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Bernard Brugière (Autre)Marie-Claire Pasquier (Traducteur)
EAN : 9782073041364
368 pages
Gallimard (23/11/2023)
  Existe en édition audio
3.83/5   2304 notes
Résumé :
Le roman, publié en 1925, raconte la journée d'une femme élégante de Londres, en mêlant impressions présentes et souvenirs, personnages surgis du passé, comme un ancien amour, ou membres de sa famille et de son entourage. Ce grand monologue intérieur exprime la difficulté de relier soi et les autres, le présent et le passé, le langage et le silence, le mouvement et l'immobilité. La qualité la plus importante du livre est d'être un roman poétique, porté par la musiqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (270) Voir plus Ajouter une critique
3,83

sur 2304 notes
Je ne vais pas vous mentir, Mrs Dalloway n'est pas un roman particulièrement facile à lire ni accessible si vous n'y êtes pas un minimum disposé. Il faut y mettre une certaine dose de bonne volonté, notamment si vous affectionnez l'action, car c'est très psychologique, très intériorisé, tout le contraire du mouvement.

Mais lorsqu'on accepte les règles et de jouer le jeu, de faire l'effort de rentrer dans la tête des personnages et non d'être le témoin de leurs actions, c'est vraiment une expérience littéraire de grande beauté.

Virginia Woolf développe un style bien à elle, très féminin, très subtil, qui tranche singulièrement avec l'écriture masculine de cette époque-là, sauf peut-être de celle de D. H. Lawrence, avec de nombreuses épiphores, mais dans une mouture bien à elle.

Si je devais vous décrire ce roman, je vous dirais que c'est un peu le complémentaire d'un portrait réaliste lorsque vous êtes dans un musée. Face au tableau, vous avez accès à son image à un instant donné, mais seulement à son image. Ce qu'il y a dedans, derrière la façade du regard, derrière les atours du vêtement, vous n'y avez pas accès, vous ne pouvez que l'imaginer, le conjecturer.

Eh bien ici, c'est un peu comme si Virginia Woolf nous ouvrait les portes de ce mystère, comme si elle nous faisait la dissection psychologique de Mrs Dalloway, directement, certes, mais aussi en creux, par la médiation, par l'accès aux pensées d'un certain nombre de personnages qui gravitent autour d'elle.

Il est probablement temps de s'arrêter quelques instants sur le titre du roman et sur le nom du personnage principal. Mrs Dalloway, c'est-à-dire Madame Untel, sachant que le Untel est son mari, c'est-à-dire, dans l'esprit de Virginia Woolf, que le personnage, par cette appellation, est dépossédé, jusqu'à son identité même. Aux yeux de tous, elle n'est que Madame Richard Dalloway, et plus Clarissa comme elle aimait à s'entendre appeler.

Arrêtons-nous encore, si vous le voulez sur ce nom : Dalloway. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre une liste de patronymes anglo-saxons ou un vulgaire bottin pour s'apercevoir que malgré sa consonance très brittish, ce n'est pas un nom véritable, c'est une construction de l'auteure.

Dally en anglais évoque la notion de badinage ou de papillonnage. Way désigne soit le chemin, soit la manière de faire. Virginia Woolf connaissait suffisamment de français pour connaître la signification du mot dalle, comme les dalles d'un sentier tout tracé dans le parc d'une maison de campagne.

Ce titre, aussi anodin qu'il puisse paraître de prime abord, nous en apprend donc déjà beaucoup sur la perception qu'a l'auteure (et le personnage car on se rend vite compte que Clarginia Woolfoway ou Virgissa Dalloolf ne sont qu'un) sur son personnage : une femme enfermée dans une vie factice, faite d'apparences, où l'on se cache derrière un nom sans être jamais soi-même et où l'on suit des rails immuables, sans jamais pouvoir en dévier, comme lorsqu'on redoute de quitter les dalles d'un sentier de peur de se mouiller le pieds.

Finalement, la vraie vie de Clarissa, ça aura été les badinages de sa jeunesse d'où le "dally way ". Ensuite, l'incarcération dans le mariage. Mais au fait, Clarissa, dites-moi, ça ne vous évoque pas quelque chose ? Un classique de la littérature anglaise (complètement oublié de ce côté de la Manche, malheureusement. Mais oui, bien sûr, Clarissa de Samuel Richardson au XVIIIe siècle, Histoire de Clarisse Harlove dans la traduction qu'en a faite l'Abbé Prévost).

