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Critique de panakry


Du nouveau sous le soleil. Les arbres refleurissent, annonçant la perspective d'une renaissance : « Chaque année, sans se lasser, le merveilleux printemps raconte à nouveau l'histoire de cette résurrection », notait Vladimir Jankélévitch dans son Traité des vertus. Loin d'être convenue, fleur bleue, cette éclosion printanière doit être prise au sérieux, elle qui se donne comme « la figure cosmique, annuelle, saisonnière, de notre propre destin ». Nous sommes tour à tour glacés et réchauffés. Pleins de joie ou de mélancolie. Tous maniaco-dépressifs ? Revivre. Eprouver nos blessures et nos ressources, magnifique livre du philosophe Frédéric Worms, tombe à pic en ces premiers jours d'avril. Inaugurant une nouvelle collection des éditions Flammarion, Sens propre — aux côtés d'un autre volume, Chanter. Reprendre la parole, de Vincent Delecroix —, l'essai parvient à saisir avec une certaine majesté l'oscillation constitutive de la vie et de l'époque. le sentiment d'être tantôt assailli par la nostalgie, convaincu que tout est déjà passé, dépassé, et tantôt gonflé d'oxygène, débordant d'énergie, comme si tout était encore à venir.

Un simple mot étrange, ambigu, exprime ces secrets revirements de l'existence : le verbe « revivre », ici érigé en titre. Revivre au sens de la répétition obsédante, du ressassement — revivre un traumatisme, par exemple —, mais aussi au sens de nouveau départ, de la disparition de la souffrance, du sou­lagement — je revis, ouf ! La blessure et la ressource. le passé et l'avenir. L'un et l'autre se télescopent dans notre présent, dont le propre est de nous tirer, toujours en même temps, vers l'avant et vers l'arrière : « Revivre nous apprend ce que vivre signifie », écrit l'auteur sans ambages. « Comme si la vie avait un sens, d'en avoir deux, et, dans sa tension entre les deux, de pouvoir perdre ou retrouver ce sens », résume-t-il.

C'est la mobilité fondamentale de l'existence qui intéresse le philosophe. Spécialiste d'Henri Bergson, Frédéric Worms sait que le temps est invention, et la durée, créatrice. Rien n'est jamais figé pour l'homme, doué d'une capacité de résilience et de transformation exceptionnelle : « Des images mobiles et motrices affluent de nouveau dans l'esprit comme le sang sur le visage qui avait blêmi » ; « la poitrine se libère et le coeur respire [...]. Nous revoyons des amis, nous recommençons à rêver, à jouer, à créer, à contempler, à aimer »... En mouvement lui aussi, comme amoureux de son sujet, à la fois précis et ému, l'auteur papillonne dans la philosophie, la littérature, la poésie, l'histoire et le cinéma. Il recueille ainsi le sucre des Fraises sauvages, de Bergman. Et fait son miel de la Vita nova, de Dante, du phénomène de la reprise chez Kierkegaard, de l'éternel retour de Nietzsche, ou encore de l'image du phénix chez Bachelard, cet oiseau magique qui renaît de ses cen­dres, déployant les ailes d'un mythe du renouvellement de soi.

En définitive, Frédéric Worms en appelle dans Revivre à une philosophie entendue comme une pratique, une manière de vivre, dans la lignée de Pierre Hadot. Directeur du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine à l'Ecole normale supérieure, à Paris, Worms est aussi très sensible à la question du soin, du Care. de même que le sujet, en revivant, entre en relation avec les autres après avoir été isolé, séparé de lui-même, de même la philosophie commence vraiment « quand la vie devient relation à la vie ». Il y a là une profonde exigence sociale, morale, politique. N'oublions donc pas de revivre.

Le 14/04/2012
Juliette Cerf - Telerama n° 3248
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