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EAN : 9782226450555
480 pages
Albin Michel (26/01/2022)
4.24/5   164 notes
Résumé :
« Si Cormac McCarthy avait écrit sur les femmes, il les aurait imaginées comme Amy "Chevy" Wirkner. Un roman terrifiant, entêtant et profond, habile et maudit. Une formidable nouvelle voix. » Tom Franklin, auteur de Braconniers et La Culasse de l’enfer

Amy Wirkner, lycéenne de 18 ans, est surnommée « Chevy » par ses camarades en raison de son surpoids. Solitaire, drôle et intelligente, elle est bien décidée à obtenir une bourse pour pouvoir aller à l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (52) Voir plus Ajouter une critique
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“ Dans les ténèbres, je me sens à l'aise, je me sens puissante. Peut-être y a t-il vraiment de la cruauté en moi. Acquise ou innée, je n'en sais rien. Peut-être que je voulais simplement voir ce qui arriverait. Peut-être que je voulais sortir de l'ombre et prendre part à ce combat. Peut-être que personne ne sait pourquoi les gens agissent comme ils le font. ”

Lady Chevy, c'est le genre de récit qu'on se prend en pleine face, qui vous fore le cerveau jusqu'au tréfonds pour faire surgir des émotions oxymoriques obsédantes. Implacablement sombre, ce premier roman s'est choisi une anti-héroïne de la trempe des inoubliables, très loin des créatures fragiles qui suscitent une immédiate empathie.

Amy, 18 ans, est une endurcie, intelligente, déterminée, à accéder à ses rêves, les yeux vissés sur une bourse universitaire qui lui permettrait de devenir vétérinaire. Endurcie par les moqueries et le harcèlement scolaire subie à cause de son obésité. Endurcie par la pauvreté, vivant dans une roulotte avec ses parents, un père faible et alcoolique, une mère qui découche. Endurcie par la naissance d'un petit frère difforme, né lourdement handicapée après la cession des droits de leur sous-sol et l'installation au fond du jardin d'un puits de forage type fracturation hydraulique. Endurcie par le poids de sa famille maternelle entre un grand-père qui a été Grand dragon du Klan et un oncle aimant survivaliste néo-nazi vétéran de l'Irak. Endurcie et prête à tout pour préserver son avenir lorsque la tragédie survient d'un plan foireux mal organisé par son ami Paul auquel elle participe.

John Woods pousse très loin les curseurs du roman noir américain en cochant toutes les cases des dérives de l'Amérique rurale pré-Trump ( suprémacisme blanc, bunker sous la maison, misère sociale, désespoir profond ) puis en inscrivant son récit en Ohio désindustrialisé, dans un environnement ravagé par la rapacité des industries du gaz, par la fracturation hydraulique et la pollution des aquifères à cause du rejet de milliards de litres d'eaux empoisonnées par les forages. Il rajoute même une surcouche de noir en offrant l'enquête policière à un policier nihiliste adepte de Nietzsche, Darwin et Heidegger.

Cela pourrait faire beaucoup de noir, de glauque. Ça pèse lourd dans un récit saturé de violence, sans faille ni concession au moindre apaisement à procurer au lecteur. Et pourtant, Lady Chevy évite la caricature et propose un récit de survie passionnant sur le poids de l'hérédité et du déterminisme social.

« Je m'agenouille sous un orme et prie un dieu presbytérien de colère et de feu, j'y mets toute mon âme dévoyée, souillure prédestinée qui s'épanouit en une fleur ténébreuse »

Avec l'alternance de la voix à la première personne d'Amy et celle à la 3ème personnage du flic, le suspense s'organise subtilement, la tension monte, à coups de phrases courtes et de mots qui ont un oeil pour l'ambivalence morale. On est aux côtés d'Amy, on a envie qu'elle s'en sorte, on veut qu'elle survive à son milieu sordide malgré son arrogance, malgré le faible accès à son intériorité émotionnelle étouffée par le poids du malheur, malgré ses actes. Jusqu'à la confrontation entre les deux personnages principaux, troublante, dérangeante, jaillissant d'un formidable dialogue-confession quasi philosophique qui met en lumière l'ambiguë plasticité des repères moraux. Malgré un dénouement plutôt brouillon organisé autour d'un coup du sort un peu trop bienvenu, on sort chaos debout de cette lecture.