L'histoire de Clarissa (grosso modo parce que c'est un sacré pavé) raconte la résistance d'une jeune fille à un mariage d'intérêt que veut lui imposer sa famille, puis sa résistance à nouveau à accepter les avances du fourbe qui l'a enlevée pour échapper au mariage.

Clarissa Dalloway n'est donc pas, selon moi, un nom choisi au hasard, mais il est au contraire éminemment vecteur de sens, ce que l'on retrouve dans le prénom du mari : Richard comme Richardson. Si l'on ajoute à cela que le véritable mari de Virginia s'appelait Leonard, la ressemblance de consonances entre Clarissa et Richard Dalloway d'une part et Virginia et Leonard Woolf d'autre part est saisissante.

Oui, on lit beaucoup d'autobiographie cachée dans Mrs Dalloway. On y lit une volonté féministe farouche, à tout le moins, une volonté d'émancipation de la femme, enfermée dans l'étau du mariage et du qu'en dira-t-on. le contraste est d'ailleurs particulièrement saillant avec le personnage de Sally, l'amie de jeunesse de Clarissa, dont on a peine à retenir le nom de famille, qui est toujours Sally, qu'on connaît pour elle-même et non pour sa fonction, qui se moque des convenances sociales (par exemple, elle s'invite à la réception de Clarissa sans y avoir été conviée). Elle seule semble être un personnage féminin parfaitement épanoui et à l'aise dans son costume.

Il y a aussi la folie et le suicide, deux variables éminemment liées à la personnalité de l'auteure. Elles sont véhiculées dans l'ouvrage par le personnage de Septimus. Ceci permet au passage à l'auteure de régler un peu ses comptes avec les médecins psychiatres de l'époque et qu'elle a dû subir.

En somme, vous êtes conviés à vivre une journée de cette mondaine, de cette haute bourgeoise d'une cinquantaine d'années, tout affairée à la préparation d'une réception pour le soir même. Chemin faisant, par des flash-back ou des évocations, vous pénétrez dans son intimité, dans le fond et le détail de ce qu'elle ressent et du regard qu'elle pose sur elle-même et sur les gens.

Il y a une mélancolie certaine, un sentiment d'être passée à côté de quelque chose, notamment avec son grand amour de jeunesse Peter Walsh. Mais elle l'a refusé naguère, probablement parce qu'il ne présentait pas assez bien en société, probablement parce qu'il risquait de ne pas s'élever suffisamment socialement, probablement parce qu'elle voulait elle, s'élever et briller pour avoir le sentiment d'être quelqu'un...

Elle s'aperçoit de son snobisme et le confesse volontiers. Elle a eu ce qu'elle voulait, un nom et une étiquette prestigieuse auprès d'un mari brave mais ennuyeux comme la pluie. Elle vit dans les beaux quartiers de Londres et brille de mille feux. Mais à l'heure des rides et du bilan, peut-être s'aperçoit-elle qu'elle a tout simplement oublié de vivre, oublié de vivre pour elle-même comme son ancienne camarade Sally, qu'elle retrouve avec une joie mêlée d'un gros pincement au coeur, de même que Peter, qui, après avoir erré aux Indes, est resté constamment épris de Clarissa... ô, elle qui le savait...

Bref, un roman qui m'a vraiment touchée, une introspection subtile et forte qui ne laisse pas indifférents ceux qui se sont déjà colletés à ce genre de questionnements. En outre, ce n'est ici que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. : Outre la filiation que j'ai mentionnée avec la littérature du XVIIIe, on peut aussi voir une très nette filiation, au moins de coeur si ce n'est de style, avec Jane Austen. On trouve, aux environs du premier tiers du roman le passage suivant :
« Car bien entendu c'était cet après-midi-là, cet après-midi précis que Dalloway était arrivé ; et Clarissa l'appelait " Wickham " ; tout avait commencé comme ça. Quelqu'un l'avait amené ; et Clarissa avait mal compris son nom. Elle le présentait à tout le monde comme Wickham. Il finit par dire : " Je m'appelle Dalloway ! " Ce fut la première vision qu'il eut de Richard — un jeune homme blond, plutôt emprunté, assis sur une chaise longue, qui laissait échapper : " Je m'appelle Dalloway ! " Sally s'en était emparée ; et par la suite elle l'appelait toujours " Je m'appelle Dalloway ! " »

