Début janvier. La tempête fait rage. Je lis
Acid Test de
Tom Wolfe, avec un jus d'orange tout frais sorti du frigo contre la gueule de bois des fêtes… Issu de la mouvance du « nouveau journalisme », ce roman-reportage fait l'article d'un phénomène contemporain de l'auteur, dans l'Amérique des années 60 d'Hunter Thomson (Hell's Angels),
Jack Kerouac (
sur la route),
Neal Cassady,
Larry Mc Murtry (lonesome dove) et de quelques autres : celui de
Ken Kesey (
vol au dessus d'un nid de coucou) et sa communauté de camés.
Je regarde dehors, les arbres prennent vie ; Leurs silhouettes se meuvent, ombres menaçantes au dessus de ma tête. Tout se déforme et se décline en mille couleurs d'éclairs. Et tourne, tourne ma tête…::::::
Kesey, perso principal de l'aventure, fait partie de ces auteurs dont la célébrité vient autant de son talent que de sa réputation pour son « expérience » de la drogue, dont il devient l'ambassadeur. Gourou de la libération des sens et de l'abolition des frontières enchaînant nos cerveaux, il prône la libéralisation des drogues, afin d'atteindre notre subconscient et d'abolir toutes limites à nos capacités sensorielles.
Le vent s'engouffre et m'envahit de bruiiiit ::::: souffle lancinant et brutal, choc des gouttes sur les vitres, un ploc transparent et sonore multiple de l'infini, la couleur bleue qui éclate et éclabousse mon visage, se divise, se multiplie, emplit mon cerveau ; bruit de l'eau qui s'écoule, pommes de pin qui tombent et cognent sur ma tête pleine d'eau , plouf ; les tuiles qui bougent kliiiiiiiiing, les troncs qui grinccccent.:::::::::: Avant le succès de ses livres,
Ken Kesey se fait de l'argent comme cobaye, embauché pour tester de nouvelles molécules, de nouvelles drogues médicinales…
Le feu nourri des balles de grêle crépite dans ma tête ; explosion de blancheur dans mes tempes.
Ces substances lui ouvrent de nouvelles perspectives, sensations ; « expériences », qu'il veut partager au monde entier. En commençant par sa petite bande de fidèles, sa communauté qu'il trimbale en bus, équipé pour l'expérience : de caméras, de micros destinés à amplifier, déformer, faire vibrer la réalité pour la vivre pleinement sous toutes ses coutures. Et de toutes drogues sous toutes leurs formes pour décupler les expériences.
No limit. Sauf l'acide dans le jus d'orange, qui est seulement pour les grandes occasions ::::::: AVALANCHE de couleurs dans moi, tout le monde devient transparent : je VOIS enfin les gens et ils sont moi, aucune frontière entre nous. Couuuuucou vous - Compris.
Tom Wolfe me livre les clés de ce monde sans frontières où tout est limpide, comme cette pluie divine qui délite mes chaînes.
J'ai soif, ce livre m'assèche la rétine mais ce jus d'orange, foutument acide, apaise ma brûlure. Je « salive-live-live-live-live ».
Ken Kesey, l'évidence ; tout explique ce « vol au dessus d'un nid de coucou », qui rejaillit plus fort en moi, sous cet éclairage nouveau.
Et
Tom Wolfe de poursuivre le récit de ce very bad trip en bande désorganisée, promouvant l'expérience du présent universel, joueurs de flûte sillonnant l'Amérique sur le toit d'un bus, pour réveiller les consciences, être tous « synchro » et ne faire qu'un : être l'Autre, accéder à sa conscience, ses sensations. « Savoir » tout de lui, ce qu'il pense.
Alors ils font le film de leur « présent », pour créer une nouvelle manière de diffuser leurs idées. Car l'écriture est dépassée : « nous sommes prisonnier d'une syntaxe, dominés par un instituteur imaginaire, avec son stylo bille rouge, qui nous colle un zéro pointé à la moindre infraction. ». Visualiser ce film de leur « présent » désormais passé questionne l'existence du présent : nous subissons toujours le décalage qu'il faut pour réagir à quelque chose. « Nous sommes tous condamnés à passer notre existence devant notre film. Nous ne faisons que réagir à ce qui vient de se produire (…) Nous croyons vivre dans le présent mais c'est faux ». « Le présent que nous connaissons n'est qu'un film de notre passé ». « Il nous faut surmonter ce décalage ». Car « Nul ne peut créer vraiment sans commencer par surmonter tous ces décalages ». Pour ça, il faudrait être plus… speeeeeeeeeeed. Comme durant cette rencontre avec les Hell's Angels grâce à Hunter Thomson.
