Lee, jeune délinquant, a l'impression de faire un cauchemar : il vient de se réveiller dans le lit d'un motel, une balle dans le ventre, et il se demande bien ce qu'il fait là aux côtés d'une valise remplie de billets. Dans ce motel, il y a aussi Wild ; Wild qui a tout perdu depuis son addiction à la morphine : femme, enfant, et son travail de médecin ; Wild qui est en cavale. Josef est le troisième larron de l'intrigue. C'est un vieux gangster à la poursuite de Lee et de l'argent qu'il a dérobé. Voilà trois trajectoires vouées à se rencontrer, d'une manière ou d'un autre.
Faut-il y voir l'empreinte d'une quelconque destinée ? C'est plutôt une catastrophe en marche qui s'annonce : « Les gens ne croient au destin que lorsque l'issue est positive. C'est face à la catastrophe qu'on entrevoit d'autres possibilités, multiples, qu'on imagine des versions plus heureuses. Ce qui est et ce qui aurait pu être se dévisagent avec nostalgie mais sans jamais se rejoindre. » (p. 213.)
Les éditions Albin Michel avaient publié en 2012 «
Les affligés », un roman noir éblouissant. Avec «
La mauvaise pente »,
Chris Womersley confirme son talent. Son oeuvre est poignante à plus d'un titre.
Celle-ci est traversée de bout en bout par la question du temps : « Comment savoir qu'on agit comme il faut ? Comment le savoir ? La vie devrait se dérouler à l'envers : au moins, on pourrait voir les conséquences de ses actes en premier. » (p. 288.)
L'auteur, qui a un style percutant, sait également très bien rendre par la linéarité des mots la qualité des ambiances, la manière dont les couleurs viennent habiter l'espace, qu'il s'agisse de l'espace physique ou mental : « Wild savait que toutes les ténèbres n'étaient pas les mêmes. Certaines étaient plus complètes que d'autres, plus galbées, plus denses ou plus compliquées qu'il ne semblait à première vue. Certaines étaient familières, et d'autres pas si faciles à identifier. » (p. 157.)
L'ensemble est poignant, attendrissant parfois, notamment quand la neige se met à tomber, inopinément, ce qui permet à Josef une découverte inédite, lui qui n'avait de cet élément qu'une représentation abstraite, par le biais des mots de sa mère.
L'environnement, inhospitalier et froid, vient faire écho au monde intérieur que porte chacun des protagonistes : l'enfance, les souvenirs, le remords ressurgissent çà et là au détour du chemin : « Soudain, il pensa à une expression de sa mère – c'était quoi ? Tremblement de terre. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Autrefois, quand il était enfant. Tremblement de terre. Les souvenirs sont des monstres étranges, faisant surface inopinément, surgissant de profondeurs inattendues. » (p. 105-106.). Dans cette oeuvre, l'action, la fuite en avant ne sont pas premiers, c'est plutôt le champ de l'introspection que l'auteur veut mettre en valeur, le retour sur soi et son passé.
Mais la blancheur immaculée de la neige, aussi séduisante soit-elle, ne trompe personne : même si elle pare le paysage d'une beauté sculpturale, celle-ci reste fragile et ne peut masquer le délabrement des choses et des êtres : « le jardin était spectaculaire. Avec ses gouttières étincelantes et son toit blanc, même cette baraque délabrée avait embelli, comme si elle avait été destinée à ce décor-là. Sur ce fond de ciel sombre et moutonneux, ce taudis était presque rayonnant. » (p. 296-297.)
Chris Womersley peint ici une fresque aussi grandiose que noire sur une catastrophe en marche, un tremblement de terre souterrain, qu'un tableau blanc viendra accueillir et engloutir, sur le fond d'un ailleurs : « Enfin. Sauvé il serait sauvé il serait. Sauvé. » (p. 331.) Au terme du chemin, il reste le contraste du blanc immaculé et sépulcral d'une neige touffue et la noirceur d'ensemble. Sublime et bouleversant.