Ce passage ne peut que faire grandement penser à Orgueil Et Préjugés, où les personnages de Wickham et de Darcy seraient ici respectivement Dalloway et Walsh, mais, contrairement à l'héroïne de Jane Austen, Clarissa choisira " Wickham ", celui qui présente bien...
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Je reviens d'un voyage extraordinaire. Un voyage en Virginia. Il y a eu un avant Mrs Dalloway. Il y aura un après mais tout ce que je lirai désormais viendra se heurter à cet amour-là. Oui, à cet amour-là, car c 'est bien d'amour dont il s'agit et peut-on dire pourquoi l'on aime?
Ne cherchez pas d'histoire dans Mrs Dalloway car d'histoire il n'y en a pas! Je l'ai cherchée pourtant et le roman a bien failli me tomber des mains vers la page 50 tant j'étais déroutée qu'il ne s'y passe rien. Et puis, soudain, comme dans ces images qu'il faut fixer longtemps pour que nous apparaisse un monde en 3 D, j'ai plongé dans cet univers foisonnant et fascinant: le monde de Virginia! L'écriture est magnifique, d'une sensibilité et d'une poésie que je n'avais jamais rencontré jusque-là. Elle y décrit le souffle du vent dans les arbres et je sentais ce vent sur ma joue, je sentais les parfums de l'écorce. Mrs Dalloway fut pour moi avant tout un voyage sensoriel, je l'ai lu comme on rêve, l'esprit ouvert à toutes les sensations.
Mais plus encore ce livre est un merveilleux hymne à la féminité. Mrs Dalloway, c'est Virginia, c'est moi, c'est ma mère, c'est ma soeur, c'est toutes les femmes à la fois, c'est leur douleur et leur espoir qui est raconté là.
Je me souvenais de l'avoir lu pendant mes études. Il m'avait ennuyée et à présent je comprends pourquoi. Il y a un temps pour lire Mrs Dalloway. Il faut avoir senti la colère et le désir de vie gronder en soi. Et puis plus tard avoir senti, sur ses épaules, tout le poids des regrets. Il faut avoir aimé, il faut avoir pleuré, et trouvé enfin l'apaisement.
Ce livre, j'aurais aimé ne jamais le finir, et j'ai tout fait pour en prolonger la lecture, relisant plusieurs fois les mêmes passages et revenant sans cesse en arrière...
"Malgré tout, qu'à un jour succède un autre jour; mercredi, jeudi, vendredi, samedi. Qu'on se réveille le matin; qu'on voie le ciel; qu'on se promène dans le parc; qu'on rencontre Hugh Whitbread; puis que soudain débarque Peter; puis ces roses; cela suffisait. Après cela, la mort était inconcevable...l'idée que cela doive finir; et personne au monde ne saurait comme elle avait aimé tout cela; comment, à chaque instant..."
Oui, peut-on toujours dire pourquoi l'on aime? J'ai aimé Mrs Dalloway pour sa beauté et pour la grâce.


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Eh bien, quelle étrange, et pourtant jolie, découverte que ce Mrs Dalloway, et je dois avouer qu'il y en a à dire sur lui.
Du point de vue de l'intrigue, il ne faut pas se mentir ni se voiler la face, alors non ! il ne se passe rien, ou quasiment rien ; certains passages semblent d'ailleurs bien longs et inutiles, mais en y regardant de plus près, c'est peut être eux qui donnent cette intensité, cette lumière, cette couleur si délicieuse et presque trop belle au reste du livre. Et puis, en dépit de cette évidente absence d'action, il faut avouer qu'émotionnellement parlant, Mrs Dalloway est un ouragan, un ouragan dévastateur et terriblement bouleversant.
On ne peut ressortir de cette lecture sans trouble ! Et on comprend qu'à travers cette Clarissa Dalloway, il y a surtout Virginia Woolf – il y a d'ailleurs beaucoup de similitudes entre la vie de ces deux héroïnes -, et puis à travers l'imperfection et la fragilité de cette femme, il y a toutes les femmes de l'époque mais aussi celles d'aujourd'hui, et inévitablement, elle nous renvoie à notre propre condition, notre propre personne, et l'on se voit nous et nos faiblesses. En tout cas, j'aime le pouvoir de la lutte féministe en littérature (peut être la seule qui me touche vraiment, et celle qui a le plus de sens à mes yeux), et à travers Mrs Dalloway (et c'était d'ailleurs pareil dans Une Chambre à Soi) les femmes sont vraiment remarquablement et subtilement mises à l'honneur, de quoi être vraiment fière d'être la paire de Virginia Woolf et de ses héroïnes.
Mais ce qui est fascinant avant tout, c'est la mise en scène de la folie (dont on lui attribuera les symptômes) et surtout son obsession pour l'eau qui est un élément très présent tout au long du récit (ce qui est assez troublant quand on sait qu'elle se suicidera - comme l'un des personnages qu'elle met en scène d'ailleurs, bien que différemment - en se laissant couler dans un fleuve…)
Un roman écrit avec grâce et à lire de toute son âme (mais pas l'aventurière, donc) et de tout son coeur.

