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Critique de keisha


keisha
13 septembre 2008
Si vous connaissez déjà Jeeves, heureux mortel, lisez ce qui suit juste pour vous faire du bien.
Si vous ne le connaissez pas encore, sachez que spécialement pour vous, j'ai sélectionné un titre qui soit bien représentatif de notre auteur, avec les incontournables Jeeves et Bertram Wooster.
Le rideau se lève dans l'appartement (que j'imagine cossu) de Bertam Wooster :

"Je sortis une main de dessous les couvertures et sonnai Jeeves.
- Bonsoir, Jeeves.
- Bonjour, Monsieur.
Je m'étonnai.
- Est-ce le matin ?
- Oui, Monsieur.
- En êtes-vous sûr? Il me semble qu'il fait bien sombre dehors.
- Il y a du brouillard, Monsieur. Si Monsieur se rappelle, nous sommes maintenant en automne, saison des brumes et des maturations succulentes.
- Saison des quoi ?
- Des brumes et des maturations succulentes, Monsieur.
- Hein? Ah! Oui, oui, je vois. Eh bien, quoi qu'il en soit, préparez-moi un de vos petits cocktails reconstituants, voulez-vous?
- J'en ai un tout prêt dans le frigidaire, Monsieur.
Il s'éclipsa et je me redressai dans mon lit avec l'impression que j'allais mourir dans cinq minutes, impression désagréable, mais que l'on éprouve quelquefois. J'avais donné, la veille, un petit dîner de célibataires au Drones en l'honneur de Gussie Fink-Nottle, avant son mariage proche avec Madeline, fille unique de Sir Watkyn Bassett C.B.E., et ce genre de choses se paie. A vrai dire, juste avant l'entrée de Jeeves, je rêvais qu'un individu malintentionné m'enfonçait des clous dans le crâne et non pas des clous ordinaires, comme ceux qu'utilisait Jaël, la femme d'Heber, mais des clous chauffés à blanc.
Il revint avec le réveille -mort. je l'avalai d'un trait et, apprès avoir éprouvé les quelques secondes de déplaisir inévitable quand on ingurgite un des réveille-mort matinaux de Jeeves : sommet du crâne s'envolant vers le plafond, yeux jaillissant des orbites et rebondissant sur le mur opposé comme des balles de tennis, je me sentis mieux. Il serait excessif de dire que Bertram avait entièrement retrouvé sa forme habituelle, mais, du moins, j'entrai dans la section des convalescents et me sentis en état de faire un brin de conversation
- Ah! dis-je, récupérant mes yeux et les remettant en place, eh bien! Jeeves, quoi de neuf dans le vaste monde ? Est-ce le journal que vous avez-là ?
- Non, Monsieur. ce sont quelques pages de littérature éditées par l'Agence de Voyage. Je pensais que peut-être vous pourriez prendre la peine d'y jeter un coup d'oeil.
- Ah? dis-je, vous pensiez vraiment ...
Et il y eut un silence bref mais lourd de sous-entendus.
Je suppose que lorsque deux hommes de fer vivent en étroite association, cela fait forcément des étincelles de temmps en temps et une crise avait récemment éclaté dans la maison Wooster. Jeeves essayait de m'embarquer dans un voyage autour du monde et je n'en voulais pas. Mais, malgré mes fermes déclarations, il ne se passait guère de jour sans qu'il m'apportât quelque exemplaire de ces prospectus illustrés que les gens qui, prêchant les départs vers les vastes espaces, envoient aux clients dans l'espoir de les allécher. Toute son attitude faisait irrésistiblement penser à celle d'un chien courant qui s'obstine à ramener un rat mort sur le tapis du salon, bien qu'on lui ait fait comprendre du geste et de la voix que personne n'est preneur.
- Jeeves, dis-je, il est temps de mettre fin à cette histoire assommante.
- Rien n'est plus instructif que de voyager, Monsieur.
- J'en ai assez de m'instruire. (...) je me refuse à être embarqué dans un de ces transatlantiques de malheur et ballotté autour du monde.
- Très bien , Monsieur.
Il y avait une nuance de réserve dans sa voix et je pus voir que, sans être exactement mécontent, il était loin d'être content ; aussi, je changeai avec tact de sujet de conversation."

Comme Georges Flipo l'indiquait dans son (excellent ) article sur Wodehouse, l'intrigue suit TOUJOURS le même schéma. Je vais donc me contenter d'ajouter un exemple à son exposé.

Nous avons Bertram Wooster, riche oisif assez futile pourvu d'oncles, de tantes et d'amis à qui il ne peut refuser son aide (son bon coeur le perdra) et Jeeves, son butler, nettement plus fûté que son maître (il mange du poisson, apprend-on). Au début il y a toujours une tension entre eux, cette fois à cause du fameux voyage. Mais le lecteur SAIT qu'à la fin c'est l'opinion de Jeeves qui triomphera :

"- Peut-être que cette croisière ne sera pas si désagréable après tout. (...) Les visages seront nouveaux, n'est-ce pas ? Des milliers et des milliers de gens, mais pas de Stiffy.
- Exactement, Monsieur !
- Vous ferez bien de prendre les billets demain.
- Je me les suis déjà procurés, Monsieur."

Vous avez lu ? Jeeves sait aussi qu'il va l'emporter, TOUJOURS.

Et entre les deux ? Cette fois seront volés un pot à crème du XVIIIème siècle et un casque de policeman, des fiançailles seront rompues puis dé-rompues, un chien forcera nos héros à se réfugier sur les meubles, et Wooster apprendra de Jeeves comment mater le terrible Roderick Spode, "un grand type avec une petite moustache et cette sorte d'oeil qui peut ouvrir une huitre à vingt-cinq mètres."

Jamais le temps de souffler. Les personnages sont sans cesse plongés dans de nouveaux imbroglios , tout est lié, et la mécanique des quiproquos et des entrées et sorties est aussi bien huilée que chez Feydeau.
De toute façon, quelle que soit la situation, on SAIT que Wooster s'en tirera, et bien sûr TOUJOURS grâce à une idée géniale de Jeeves. A la fin tout rentre dans l'ordre initial. Pourquoi lire alors ? Mais pour savoir le "comment" , et bien s'amuser sans trop fatiguer ses neurones.
http://en-lisant-en-voyageant.over-blog.com/article-22027455.html
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