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Bertrand Russell (Autre)Pierre Klossowski (Autre)
EAN : 9782070707737
364 pages
Gallimard (22/10/1986)
3.95/5   22 notes
Résumé :
Le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein, qu'il se trouve ou non donner la vérité dernière sur les matières qu'il traite, mérite certainement, par son ampleur, son étendue et sa profondeur, d'être considéré comme un événement important dans le monde philosophique. Débutant à partir des principes du symbolisme et des rapports qui sont nécessaires entre les mots et les choses dans tout langage, il applique le résultat de ses recherches aux différents d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Ce dont on ne peut parler, il faut le taire »


Donc je me tais. En tout cas, j'aimerais me taire… mais ce ne serait pas assez vendeur et je n'aurais pas le plaisir de pouvoir disserter sur ce Tractatus politico-philosophicus à mon aise. Certainement, Ludwig Wittgenstein ne devait pas être publicitaire, comme il ne devait pas être très causant non plus à table ou en promenade. Car enfin, parler du langage comme on parlerait d'un joint de culasse, ça ne ressemble à rien d'humain, et à cette vision de la communication, nous pourrions opposer celle plus sensible (mais aussi moins théorique et peut-être plus sincère) de Margaret Atwood :

« Nous aurions hoché la tête pour ponctuer les dires les unes des autres, et montrer que oui, nous connaissons bien tout cela. Nous aurions échangé des remèdes, et tenté de nous surpasser mutuellement dans la litanie de nos misères physiques ; doucement, nous nous serions plaintes, à voix basse, sur un ton mineur et mélancolique comme des pigeons sur les rebords des gouttières. […] Comme je méprisais ces conversations. Maintenant je soupire après elles. Au moins, nous parlions. Un échange, du moins. »


Oui mais… ce n'est pas ce à quoi devrait servir le langage selon Ludwig. le langage doit servir à transmettre des informations sur le monde selon des règles logiques qui relèvent de l'axiomatique. La simplicité dans ce domaine devrait être notre unique souci. Mais ce n'est pas le cas et depuis que la communication existe, il semblerait que de sérieux barjos aient essayé de rendre le langage tordu en voulant lui faire dire ce qu'il ne peut pas exprimer. A partir du moment où l'homme a développé un réseau de cellules grises trop dense, les choses se sont détraquées. Les propositions insensées et vides de sens (à ne pas confondre) ont pullulé et peuplent le monde, nourrissant la solitude et l'incompréhension des hommes.


Avant de poursuivre plus loin, rappelons ce commentaire primordial de Wittgenstein sur son Tractatus :


« À côté de choses bonnes et originales, mon livre, le traité log.phil., contient aussi sa part de kitsch »


Ce serait une grave erreur de l'oublier. Malgré son nom pompeux, son style sec et rébarbatif de manuel de logique et son aspect purement théorique, le Tractatus logico-philosophicus est un livre d'une originalité redoutable, qui manie l'humour dans la plus grande discrétion pour un résultat des plus corsés. Mais soyons simples et ne tournons pas autour du pot, poursuivons l'enseignement du Tractatus : ce livre est aussi une vaste entreprise de foutage de gueule. Etudiants sérieux et érudits, vous pourrez certainement trouver entre ses pages une nourriture intellectuelle qui vous confortera l'espace de quelques dizaines de minutes, mais bientôt un doute viendra vous assaillir… rien ne tient la route dans ce traité ! en quelques propositions, tout s'effondre, pour peu que l'on décèle dans le texte sa propre contradiction.


Wittgenstein écrit une critique acerbe de la complexité factice que les hommes confèrent au monde par le biais du langage. Pourtant, il a sans doute atteint l'apogée de cette complexité spéculative en rédigeant son Tractatus logico-philosophicus. Vous avez le temps d'aller vous faire cuire un oeuf jusqu'à ce que vous ayez réussi à déchiffrer cette proposition :


« 6. 241 – C'est ainsi que la preuve de la proposition 2 x 2 = 4 se lit :
(Ωv)n'x = (Ωvxn')x Def.,
Ω2x2'x = (Ω2)2'x = (Ω2)1+1'x = Ω2'Ω2'x = Ω1 + 1'Ω1 + 1'x
= (Ω'Ω)'(Ω'Ω)'x = Ω'Ω'Ω'Ω'x = Ω1 + 1 + 1 + 1'x = Ω4'x. »


En fait, n'essayez même pas, ça ne sert à rien.
Wittgenstein détruit la philosophie en tant que discipline qui ne propose aucune nouvelle proposition mais qui essaie seulement (et souvent vainement) d'éclaircir celles qui existent déjà. La philosophie ne sert à rien et ne produit que du non-sens. Et dans ce domaine, Wittgenstein rafle toutes les médailles. Sa propre philosophie ne vaut pas mieux. Il ne s'en cache pas et n'essaie même pas de se justifier. Au moins son Tractatus semble-t-il sincère et humain. Emil Cioran et son principe de contradiction semblent veiller entre les lignes des propositions de Wittgenstein.