A voir aussi, le film The Hours (qui aurait pu être le titre de Mrs Dalloway ! Virginia Woolf a longtemps hésité entre les deux), servi par les trois magnifiques actrices que sont Julianne Moore, Meryl Streep et Nicole Kidman (cette dernière jouant le rôle de l'auteure et ayant reçu l'oscar pour cette performance vraiment admirable). L'ayant vu avant de lire le livre, et ayant ressenti le même malaise lors de l'arrivée du générique de fin, je dois dire qu'il est vraiment réussi et fidèle à l'essence même du livre.
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J'ai enfin découvert l'oeuvre de Virginia Woolf, avec son roman le plus connu, Mrs. Dalloway !

Ce roman nous plonge, le temps d'une journée, dans la vie du personnage éponyme, Clarissa. Alors qu'elle prépare une réception pour le soir même, elle fait le point sur sa vie lorsque son ancien soupirant -et ami- Peter Walsh, revenu récemment des Indes, lui rend visite. Mrs. Dalloway est une héroïne commune, humaine, ce qui sans doute fait d'elle un personnage profondément attachant. le lecteur partage ses souvenirs, notamment le choix de se marier avec le député Richard Dalloway, mais aussi ses espérances pour sa soirée, et aussi pour son avenir...Bien évidemment, à travers Clarissa, nous devinons Virginia Woolf, elle-même, qui décrit avec une telle élégance les pensées de cette femme.

Parallèlement à la journée de Clarissa, le récit nous permet de rencontrer divers personnages qui évoluent dans la très grande ville de Londres, et parmi eux, Septimus Warren Smith, un jeune homme traumatisé par la guerre, qui sombre petit à petit dans la folie, malgré l'amour que lui porte sa femme, Lucrezia.

J'ai été extrêmement touchée par ces petits portraits d'hommes et de femmes, si différents, mais finalement liés par une même destinée, la mort.
Une très belle réflexion sur la condition humaine.

