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« Cette histoire ne manquera pas de surprendre ceux qui pensent savoir que
Van Gogh était pauvre et peu intéressé par les finances. Car en vérité,
Van Gogh était un privilégié, obsédé par l'argent et par la réussite. Plus surprenant, c'était un génie du placement financier. Visionnaire, il cherchait la prospérité par le travail. »
Cette phrase a de quoi casser le mythe du pauvre hère, miséreux, malade, alcoolique, à moitié fou, génie seul et incompris… et bouleverser nombre d'idées convenues. Tout au long du livre, la démonstration de l'auteur est structurée, argumentée. Rien à dire, cela paraît solide :
Van Gogh et son frère Théo, entrepreneurs brillants, par l'acquisition d'oeuvres de nombreux artistes modernes et la création des tableaux de Vincent, auraient patiemment constitué une collection d'une valeur inestimable. Une entreprise au succès inégalé.
Connaissant un peu l'oeuvre de Vincent van Gogh et sa correspondance, essentiellement celle des dernières années, à Arles, Saint-Rémy-de-Provence et Auvers-sur-Oise, je donnerai quelques avis sur certains passages de l'argumentation de l'auteur, essentiellement la dernière celle du suicide final à Auvers le 27 juillet 1890, en toute fin de critique.
Désolé, je vais faire un peu long. Les curieux iront jusqu'au bout…
VAN GOGH N'ÉTAIT PAS PAUVRE
« Il vivra avec modestie et un grand souci d'économie, en parfait bourgeois. » ; «
Van Gogh avait des problèmes de sociabilité parce qu'il était en société. Des problèmes artistiques parce qu'il était artiste. Des problèmes financiers parce qu'il avait de l'argent. »
Etonnant, non !
À PARIS, UN CONTRAT EST CONCLU ENTRE LES DEUX FRÈRES
Durant deux années, de 1886 à 1888, Vincent vient habiter chez son frère à Paris. « Théo était convaincu que ses efforts mèneraient un jour à la formation d'une société commerciale. » ; « Les frères renforcèrent leur accord » ; « L'accord portait sur environ 1500 francs par an, Théo prenait le risque de perdre 20 % de ses revenus ».
Sans avis vérifiable : Durant cette période parisienne, il n'y a pratiquement pas de courriers entre les frères. On ne peut donc connaître leur projet d'accord financier, et Vincent n'en parle pas dans d'autres courriers. À moins que…
STRATÉGIES D'INVESTISSEMENT ET DÉBUT DE LA GLOIRE
L'auteur pense que le départ de Vincent en Provence à Arles était une « expédition » destinée à la réussite de l'entreprise des deux frères : faire venir Gauguin et fonder une colonie de peintres, s'inspirer de l'art japonais, réaliser des oeuvres en séries, des portraits, peindre inlassablement dans un but de rentabilisation future de l'oeuvre de Vincent.
Un avis : Tout cela est juste. Y eut-il une stratégie commerciale ?
Plusieurs fois hospitalisé à Arles et à Saint-Rémy-de-Provence, les nombreuses crises de Vincent ne l'empêchent pas de continuer à se battre pour sa guérison et produire inlassablement des tableaux, dont beaucoup de cette période sont considérés comme des chefs-d'oeuvre.
Début 1890, un critique Albert Aurier publie un article élogieux sur le peintre dans le « Mercure de France » et quelques expositions commencent à faire parler de lui dans le milieu artistique. Mais on est très loin d'un véritable début de reconnaissance officielle et de gloire.
THÉO VAN GOGH, MARCHAND D‘ART, AIDAIT LARGEMENT VINCENT DANS SA VIE ERRANTE
« L'allocation de Vincent augmenta au fil des années, pour passer à 150 francs par mois dès 1882 pour finir EN FANFARE avec près de 7000 francs pour les trente derniers mois de sa vie, soit une moyenne de 235 francs mensuels. L'employé des postes Roulin, l'ami de Vincent à Arles, touchait un salaire de 135 francs par mois, avec une femme et trois enfants à nourrir. »
Un avis : La somme de 7000 francs versée dans les trente derniers mois m'interroge… Surtout lorsque que l'on sait que sur l'ensemble de cette période, de la Provence à Auvers-sur-Oise (2 ans et demie), Vincent, malade, fut hospitalisé ou interné à sa demande les deux tiers du temps…
Une anecdote : Vincent qui réside à l'auberge Ravoux à Auvers depuis mai 1890 est invité chez Théo et Jo le dimanche 6 juillet 1890 à Paris. C'est l'occasion pour lui de rencontrer son ami Toulouse-Lautrec et le critique d'art Albert Aurier. Jo et Théo sont très fatigués et la journée se termine en drame familial. Vincent ressent qu'il est la cause des problèmes financiers du couple et repart précipitamment. Inquiet, il écrit deux jours plus tard à Théo : « Je trouve étrange que je sache aucunement sous quelles conditions je suis parti, si c'est comme dans le temps à 150 francs par mois… ». Il se suicide trois semaines plus tard.