Un roman entier et tranchant qui sort nettement du lot, crûment violent, porté par un personnage principal marquant. Un roman en colère qui reste collé à vous, cruelle réflexion sur la zone grise entre Bien et Mal dans cette Amérique blanche qui se sent crever.
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Incipit : « Sans Dieu, tout est permis. » Fiodor Dostoïevski
Voilà qui donne le ton d'emblée, et autant vous le dire tout de suite, Amy Wirkner, ne croit pas en Dieu.
Qu'est-ce que le bien ? Qu'est-ce que le mal ? Dieu existe-t-il ? le Diable existe-t-il ?
John Woods signe un roman noir magistral, très maîtrisé pour un premier roman.
Amy, dite Lady Chevy « par ce qu'elle a le derrière très large, comme une Chevrolet » est une anti-héroïne que je ne suis pas prête d'oublier et qui n'a jamais aussi bien défini l'expression il faut se méfier de l'eau qui dort.
Amy, dix-huit ans, sort tout juste de l'adolescence, elle est le bouc émissaire de ses « camarades » de classe, moquée pour son obésité. Heureusement, elle peut compter sur ses deux amis d'enfance, Paul et Sadie.
Amy ronge son frein, et rêve de quitter ses parents paumés et leur mobil-home, son grand-père ex grand dragon du KKK, son oncle néo-nazi qui dispose d'un bunker et d'un arsenal de guerre chez lui, son bled paumé de Barnesville dans l'Ohio, pour prendre son envol et faire des études de vétérinaire.
Le jour où Paul, dont elle est amoureuse depuis de nombreuses années, lui propose de faire les 400 coups, elle prend le risque, mais bien sûr, le plan ne va pas du tout se passer comme prévu.
Jusqu'au Amy va-t-elle être prête à aller pour ne pas renoncer à ses rêves ?
L'auteur nous emmène dans les tréfonds de l'Ohio qui a vendu son âme à l'industrie de la fracturation hydraulique et dans celle d'Amy qui va se révéler à elle-même dans ce qu'elle a de plus sombre, son instinct de survie animal. Manger pour ne pas être mangé.
John Woods alterne dans son roman des chapitres avec une numérotation classique et ceux numérotés d'un simple H. H comme Hastings, l'autre anti-héros, le flic de Barnesville qui va mener l'enquête concernant Paul et Amy, et là aussi c'est du grand art.
J'ai été absolument estomaquée par la noirceur, la puissance et l'originalité de ce roman, qui, je pense, va rester gravé dans ma mémoire. Un de mes coups de coeur de 2022.
À découvrir absolument si ténèbres et cynisme ne vous font pas peur !
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Barnesville, petite ville dans l'Ohio, n'est plus que l'ombre d'elle-même. La fracturation hydraulique a aujourd'hui remplacé la scierie, notamment grâce aux terrains que les particuliers veulent bien louer. Même à contrecoeur. Les parents d'Amy sont de ceux-là. Au bout de leur propriété, à 400 mètres de leur mobil-home, se dresse la flèche du puits. Et il n'y a qu'un pas pour soupçonner cette nouvelle pollution d'être responsable de la difformité de son petit frère, Stonewall. Avec un père qui a baissé les bras, une mère volage, des camarades d'école qui se moquent d'elle depuis la maternelle à cause de son surpoids, Amy, surnommée Lady Chevy, n'a qu'une hâte : quitter ce trou perdu et obtenir une bourse d'études universitaires afin de devenir vétérinaire. Lorsque son meilleur ami, Paul, lui demande de l'aider pour un plan foireux, Amy peine à refuser. Malheureusement, la situation va déraper mais la jeune femme n'est, en aucun cas, prête a abandonner ses rêves...