A lire !!
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Il ne se passe rien dans ce livre.
C'est-à-dire, pour être honnête, qu'il ne s'y passe presque rien. C'est qu'en effet, on y prépare et on y participe à une vague soirée mondaine. Ce qui n'est pas rien, peut-être, mais on admettra tout de même que ce n'est pas trop loin de l'être.
Et pourtant, on s'en fou complètement de la vacuité de la trame romanesque de ce chef-d'oeuvre, car ce qui s'y passe de vraiment intéressant, c'est une véritable révolution littéraire!
C'est qu'il y a déjà eu un temps où les femmes n'avaient pas le droit d'écrire! Aussi fou que cela puisse paraître aujourd'hui, elles devaient alors se cacher pour leurs publications derrière le nom d'un homme quelconque ou prendre un pseudonyme. Et même lorsque l'inique interdiction disparût, l'écriture a continuée à être dominée par les tendances à la linéarité et à la logique propre au masculin.
Et voilà que soudainement, brusquement (du moins pour mon humble personne), on trouve ici l'écriture d'une femme qui se déploie telle qu'elle existe et pense réellement dans sa féminité. On tombe sur une pensée qui vous saute au visage, qui vous fait rêver, qui vous ennuie aussi parfois, mais toujours pour rebondir encore mieux et raviver d'avantage votre intérêt au passage suivant. Partout, les fils s'entrecroisent sans se perdre, ou enfin, peut-être qu'ils se perdent parfois, mais qui sait s'ils ne perdent rien pour attendre? Après tout, on ne suit Mrs Dalloway que quelques heures et on ne la suit que dans la mesure où on y parvient vraiment.
Le tout m'a complètement enchanté, amusé et séduit. Je me suis senti comme en conversation avec une jolie femme intelligente, piquante d'imagination, d'ironie et d'espièglerie qui ne me laisse pas le temps d'en placer une.
Oui! Je t'écoute ma chère! Oui! Je t'écoute!
Mes yeux, pétillants aux rythmes des charmants feux d'artifices de ton esprit ne te le prouvent-ils pas amplement?
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Citations et extraits (369) Voir plus Ajouter une citation
Quelle que fût sa coiffure, son front ressemblait toujours à un œuf, chauve et blanc. Rien ne lui allait. Quoi qu'elle achetât. Et pour une femme, bien sûr, cela voulait dire ne jamais rencontrer le sexe opposé. Jamais elle ne compterait pour quelqu'un. Récemment il lui avait semblé qu'en dehors d'Élisabeth, elle n'avait vécu que pour la nourriture ; son confort ; son dîner ; son thé ; sa bouillotte chaque soir. Mais il fallait lutter ; vaincre ; avoir foi en Dieu. Mr Whittaker avait dit qu'il y avait une raison à son existence. Mais personne ne savait quelle souffrance c'était ! Dieu le sait, avait-il dit en montrant le crucifix. Mais pourquoi fallait-il qu'elle souffre à la différence d'autres femmes, comme Clarissa Dalloway ? La connaissance passe par la souffrance, avait dit Mr Whittaker.
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C'était surprenant, alors que Miss Kilman se tenait là (et elle se tenait campée, avec la puissance taciturne de quelque monstre préhistorique armé pour un combat primitif), surprenant comment, seconde après seconde, l'opinion que Clarissa se faisait d'elle diminuait, combien la haine (qui devait toucher les idées, non les personnes) s'effritait, combien elle perdait de sa méchanceté, de sa taille, pour, de seconde en seconde, ne devenir rien d'autre qu'une Miss Kilman, en mackintosh, et Dieu sait que Clarissa aurait aimé l'aider.
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Oui, Miss Kilman se tenait sur le palier, et elle portait un mackintosh : mais elle avait ses raisons D'abord il était bon marché ; ensuite, elle avait passé quarante ans et, après tout, elle ne shabillait pas pour plaire. De plus, elle était pauvre ; d'une pauvreté humiliante. Sinon elle ne travaillerait pas pour des gens comme les Dalloway ; des gens riches, qui aimaient être gentils. Mr Dalloway, il fallait lui rendre cette justice, avait été gentil. Mais pas Mrs Dalloway. Elle avait été uniquement condescendante. Elle appartenait à la catégorie sociale la plus dénuée de valeur qui soit - les riches avec un semblant de culture.
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Et comme le fil d'une araignée, après avoir balancé de-ci de-là , se fixe à la pointe d'une feuille, de même l'esprit de Richard, sortant de sa léthargie, se posa à présent sur sa femme, Clarissa, dont Peter Walsh avait été si passionnément amoureux .
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" Faites-moi confiance en tout ", dit-il et il les raccompagna.
Jamais, jamais Rezia n'avait ressenti une telle douleur ! Elle avait appelé à l'aide et on l'avait abandonnée ! Il les avait déçus ! Sir William Bradshaw n'était pas un homme bon. […]
Mais que voulait-elle de plus ?
