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Critique de clef_en_or


Comment est-il possible que L'Opoponax de Monique Wittig, pourtant couronné du prix Médicis en 1964, soit ensuite passé totalement sous les radars de la littérature française ? Comment est-il possible qu'aucun extrait, aucune mention de ce titre n'ait jamais croisé mon chemin d'ex-étudiante de Lettres et future ex-prof de français, alors même que le nom de son auteure ne nous est, par ailleurs, et ce n'est que justice, pas inconnu – seulement depuis une période récente, certes –, alors que Marguerite Duras, l'idole de nos vingt ans, l'avait finement postfacé ? Lesbienne féministe, devancière et radicale, Wittig a subi l'anathème pour ses idées, et, par ricochet, ce magnifique récit, universel et poétique, connut le purgatoire (l'édition brochée est épuisée !).
Sortez ce texte de l'oubli aujourd'hui : gageons qu'il va vous ramener à votre enfance mieux qu'une madeleine, qu'il deviendra, pour certains, votre livre culte, votre livre de chevet. Pour peu que vous ayez passé la première page et compris le principe – on passe sans transition ni contextualisation d'une scène à une autre – vous deviendrez le corps-même de l'écriture, physiquement revenu à votre hauteur d'enfant, projeté derrière le pupitre à encrier que vous n'avez peut-être pourtant jamais connu. La magie de cette écriture de soi, écriture de l'intime qui ne dit jamais « je », c'est qu'elle restitue cette atemporalité de l'enfance, qu'elle fût vécue dans les années 40, 80 ou 2000, qu'elle se passât en Alsace, en Haute-Marne ou à Paris : la campagne, le village, sont ceux d'avant la ville, d'avant l'âge adulte. Peut-être ceux de votre mère, ou ceux de votre fils. On est Catherine Legrand. On est Catherine Legrand et Véronique Legrand, la petite soeur, qui elle aussi devient mythique. On est les enfants de l'école de campagne. Les filles de l'école de filles. Dans cet âge d'or de l'enfance, on est sauvage, comme les animaux qu'on recueille, on se bat avec la rage de tout son corps contre les garçons. On apprend la mort. On apprend aussi que les enfants d'aujourd'hui ne sont pas plus durs que ceux d'hier.
Le style de L'Opoponax nous habite. Cette déferlante d'évocations, aussi rudes que méticuleuses, sa mélodie vous reviendra le soir avant de dormir. Nous sommes les yeux de l'enfant qui ne sait pas tout nommer et utilise des périphrases objectives, nous sommes dans le pronom « on » de cette marmaille encore ni fille, ni garçon – à nous d'en échafauder notre interprétation. On se dit : Oui, c'est vrai, j'ai fait ça. Et puis, une description de ciels, une énumération de noms de fleurs des champs, décrochent le lecteur du temps révolu pour le transporter dans le monde poétique de la beauté. Cela pourrait sembler répétitif et circulaire, cependant le récit évolue. On est au collège, peut-être. La littérature apparaît. Elle est sondée, incantatoire. Et, ressort de ce récit sans schéma narratif, l'opoponax du titre surgit avant la fin, conviant le lyrisme sous les traits facétieux de l'élément perturbateur, pour éclore enfin dans la beauté de l'expression du sentiment amoureux des premières fois.
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