Timide mais endurcie, résolue, acharnée, Lady Chevy est de ces personnages féminins inoubliables. de ceux que l'on apprend à aimer malgré leurs actes répréhensibles, parce qu'ils nous touchent de par leur force, leur ténacité, le sort qui semble s'acharner. Mal entourée entre des parents absents, un grand-père Grand Dragon du KKK, un oncle survivaliste et néo-nazi, Lady Chevy ne pourra compter que sur elle si elle veut se libérer du carcan de cette famille. Intelligente, elle n'aura d'autre choix que de se sortir du pétrin dans lequel son meilleur ami l'a mise et devra dompter cette boule de rage et de violence qui la consume. John Woods entremêle l'histoire d'Amy avec celle de Hastings, le policier de Barnesville, qui, s'il ne croit plus en la justice, dictera ses propres lois. Il nous plonge dans une Amérique désenchantée, brisée, perdue, un brin désoeuvrée, où la frontière entre le Bien et le Mal devient floue, où la Morale a laissé sa place à la haine, la violence, le racisme, où le culte du dollar a remplacé celui de l'écologie. Un tableau d'une noirceur absolue, plombant, voire terrifiant. Un premier roman d'une grande force et d'une rare virtuosité...
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Amy Wirkner habite à Barnesville dans l'Ohio.
Un petit village américain comme il peut en exister tant.
C'est aussi le terrain de jeux que choisit l'écrivain John Woods pour son premier roman, Lady Chevy, une histoire noire et suffocante sur l'Amérique d'aujourd'hui dans la lignée du prodigieux Ohio de Stephen Markley.
Mais à la différence de celui-ci, John Woods opère un choix encore plus radical qui va le rendre tout à fait unique et particulièrement mémorable.
Aujourd'hui traduit par Diniz Galhos dans la prestigieuse collection Terres D'Amérique chez Albin Michel, Lady Chevy est là pour bousculer vos conceptions morales.

Comme nous le disions en introduction, Amy Wirkner, une adolescente de dix-huit ans, vit dans un petite village de l'Ohio. du haut de ses cent vingt-deux kilos, Amy est bien sûr la cible des moqueries et des insultes au lycée où elle étudie. On pourrait d'abord croire à une énième histoire sur le harcèlement scolaire ou la difficulté à être différent dans un monde d'adolescents impitoyables mais…pas du tout. John Woods introduit Amy d'une façon différente car Amy ne se laisse pas faire, elle a appris à rendre coup pour coup. Cette philosophie de vie, elle le doit à son grand-père, ancien Grand Dragon du Ku Klux Klan et monstre dans l'ombre de la vallée.
Lady Chevy lui sert de surnom, un surnom dégueulasse qui compare son postérieur à la largeur imposante d'une Chevrolet. Mais à force de l'entendre, le surnom est resté et même Chevy n'en a plus rien à faire.
Amy vit avec ses parents, un couple raté avec un père minable et une mère qui découche, un amour flétri qui s'est perdu des années plus tôt. Ce qui les rassemble : leur affection pour Amy et leur espoir, un peu fou, qu'Amy s'en sortira, elle. Car Amy est une excellente élève, l'une des plus brillantes de son lycée et souhaite devenir vétérinaire. Pour cela, bien sûr, il faudra à la fois être acceptée dans une Université au niveau mais aussi obtenir une bourse pour financer des études que ses parents n'ont aucunement les moyens de lui offrir.
Amy est un espoir dans une étendue noire, celle de Barnesville, un village ravagé par l'industrie du gaz de schiste et sa fracturation hydraulique qui pollue ce coin reculé des États-Unis jusqu'à la moelle. le petit frère d'Amy, Stonewall, en a d'ailleurs fait les frais dès le ventre de sa mère et il ne subsiste aujourd'hui de lui qu'un enfant polyhandicapé et atteint d'épilepsie grave et incurable. Stonewall n'a strictement aucun espoir.
Amy, elle, peut compter au moins sur deux personnes : son oncle Tom, ancien militaire qui a jadis combattu à Falloujah, et Paul, son ami-amoureux avec qui elle rêve d'avoir une véritable histoire d'amour un jour. Un soir, quand Paul vient chercher Amy pour se venger de Demont, l'entreprise de fracturation hydraulique qui exploite la ville, elle ne se doute pas que cela fera d'elle une meurtrière. Mais Paul n'est pas la seule personne qui a décidé de se faire justice elle-même pour venger son père qui crève des suites de son travail dans les mines de charbon, un autre en ville a décidé de franchir la ligne rouge et ce n'est autre que Brett Hastings, un flic philosophe devenu vigilante aux méthodes expéditives.