Et que dire de la conclusion de cet ouvrage, qui est une merveille à elle seule ? « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » Fallait-il des pages de propositions pour en arriver là ? Oui, sans doute. Approuvant cette conclusion, allons-nous nous taire pour autant ? Non, certainement pas. Et voici la condition absurde de l'être humain définie en une phrase. C'est cruellement tordant, et c'est écrit dans le langage le plus sévère possible. Wittgenstein est un pince-sans-rire doué, un comédien nihiliste du plus grand talent. Il faut se promener entre ses citations comme entre des prototypes humanoïdes d'une invention nouvelle, un peu dégénérés et pourtant fidèles à leur sujet de représentation. Les propositions sont effectivement d'une beauté kitsch et si on ne peut les apprécier pleinement pour leur valeur logique incomplète, on pourra s'émerveiller de leur pertinence psychologique. On cheminera entre le loufoque hallucinogène (« 2. 0232 – Soit dit en passant : les objets sont incolores »), on retrouvera de l'existentialisme sartrien (« 2. 024 – La substance est ce qui existe indépendamment de ce qui arrive »), un éloge à la relativité (« 6. 43 – […] le monde de l'homme heureux est un autre monde que celui du malheureux »), ou l'espoir que des univers infinis à la Kundera existent malgré tout (« 2. 014 – Les objets contiennent la possibilité de tous les états de choses »).


Le Tractatus logico-philosophicus contient un secret : en donnant l'impression de parler de logique sur un mode ennuyeux, il ouvre la porte sur un univers dérangé et chatoyant, aussi envoûtant que les mondes étranges imaginés par Philip K. Dick. On atteint la science-fiction de plus grande qualité, et c'est peut-être de cela dont voulait parler Wittgenstein lorsqu'il évoquait l'importance de l'acte de « montrer ». Alors taisons-nous, et « montrons »…


« 5. 511 – Comment la logique qui embrasse toute chose, qui reflète le monde, peut-elle avoir recours à des attrapes et à des manipulations aussi spéciales ? Pour la seule raison que ces moyens sont liés en un filet infiniment subtil, au grand miroir. »
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Le monde de Wittgenstein repose sur la logique exclusivement. La tâche de la philosophie doit être de clarifier les discours qui depuis la nuit des temps s'embourbent dans des propositions indécidables qui mobilisent les esprit à s'exercer sur rien. Toutes les propositions utiles sont celles qui donnent une image du monde, et elles ne le font que si elles se basent sur la logique.

Fort heureusement, l'être humain est doté à la naissance de cette logique qui lui permet de prononcer des propositions sur le monde, qui n'est rien que le regard logique qu'il porte sur lui. D'ailleurs, il est incapable de penser illogiquement. Mais là où il se trompe, c'est lorsque il ne fait pas l'effort de trier ses énoncés et qu'il parle à tort et à travers en versant par agrément dans la mystique, c'est-à-dire qu'il parle de ce qu'il méconnaît ou de ce qui ne peut être dit, de toutes ces choses auxquelles les énoncés ne peuvent être comparées et sont donc ineffables, indicibles, hors du monde.

Il se trouve que dans cette conception réaliste qui fait reposer l'existence sur l'instant présent et les propositions logiques portées sur le monde, l'être disparaît. Avec Dieu, avec le domaine de la mystique, il sort du monde. On ne peut parler de soi sauf à prononcer des énoncés vérifiables et à se prendre soi-même pour un fait. On ne peut parler des autres que si l'on peut valider par des faits les assertions qu'on porte sur eux. Tout est action, faits, objets. le vocabulaire est explicite : les êtres sont des objets. Exit la psychologie, exit les émotions, exit la volonté, les désirs, les espoirs. L'être est passif dans un monde qui évolue sans lui, limité aux horizons de son langage logique. Qu'il ne croit pas seulement que la science lui explique le monde, elle ne fait que le décrire. Dans ces conditions, il ne reste qu'à observer et à se taire.

Le paradoxe étant qu'à tant prôner la logique, Wittgenstein en finit par situer le sens de la vie dans ce qui se trouve hors du monde : à n'en pas douter, à vivre ainsi, on en deviendrait mystique.
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Dur, quand même, à lire
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
2.027 - Le fixe, le subsistant et l'objet sont une seule et même
chose.

2.0271 - L'objet est le fixe, le subsistant; la configuration est le
changeant, l'instable.

2.0272 - La configuration des objets forme l'état de choses.

2.03 - Dans l'état de choses, les objets sont engagés les uns dans
les autres comme les anneaux pendants d'une chaîne.

2.031 - Dans l'état de choses les objets sont mutuellement dans
un rapport déterminé.

2.032 - La manière déterminée dont les objets se rapportent les
uns aux autres dans l'état de choses est la structure de ce dernier.

2.033 - La forme est la possibilité de la structure.

2.034 - La structure du fait consiste dans les structures des
états de choses.

2.04 - La totalité des états de choses subsistants est le monde.

2.05 - La totalité des états de choses subsistants détermine
aussi quels sont les états de choses non subsistants.

2.06 - La subsistance des états de choses et leur nonsubsistance est la réalité.

2.027 - Le fixe, le subsistant et l'objet sont une seule et même
chose.