Bon sang ce qu'
il est acide, ce jus d'orange.:::::: « Ils avaient triomphé du pire handicap que connaissent les intellectuels - le complexe de la vraie vie. Les intellectuels étaient toujours paralysés par cette impression qu'ils n'accrochaient pas à la vie réelle. »
L'art de
Tom Wolfe est de nous plonger à la fois dans l'acide psychédélique du bus, bourré de hard rock et et de stroboscopes, tout en y mêlant la parole du journaliste plein de recul qu'il peut être, nous livrant presque une étude scientifique du mouvement sociologique qu'il décrit, pointant ses points communs avec les religions et sectes qui l'ont précédé : « Je me suis efforcé non seulement de raconter l'histoire des Prankers, mais aussi d'en créer l'atmosphère mentale, la réalité subjective. Je ne crois pas qu'on aurait pu, sinon, comprendre quoi que ce soit à pareille aventure ». Au final, il l'analyse autant de l'intérieur que l'extérieur. Un roman d'un nouveau genre sur un
Ken Kesey en « Christ à la coule » ou « mystique moderne », ses incroyables « party » surveillées par les « chaussures noires » du FBI, sa paranoïa, ses démêlés avec la justice, sa fuite au Mexique avec les briques de jus d'or…
Oh purée, le jus d'orange ! ::::::….. Qui l'a mis dans mon frigo ? Qu'avez-vous mis dedans ? Vous voulez tous ma mort, c'est ça ?! Est-ce que c'est toi Chou, tu veux la maison pour toi tout seul ? Ou est-ce Berni_29, qui veut récupérer son exemplaire d'Anna Karénine ? Ou alors Pierigwenn, qui aime tant la neige, cette sacrée poudre blanche de Noël et qui la veut tout pour sa consommation perso… Overdose-dose-dose ;;;;;;;;; ??? L'éclair explose mes vitres, mes veines, mon sang jaillit, phosphorescent dans le noir intempestif tombé du ciel. Silence. Ça roule, gronde, claque, grince ; scalpels sur mes nerfs à vif. La foudre et tout prend feu, mon livre brûle, mes yeux piquent et mes neurones se barrent mais je poursuis.
Ça y est je l'ai : la « vue kaléidoscopique de l'Amérique depuis un bus conduit sous acide » annoncée par la quatrième. Ça file. A toute vitesse. Sans les limites. C'est parfois drôle, et parfois long, éprouvant, ce road-TRIP-movie : « Le voyage en autobus devenait toute une allégorie de la vie. »
Mais de la vie, personne n'en sort vivant. Sauf les Morts. Reconnaissants (Grateful Dead). Ouvrez vos chakras les amis, buvez du jus d'orange acide… « Pouvez-VOUS passer le test de l'acide », « et passer à travers tout ça sans crouler »…?
Mais pssssssst, t'inquiète, si t'as pas pris de jus d'orange avant de lire ça, tu peux aussi compter sur ce résumé masqué, et boire de l'eau fraîche…:
Tom Wolfe, journaliste, couvre la folle épopée de l'auteur Ken Kesey (Vol au dessus d'un nid de coucou), gourou du Kairos d'Aldous Huxley, que ces party d'« acid test » ont fini par mettre dans le collimateur du FBI et contraint à fuir au Mexique. Mais comment se contenter de quelques articles de journal, quand on pourrait littéralement écrire un roman de cette folle aventure ? D'ailleurs, écrire un roman est bien la seule façon de faire pénétrer le public dans l'histoire, afin de lui faire véritablement comprendre - vivre ? - ses tenants et ses aboutissants. A condition que le mode d'écriture le permette - Mais qui mieux qu'un auteur de cette vague de « nouveau journalisme » émergeant pourrait créer ce rendu subjectif et percutant ? Ajoutant à ses investigations les témoignages des principaux intéressés, et à son récit une véritable plongée stroboscopique dans les visions déformées, les pensées « éclairées » et les ressentis décousus peints au Day-Glo de cette communauté de camés, Tom Wolfe offre ainsi « une vue kaléidoscopique de l'Amérique depuis un bus conduit sous acide ».