Lady Chevy est un roman entier et courageux, le genre d'expérience littéraire qui remue les tripes et choppe le lecteur par les gonades. John Woods ne fait pas le choix du héros et de l'anti-héros, de trouver un gentil et un méchant, il nous largue au beau milieu d'une galerie de personnages en nuances de gris où la moralité devient une chose difficile à concilier avec les sentiments que l'on ressent à la lecture. Amy n'est pas une héroïne, c'est une adolescente élevée par des gens médiocres ou radicaux, parfois les deux et souvent même monstrueux en paroles et en actes. de cette éducation, que peut-il advenir d'autre qu'une jeune femme dure comme l'acier et emplie de rancoeur ?
John Woods va entremêler l'histoire d'Amy avec celle d'Hastings, un policier dont l'identité s'est construite sur les écrits de Platon, Rousseau et Nietzsche et qui a transformé son nihilisme absolu en racisme et en misogynie. Hastings hait le monde faible dans lequel il vit et ne conçoit plus l'humanité que par le prisme de la loi du plus fort. Sa moralité prévaut sur la Justice et sa justice prévaut sur la morale. Il entre en résonnance avec Amy et le terrible drame qui va se jouer devant les cuves de Demont. Tuer ou être tué, dévorer ou être dévoré.
L'écrivain américain nous présente l'Amérique blanche, celle qui se sent en train de crever, annihilée et asphyxiée par un monde extérieur qu'elle ne comprend plus, par un monde qui l'accule et l'humilie, un monde qu'elle ne perçoit plus qu'à travers la haine et la pauvreté.
Barnesville est un trou perdu avec une économie en ruines où l'on revend sa maigre parcelle de terre pour bénéficier des revenus d'une fracturation hydraulique qui finit par anéantir toute vie autour, qui fracture bien davantage que la terre. C'est l'histoire d'une catastrophe environnementale mais aussi humaine, une histoire où l'on crève.

Le choix le plus audacieux effectué par John Woods, c'est de mener un récit sur l'Amérique des rednecks en adoptant leur point de vue et en tentant de l'expliquer. le bien et le mal deviennent dès lors des notions fluctuantes, relatives, des constructions morales que l'on comprend comme ineptes dans un monde où Amy doit faire des choix pour sa survie même si cela passe par le meurtre et le mensonge. Lady Chevy explique la brutalité et la cruauté du monde dans lequel évolue Amy et sa famille. Explique mais n'excuse pas.
Le plus troublant reste cependant qu'ici, le lecteur en viendra à apprécier pas mal de personnages et notamment Amy, émouvante et éminemment humaine avec tout ce que cela présuppose comme failles et comme défauts dans la cuirasse. Et puis il y a Tom, cet oncle survivaliste et raciste qui croit en la fin prochaine de la race blanche dans une guerre civile qui fera passer la Guerre de Sécession pour un joyeux échauffement entre potes. Entre les lignes pourtant, Tom est un homme détruit qu'on a envoyé au front pour tuer des enfants et des innocents et qui n'en est jamais revenu. Que peut-il advenir d'un homme ayant commis de telles atrocités pour son pays et qui se retrouve piégé à son retour dans un trou perdu où règne misère et haine avec pour seul passe-temps la rumination sa propre haine ? John Woods s'essaye à l'exercice périlleux de sympathiser avec le démon, de montrer que le Mal absolu n'existe pas ou, au moins, bien plus rarement qu'on ne le pense. Même le grand-père Shoemaker qui a pendu des noirs et fait disparaitre des innocents, même cet homme haïssable est capable de venir un jour relever sa petite-fille humiliée à l'école et qui voudrait mourir loin des regards.
C'est ici qu'intervient toute la subtilité de la plume de John Woods qui évolue dans un monde de paranoïa, de racisme, de misogynie et de haine. C'est l'exposition d'un monde impitoyable qui ne laisse aucun libre-arbitre à Amy : il faut dévorer ou se faire dévorer.

