La guerre était perdue. Les dernières nouvelles disaient qu'à Paris les blancs discutaient la paix. Les Anglais négociaient la reddition, mais aucun Indien ne siégeait avec eux. Joseph Brant était désormais un allié incommode. les survivants des Six Nations vivaient dans une poignée d'iles à l'embouchure du Saint Laurent.
Boire de l'eau signifiait absorber le flux dégoutant qui courait dans les tuyauteries souterraines en bois d'orme, exposées à toutes sortes de saletés, peut-être aussi à ce qui remontait de la Tamise, purin contaminé par toute l'ordure de Londres et de Westminster. Outre les excréments humains, dans ces eaux étaient dilués les acides, les minéraux et les poisons des officines et des manufactures. Sans parler des carcasses d'animaux et d'hommes, et des rejets de baignoires, des cuisines et des urinoirs.
Il commença à parler, en veillant à ce que les phrases sortent de sa bouche comme une eau sale à rejeter. Mais il avait beau s’appliquer, l’arrière goût restait attaché à sa langue
- Vous avez un bien étrange chapeau...
- C'était un bon chien
Kanatawakhon s'arrêta derrière un arbre, visa et fit feu. D'instinct, Joseph allongea le pas, sous le poids de Sakihenakenta. Les muscles lui faisaient mal et la sueur l'aveuglait, mais il n'abandonnerait jamais le corps du guerrier aux corbeaux. Il était mort à son côté, méritait des funérailles et une sépulture dignes.
Les sauvages étaient en Amérique avant tout le monde,quelle découverte. Les écureuils aussi, alors, et pourtant personne ne leur demandait la permission avant d'abattre un bois et d'y cultiver du seigle. Klug en était toujours plus convaincu : il fallait se libérer des gueules rouges une fois pour toutes. Tôt ou tard, un général gentilhomme passionné de squaws allait se convaincre que les indiens avaient droit au bonheur. Même les nègres. Même les écureuils et les bois.