Wittgenstein n'était pas satisfait de la forme de cet essai qui ne sera publié qu'après sa mort. Il est vrai que l'ensemble n'apparaît pas comme achevé : l'ouvrage est d'ailleurs parfois plus interrogatif qu'affirmarif. La rédaction se situe entre le traité et l'argumentation dialogique.
On lit ici le Wittgenstein du jeu de langage. Je ne crois pas qu'on puisse véritablement séparer ce Wittgenstein du Wittgenstein du Tractatus. C'est même le contraire : c'est le Tractatus qu'on a mal compris, même si il le nuance. Son projet philosophique général est le même.
Ce livre est exploratoire. Moins systémique que le Tractatus il est aussi plus ouvert et plus axé sur la quotidienneté. Une argumentation à la fois moins aride et plus relâchée, plus riche et moins structurée.
Wittgenstein reste à mes yeux le meilleur des philosophes analytiques.
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241. « Dis-tu donc que l’accord entre les hommes décide du vrai et du faux ? » — C’est ce que les hommes disent qui est vrai et faux ; et c’est dans le langage que les hommes s’accordent. Cet accord n’est pas un consensus d’opinion, mais de forme de vie.
242. Pour qu’il y ait compréhension mutuelle au moyen du langage, il faut qu’il y ait non seulement accord sur les définitions, mais encore (si étrange que cela puisse paraître) accord sur les jugements. Cela semble abolir la logique, mais il n’en est rien. — C’est une chose de décrire une méthode de mesure, et c’en est une autre de trouver et de formuler les résultats d’une mesure. Mais ce que nous nommons « mesurer » est également déterminé par une certaine constance dans le résultat des mesures.
427. "Pendant que je lui parlais, je ne savais pas ce qui se passait dans sa tête." En disant cela, on ne pense pas aux processus cérébraux, mais aux processus de pensée. L'image est à prendre au sérieux. Nous aimerions vraiment voir ce qui se passe dans sa tête. Et pourtant ce que nous voulons dire là n'est rien d'autre que ce que nous voudrions dire par les mots : Nous aimerions savoir ce qu'il pense. Je veux dire : Nous avons cette image pleine de vie - et cet usage qui semble contredire l'image et qui exprime le psychique.
Quand les philosophes emploient un mot […] et s’efforcent de saisir l’essence de la chose en question, il faut toujours se demander : Ce mot est-il effectivement employé ainsi dans le langage, où il a son lieu d’origine (Heimat) ? Nous reconduisons les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien.
La philosophie est un combat contre l’ensorcellement de notre entendement par les ressources de notre langage.
Imagine que quelqu'un dise : Tout mot familier, par exemple dans un livre, se présente à notre esprit enveloppé d'une atmosphère, d'une sorte de "halo" d'emplois à peine suggérés. - Tout comme si, dans un tableau, chaque personnage était entouré de scènes délicatement et comme nébuleusement dessinées, qui se trouveraient pour ainsi dire dans une autre dimension, et comme si nous voyions ici les personnages dans différents contextes. - Si l'on prend cette supposition au sérieux, il apparaît qu'elle n'est pas à même d'expliquer l'intention.
Car si les choses se passent d'une façon telle que les emplois possibles d'un mot nous viennent à l'esprit en demi-teinte pendant que nous parlons ou écoutons -, s'il en est effectivement ainsi, ce n'est que pour nous. Or nous nous faisons comprendre des autres, sans savoir s'ils vivent, eux aussi, ces expériences. (p. 257)
Présenté par Robert Maggiori, philosophe co-fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco et critique littéraire.
« Lettres à sa famille. Correspondances croisées 1908-1951 », Ludwig Wittgenstein, Édition de Brian McGuiness, traduction de Françoise Stonborough, @Éditions Flammarion , 414 pp., 26€