2.0271 - L'objet est le fixe, le subsistant; la configuration est le
changeant, l'instable.

2.0272 - La configuration des objets forme l'état de choses.

2.03 - Dans l'état de choses, les objets sont engagés les uns dans
les autres comme les anneaux pendants d'une chaîne.

2.031 - Dans l'état de choses les objets sont mutuellement dans
un rapport déterminé.

2.032 - La manière déterminée dont les objets se rapportent les
uns aux autres dans l'état de choses est la structure de ce dernier.

2.033 - La forme est la possibilité de la structure.
2.034 - La structure du fait consiste dans les structures des
états de choses.

2.04 - La totalité des états de choses subsistants est le monde.

2.05 - La totalité des états de choses subsistants détermine
aussi quels sont les états de choses non subsistants.

2.06 - La subsistance des états de choses et leur nonsubsistance est la réalité.
(La subsistance des états de choses et leur non-subsistance,
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2.022 - Il est patent que, si différent du monde réel que soit
conçu un monde, il faut qu'il ait quelque chose - une forme -
en commun avec lui.


2.023 - Cette forme consiste justement dans les objets.

2.0231 - La substance du monde ne peut déterminer qu'une
forme, et nullement des propriétés matérielles. Car celles-ci
sont d'abord figurées 1 par les propositions - d'abord formées
par la configuration des objets.

2.0232 - En termes sommaires : les objets sont sans couleur.

2.0233 - Deux objets de même forme logique - leurs propriétés
externes mises à part - ne se différencient l'un de l'autre que
parce qu'ils sont distincts.

2.02331 - Ou bien une chose a des propriétés que ne possède
aucune autre, et l'on peut alors .. sans plus la détacher des autres
par une description, et la désigner; ou bien au contraire il y a
plusieurs choses qui ont en commun toutes leurs propriétés, et il
est alors absolument impossible de montrer l'une d'elles parmi
les autres.
Car si rien ne distingue une chose, je ne puis la distinguer,
sans quoi elle serait justement distinguée.

2.024 - La substance est ce qui subsiste indépendamment de ce
qui a lieu.

2.025 - Elle est forme et contenu.
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2.063 - La totalité de la réalité est le monde 1 .

2.1 - Nous nous faisons des images des faits.

2. 11 - L'image présente la situation dans l'espace logique, la
subsistance et la non-subsistance des états de choses.

2.12 - L'image est un modèle de la réalité.

2. 13 - Aux objets correspondent, dans l'image, les éléments de
celle-ci.

2.1 31 - Les éléments de l'image sont les représentants des
objets dans celle-ci.

2.14 - L'image consiste en ceci, que ses éléments sont entre eux
dans un rapport déterminé.

2.141 - L'image est un fait.
-.
2.15 - Que les éléments de l'image soient entre eux dans un
rapport déterminé présente ceci : que les choses sont entre elles
dans ce rapport.

Cette interdépendance des éléments de l'image, nommons-la
sa structure, et la possibilité de cette interdépendance sa forme
de représentation.

2. 151 - La forme de représentation est la possibilité que les
choses soient entre elles dans le même rapport que les éléments
de l'image.

2. 1511 - L'image est ainsi attachée à la réalité ; elle va jusqu'à
atteindre la réalité.
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2.01231 - Pour connaître un objet, il ne me faut certes pas
connaître ses propriétés externes - mais bien toutes ses propriétés internes.
2.0 1 24 - Si tous les objets sont donnés, alors sont aussi en même
temps donnés tous les états de choses possibles.
2.013 - Chaque chose est, pour ainsi dire, dans un espace
d'états de choses possibles. Cet espace, je puis me le figurer
comme vide, mais non me figurer la chose sans l'espace.
2.0131 - L'objet spatial doit se trouver dans un espace infini.
(Le point spatial est une place pour un argument.)
Une tache dans le champ visuel n'a certes pas besoin d'être
rouge, mais elle doit avoir une couleur : elle porte pour ainsi
dire autour d'elle l'espace des couleurs. Le son doit avoir une
hauteur, l'objet du tact une dureté, etc.

2.014 - Les objets contiennent la possibilité de toutes les situations.

2.0141 - La possibilité de son occurrence dans des états de
choses est la forme de l'objet.

2.02 - L'objet est simple
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"Le langage est un labyrinthe de chemins. Vous venez par un côté et vous vous y reconnaissez; vous venez au même endroit par un autre côté et vous ne connaissez plus votre chemin"
in Investigations Philosophiques
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Videos de Ludwig Wittgenstein (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ludwig Wittgenstein
Présenté par Robert Maggiori, philosophe co-fondateur des Rencontres Philosophiques de Monaco et critique littéraire.
« Lettres à sa famille. Correspondances croisées 1908-1951 », Ludwig Wittgenstein, Édition de Brian McGuiness, traduction de Françoise Stonborough, @Éditions Flammarion , 414 pp., 26€
Dans la catégorie : Allemagne et AutricheVoir plus
>Philosophie et disciplines connexes>Philosophie occidentale moderne>Allemagne et Autriche (278)
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