l'individualité. Une réussite !
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Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Subitement Genezyp fut soûl au point de perdre connaissance. Il discutait de quelque chose avec la princesse, lui promettait quelque chose - il se produisait des choses incommensurables, même si avait pu exister cette fameuse "mesure psychique de Lebesque", cette possibilité de différencier les ultimes, les plus minuscules déviations du psychisme humain. Le monde paraissait éclater d'auto-inassouvissement définitif. Des "morceaux d'âme" se déchiraient en lambeaux et étaient transportés vers des régions inconnues par un tourbillon enflammé d'alcool mêlé de cervelle de jouvenceau. A un certain moment, Zypcio se leva, sortit de la pièce comme un automate, s'habilla et sortit du palais en courant. Il était grand temps. Il vomit horriblement. Un moment plus tard, un tourbillon de neige dure granulée l'assaillit sur le Plan des Grains. Mais il ne s'était pas encore éveillé ce soir-là - il n'avait pas encore compris l'horreur dernière des instants qui ne reviendront plus.
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... se déroulait quelque chose d'inconnu dans le domaine cérébro-matériel. Zypcio s'arracha à lui-même pour entrer dans un monde secret et atroce où régnaient d'autres lois qu'ici - mais où cela se passait-il ? Il était ici et là simultanément. "Où suis-je ?" criait quelqu'un sans voix dans des cavernes sans formes, sans fond et sans voûte, dans "les grottes que creusent le rêve et la démence" (Micinski). Ah - c'est donc cela la démence dont on parle tellement. Ce n'est pas si terrible : une légère "non-euclidienneté" psychique. Et simultanément ce "petit essai sans valeur" était quelque chose de si horrible que la vie entière n'y pouvait suffire. Pas cela même, mais seulement ce qui pouvait être au-delà : ce qu'en diraient les centres moteurs, et puis les muscles, les ligaments, les os - n'allaient-ils pas tout mettre sens dessus dessous, tout réduire en poussière - et ensuite les conséquences, c'était cela qui était terrible.
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"Théoriquement" il savait tout - ce "tout" sexuel d'un élève innocent de huitième - mais il n'avait jamais imaginé que cette science théorique pût si facilement et si intimement s'accrocher à la réalité. Tout resta soudain comme rivé ou fiché dans le sol, tout le passé lui était présenté comme sur un plateau, soustrait au temps, froid et coagulé. L'instant présent aussi était figé dans cette bouillie sans durée, comme un couteau planté dans le ventre d'un ennemi. Comme un petit ruisseau, la vie "murmurait" quelque part entre les éboulis, mais cela ne faisait qu'amplifier la fantastique immobilité du tout. On aurait dit que le monde entier s'était arrêté dans sa course, regardant en soi-même avec des yeux exorbités par la terreur. "Rien ne demandera rien dans sa propre tombe." Voilà ce que le camarade "défendu" avait écrit. Et soudain "quelque chose" lâcha et tout reprit son cours à une vitesse folle, par contraste avec l'immobilité précédente, comme un torrent qui désintègre des bouchons de glace flottante. L'écoulement du temps, qui avait semblé arrêté peu auparavant, devint une torture insoutenable.
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Et même si j'étais mauvaise, tu devrais m'aimer, car je sais mieux que toi ce qu'est la vie (A cet endroit Genezyp fut un peu ému et il décida de ne jamais lui faire de mal - advienne que pourra) et ce n'est pas tout : je voudrais à ce moment-là que tu deviennes tout entier aussi grand et fort que ce que tu sais quand je te plais, tel que tu seras un jour, peut-être plus pour moi, et que tu m'étouffes de toi et que tu m'anéantisses. (Zypcio éprouva une étrange sensation d'illumination intérieure en lisant des mots : il vit à nouveau en lui un horizon infini, étouffant d'un inassouvissement sans limite, gonflé d'une quantité de diable-sait-quoi inaccomplis, d'actes-objets sans nom, d'inconcevables existences psychophysiques dont les seuls équivalents visuels pourraient être les créatures-choses inconnues et incompréhensibles qui apparaissent dans les visions de peyotl.
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- Nous encore, continuait à crier Irina Vsievolodovna, nous les femmes, nous avons un sain instinct de vie. Car pour nous une vie sans hommes à admirer n'est que torture et honte. Y a-t-il pire chose pour un femme que de mépriser l'homme qu'elle aime ou même qu'elle désire seulement, de ne pas sentir sa supériorité sur elle ?
Ces paroles tombèrent comme une pierre dans un marécage. Il y eut un éclaboussement dans les petits marais psychiques individuels des hommes présents, reliés entre eux. Cependant il y avait une vérité là-dedans : les hommes s'étaient enchiennés, mais elles pas. On aurait pu leur trouver diverses circonstances atténuantes, mais à quoi cela aurait-il servi et qu'est-ce que cela signifierait pour elles, les femmes ? Les causes sont indifférentes quand on est face à un fait irréversible. Silence.
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