Outre cette réflexion sur le bien et le mal, Lady Chevy est aussi un roman sur la survie du plus fort, sur ce qu'il reste une fois que les lois morales et artificielles de l'homme tombent et qu'il ne reste que les balles et les coups.
Hastings incarne à la perfection cette image monstrueuse, comme une forme suprême de l'évolution qui n'a plus rien d'humain mais qui survivra après la fin. Qu'est-on prêt à faire pour être le dernier sur le ring ? Qui est-on prêt à humilier, avilir ou bouffer ?
Le portrait dressé par John Woods de l'Amérique en devient affolant, terrifiant même. Un pays qui n'a plus de repères moraux autre que la violence et la haine, détruit par son culte du dollar mais qui ne remplacera jamais la catastrophe écologique à venir, qui a perdu la foi en Dieu, en l'Amour et en lui-même. C'est une Amérique où le rêve est mort et où, de facto, vivent des gens de haine et de cauchemar qui se souviennent de temps à autre de certains sentiments humains. Hastings ferait tout pour sa petite fille, Amy aime sincèrement son frère, Tom ferait tout pour aider sa nièce.
Il serait pourtant totalement faux de croire que Lady Chevy soutient ses personnages. Au bout, John Woods conclut sa plongée en apnée par une simple phrase qui offre le choix de l'ouverture.
Celui de quitter les ténèbres pour aller en pleine lumière, ce choix qu'il nous appartient à tous de faire.

C'est un grand premier roman que nous offre John Woods. Une histoire sombre où nos conceptions du bien et du mal s'effondrent, où l'Amérique se noie dans la violence et le racisme, où la terre se meure et où l'avenir devient mirage. Crûment réaliste, violemment amoral, Lady Chevy impressionne et interroge sur ce qu'il adviendra demain de toute cette haine et de ce désespoir qui grandissent en silence.
Lien : https://justaword.fr/lady-ch..
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Avant même d'y entrer le doute n'est pas permis pour ce roman, on est bien aux Etats-Unis. Une couv' au portrait pas très éloigné de la nuit américaine surplombe un bandeau de blurb, dans la collection « Terres d'Amérique ». Bienvenue à Barnesville, dans l'Ohio. le sol de ce roman est une terre d'Amérique qui tremble, sous les « injections à très haute pression, grondements profonds dans les ténèbres souterraines ». Demont infiltre les sols de produits chimiques pour dépouiller le schiste, Demont séduit la famille d'Amy Wirkner en achetant les droits miniers de leur terrain, pour neuf cents dollars par mois. Mais surtout, Demont semble pourrir l'environnement, tout autant que les individus.
Est-ce à cause d'eux que Stonewall est né difforme, sujet à des crises d'épilepsie ? Sa soeur Amy le croit, tout comme elle croit ferme en son avenir à l'université mais surtout en dehors de Barnesville, où son surnom de Lady Chevy parce qu'elle a « le derrière très large, comme une Chevrolet », en dit déjà long sur l'ambiance et l'esprit des lieux. Règnent surtout par ici le chacun pour soi, la loi du talion et du plus fort dans une communauté empreinte d'individualisme voire de solipsisme, s'ensuit une galerie d'individus funestes comme des tueurs potentiels en suspens. L'humanité y semble dégénérée, abâtardie, déliquescente. Même Amy, pourtant souffre-douleur, apprend relativement tôt qu'à « sa façon, la violence résout bien des problèmes », et succombe un peu plus encore avec son ami Paul dans une croisade écoterroriste au dérapage incontrôlé. Un personnage principal équivoque, souffre-douleur sans être pour autant une victime fragile avec qui l'empathie serait automatique. Mais plutôt un personnage principal à l'« âme dévoyée, souillure prédestinée qui s'épanouit en une fleur ténébreuse. ».
À sa décharge, Amy a de qui tenir. Dans l'album de famille il y a cette photo de sa mère et sa tante enfants en robes blanches, avec en arrière-plan, « dans l'ombre projetée par le feu, un corps noir et sans visage qui pend à un arbre ». le grand-père à l'idéal aryen était membre du KKK. L'oncle Tom quant à lui projette son idéal aryen dans la culture nazie, avec un intellectualisme sophistiqué, déviant et nauséabond, en apprenant à Amy les subtilités du maniement des armes.
Le roman évolue ainsi sur la construction d'Amy, son présent et son enfance où « on prenait des battes de base-ball pour frapper des lucioles », dans un ping-pong narratif avec le suivi au quotidien d'Hastings, officier de police convaincu que seuls les plus forts de l'espèce Sapiens méritent considération et survie. L'on fait connaissance de son rire sans humour et de son hobby favori, la cruauté ordinaire, en compagnie d'un homme la tête plongée dans un sac poubelle. Avant le coup de feu retentissant et son « craquement assourdissant, une gerbe de lumière, le son humide de la tête qui se fend dans le sac, puis le corps flaccide qui bascule, frotte contre les parois de terre et disparaît dans l'obscurité. »
Avec de tels personnages aux traits noirs forcés, c'est à un festival de petites ou grandes horreurs auquel le lecteur assistera quasiment de bout en bout. Quand dans la plupart des romans on recherche la figure du Mal, ici on est en peine à trouver le Bien. Les frontières entre les deux sont inexistantes, la violence se justifie dans les règlements de compte, la protection ou l'ambition individuelle, l'écoterrorisme ou la simple bêtise, dans une ambiance trouble à la noirceur indélébile. Une ambiance dérangeante aussi, perdu que l'on sera dans ce monde où le mal finit toujours par étouffer les velléités du bien, où il réussit même parfois à projeter des ombres acceptables. Néanmoins, l'écriture efficace et âpre, ainsi que l'intrigue accrocheuse, laissent entendre une voix prometteuse. Elle creuse ses sillons dans le cerveau du lecteur comme les artères sombres d'une mine, et il lui sera bien difficile de lâcher l'affaire.