LA MORT TRAGIQUE
Théo était très malade et Vincent sentait que ses crises allaient revenir. le capital constitué patiemment en tableaux et dessins risquait de perdre toute valeur. le suicide de van Gogh serait donc « un acte stratégique ultime, voulu, calculé, commis afin d'accélérer le retour sur investissements de Théo. »
« Une seule solution se présenta : le suicide. En crevant de passion pour l'art, l'ensemble de ses tableaux et dessins se pareraient d'une tragédie idéale. C'est ainsi, je crois, que
Van Gogh est allé à la rencontre de sa fin. Il n'avait pas vu de meilleur moyen de respecter ses engagements. Il avait promis de rendre l'argent ou de rendre l'âme, et choisit de rendre les deux. »
Six mois après la mort de Vincent, Théo décèdera à son tour. Plus tard, l'héritière des toiles, Johanna van Gogh, fera connaître l'oeuvre de van Gogh qu'elle fera fructifier dans le temps avec un succès inouï.
Un avis : Ce suicide montrant un
Van Gogh capitaliste et spéculateur, suicidé par désir de faire fructifier un capital pour rester fidèle à ses engagements, est vraiment de la pure spéculation mentale…
L'état d'esprit de l'artiste, profondément dépressif durant les 3 dernières semaines de ce mois de juillet qui allait se terminer le 27 par le geste fatal, est clairement démontré dans ses derniers courriers à Théo. Il ne pensait nullement à sauvegarder un capital risquant de perdre sa valeur.
— les 9 et 10 juillet : « mais ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même, mon pas aussi est chancelant. » ; « j'ai encore peint trois grandes toiles. Ce sont d'immenses étendues de blés sous des ciels troublés et je ne me suis pas gêné pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême. » ; « Je me sens raté. Je sens que c'est là le sort que j'accepte et qui ne changera plus. […] Et la perspective s'assombrit, je ne vois pas l'avenir heureux du tout. ».
— le 23 juillet, dans un brouillon de lettre retrouvé sur lui après sa mort : « Eh bien, mon travail à moi, j'y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié. »
— le 28 juillet 1890, la veille de son décès à l'auberge, Théo venu voir son frère mourant écrit à sa femme Jo : « Pauvre garçon, il n'a pas eu une grande part de bonheur et il ne lui reste plus d'illusions. Tout lui devient parfois trop pesant. Il se sent tellement seul… (…) Tu n'avais pas soupçonné toute la tristesse de sa vie. »
— le 1er août, après le décès, Théo écrit à Jo : « Une de ses dernières paroles a été : « Je voudrais pouvoir mourir ainsi », et c'est ce qui s'est produit. Quelques instants après, c'était fini, il avait trouvé cette paix qu'il ne pouvait trouver sur terre… »
— le même 1er août, Théo écrit à sa mère en Hollande : « Vincent a dit : « J'aimerai partir ainsi », et une demi-heure plus tard son souhait était exaucé. La vie lui pesait si lourdement »
D'autres personnes parleront du suicide de Vincent comme son ami
Emile Bernard, Adeline Ravoux, la fille de l'aubergiste, et, bien plus tard, Johanna van Gogh dans sa correspondance.
La cause essentielle du suicide de Vincent, que l'on ressent constamment dans ses nombreux courriers, était d'être devenu un boulet financier pour son frère, sa nouvelle femme et l'enfant qui venait de naître. Il se sentait dans une grande solitude artistique, sentimentale, et morale, d'autant plus que sa peinture n'intéressant personne, ne se vendait pas.
Malgré ses invraisemblances, ce livre original m'a souvent intéressé. Quelques réflexions sur la peinture contemporaine sont très justes. de très courts chapitres, écrits sur le ton de la fiction, avec des dialogues, sont sans grands intérêts.
Ah ! J'allais oublier ! L'auteur ajoute à la fin du livre : « Il faut le rappeler, tout est faux et inventé. »
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