Il donnait trois quarts d'heure à ses clients ; et si, dans cette science exigeante qui traite de ce dont finalement nous ne savons rien — le système nerveux, le cerveau humain — un médecin perd le sens de la mesure, en tant que médecin, il échoue. Il faut être en bonne santé ; et la santé, c'est la mesure ; de sorte que quand un homme entre dans votre cabinet et vous dit qu'il est le Christ (un fantasme courant), qu'il a un message, comme en ont la plupart, et menace, comme souvent, de se tuer, vous invoquez la mesure ; vous ordonnez du repos au lit ; du repos dans la solitude ; du silence et du repos ; du repos sans amis, sans livres, sans messages ; un repos de six mois ; jusqu'à ce qu'un homme entré à quarante-sept kilos en sorte à soixante-seize.
La mesure, la divine mesure, sa déesse, Sir William l'acquérait en arpentant les hôpitaux, en pêchant le saumon, engendrant un fils à Harley Street par les soins de Lady Bradshaw, qui pêchait elle aussi le saumon et prenait des photographies qu'on pouvait à peine distinguer d'un travail de professionnel. À vénérer la mesure, non seulement Sir William prospérait mais il faisait prospérer l'Angleterre, dont il enfermait les fous, interdisait les naissances, pénalisait le désespoir, empêchait les inadaptés de propager leurs idées jusqu'à ce qu'eux aussi partagent son sens de la mesure — le sien si c'était des hommes et celui de Lady Bradshaw si c'était des femmes (elle brodait, tricotait, passait quatre soirs sur sept à la maison avec son fils). Si bien que non seulement ses collègues le respectaient et ses subordonnés le craignaient mais les amis et les parents de ses patients ressentaient pour lui la plus vive gratitude quand il insistait pour que ces hommes et ces femmes messianiques, qui prophétisaient la fin du monde ou l'avènement de Dieu, boivent du lait en restant au lit comme Sir William Bradshaw l'avait ordonné ; Sir William Bradshaw avec ses trente ans d'expérience de cas semblables, et son instinct infaillible, ceci est folie, cela est raison ; et son sens de la mesure.
Mais la Mesure a une sœur, moins souriante, plus terrible, une déesse engagée […] dans la chaleur et les sables de l'Inde, dans la boue et les marais de l'Afrique, aux abords de Londres, bref là où le climat ou le diable incitent les hommes à se détacher de la vraie foi, la sienne — cette déesse engagée en ce moment même à fouler aux pieds les lieux sacrés, à briser les idoles et à les remplacer par sa sévère figure. Elle a nom Conversion et se repaît de la volonté des faibles, aimant faire impression, s'imposer, adorant ses propres traits imprimés sur le visage de la populace. À Hyde Park Corner, debout sur une bassine, elle prêche ; drapée dans un suaire blanc, telle une pénitente, sous le masque de l'amour fraternel, elle traverse les usines et les parlements ; elle offre son aide mais veut le pouvoir ; écarte les opposants ou les mécontents en les châtiant ; accorde sa bénédiction à ceux qui, levant les yeux, prennent docilement dans son regard la lumière qui éclaire le leur.
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Vidéo de Virginia Woolf
Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix autour du livre : Vers l'Everest de George Mallory traduit par : Charlie Buffet
enregistré le 24 février 2024
Résumé : Inédits du célébrissime George Mallory, premier disparu de l'Everest.
«Une masse triangulaire incongrue a surgi des profondeurs; son côté se perdait dans les nuages. Très progressivement, nous avons vu apparaître les flancs d'une grande montagne, ses glaciers et ses arêtes, tantôt un éclat, tantôt un autre à travers les échancrures mouvantes, jusqu'à ce que, bien plus haut dans le ciel que ce que l'imagination avait osé suggérer, apparaisse le sommet blanc de l'Everest. C'était comme la création la plus folle d'un rêve.» En 1921, un homme marche vers l'Himalaya, fasciné. Il est le premier Occidental à approcher le plus haut sommet du monde, à le décrire, à le photographier, et à s'élever sur ses pentes. Cet homme, c'est George Mallory. Britannique, dandy, courageux dans l'effort et l'inconfort, il est alpiniste par passion, écrivain et artiste par vocation: «Les alpinistes n'admettent aucune différence sur le plan émotionnel entre l'alpinisme et l'Art. Ils prétendent que quelque chose de sublime est l'essence même de l'alpinisme. Ils peuvent comparer l'appel des cimes à une mélodie merveilleuse, et la comparaison n'est pas ridicule.» Mallory écrivait. Ses textes racontent au plus intime ce que fut l'exploration exaltante de l'Everest jusqu'à ce 8 juin 1924 où il disparut sur les dernières pentes du Toit du monde, qu'il fut peut-être le premier à atteindre. Et où son corps momifié a été découvert le 1er mai 1999. Tous les écrits de George Mallory sont rassemblés pour la première fois dans ces pages: textes de réflexion, récits d'ascension, lettres à sa femme Ruth, jusqu'au dernier message confié à un Sherpa…
Bio de l'auteur : George Mallory, né le 18 juin 1886 en Angleterre, fils d'un pasteur anglican, proche du « groupe de Bloomsburry » (Keynes, Virginia Woolf) pendant ses études, alpiniste élégant (une voie porte son nom à l'aiguille du Midi), disparu à l'Everest le 8 juin 1924.
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