« Un jour, tout cela n'aura plus la moindre importance. Cet univers se définit par une succession perpétuelle de création et de destruction, cosmos indifférent de matière bouillonnante dans la noirceur de l'espace infini. C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que l'illusion de la vie. Et la nuit le voile tombe, juste ce qu'il faut.
Le jour viendra où seules les ténèbres bougeront. »
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critiques presse (2)
LaLibreBelgique
21 juin 2022
Plongée dans l'Amérique des laissés-pour-compte avec un diamant noir signé John Woods.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeJournaldeQuebec
19 avril 2022
Lady Chevy, le premier roman de l’Américain John Woods, est loin d’être un conte de fées. Particulièrement noir, il nous entraîne à 1000 km d’ici, dans une région marquée par la violence, la pollution et le désespoir. Un coup de cœur.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (54) Voir plus Ajouter une citation
Je me demandais ce qu'il trouvait de plus à Marybeth et à Olivia. Toutes deux sont plus minces que moi, bien évidemment. Toutes deux ont des seins qui remplissaient ce soir-là leurs robes splendides, avec ce sillon qui fait miroiter tant de possibilités aux yeux des hommes. De mon point de vue, ça ressemble juste à une raie des fesses, fortuitement placée entre deux boules de graisse. (p.137)
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Les garçons ne tardent pas à parler de Call of Duty, à se vanter de leurs statistiques et de leurs frags. Ils jouent à la guerre et je soupçonne ces jeux vidéo de les conditionner secrètement à tuer un jour pour de vrai sur le champ de bataille. La guerre est véritablement le jeu ultime, selon mon oncle Tom, le seul où l'on peut vraiment perdre la vie ou la gagner. (p.248)
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J'ai toujours adoré l'hiver parce qu'à cette saison la forêt est silencieuse. Plus d'insectes, rien qui morde ou qui pique. Aucun autre son que celui de mes pas, le crissement de la neige, le craquement d'une grosse branche gelée. Mon haleine fait comme des volutes fantomatiques, et je m'imagine mon âme qui s'élève.
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Cet univers se définit par une succession perpétuelle de création et de destruction, cosmos indifférent de matière bouillonnante dans la noirceur de l'espace infini. C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que l'illusion de la vie. Et la nuit le voile tombe, juste ce qu'il faut.
Le jour viendra où seules les ténèbres bougeront.
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Ils me dévisagent. Ils me scrutent pour éviter de se regarder. L’air de ma chambre est tellement saturé de foutaises et d'hypocrisie que même un courant d'air ne pourrait pas passer. (p.307)
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Videos de John Woods (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de John Woods
A l'occasion du Festival Etonnants Voyageurs, John Woods vous présente son ouvrage "Lady Chevy" aux éditions Albin Michel.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2586937/john-woods-lady-chevy
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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