La note est un peu sévère, mais des six ouvrages de
Stefan Wul que j'ai lus pour l'instant c'est sans doute de loin le plus frustrant…
Ses récits associent imagination et évocation à des aspects scientifiques qui ont plus ou moins vieilli. Et souvent l'histoire pèche ou dans la caractérisation ou dans la narration. Ici, c'est la caractérisation qui laisse grandement à désirer et qui est le maillon faible du récit :
- le capitaine Massir est vraiment intéressant, mais on entre dans son esprit par éclipse alors que tout aurait dû tourner autour de lui
- le médecin stagiaire Jolt est assez touchant un geek fasciné par la force de caractère du capitaine Massir, mais n'est presque pas utilisé
- Raol le quartier maître disparaît peu de pages après avoir été sauvé par ses camarades… donc ne sert à rien
On saura beaucoup plus sévère avec le "Prométheus" de Ridley qui date de 2012 et qui est truffé d'incohérences de A à Z. Pour quoi cette référence ?
ben oui, les aliens géants génégénieur de génie qui sont en fait les ancêtres de l'humanité à qui ils ont confié leur héritage génétique, cela ne vous rappelle rien ? blink
La première partie est excellente, très cinématographique dans sa mise en scènes donc pour le coup très moderne dans son traitement. Nous émergeons du chaos en même que le capitaine Massir émerge de ses hallucinations. Son vaisseau s'est crashé et il doit se dégager, se soigner, rallier l'équipage, sauver ce qui peut l'être, déterminer le lieu et la cause de crash, commencer les réparations qui s'imposent… Bref on est un peu dans les naufragés de l'espace. Sauf que de descriptions en description (très réussies d'ailleurs, le suspens étant maintenu un bon moment), la terrible vérité se fait jour : on est dans une version SF du mythe de Jonas et la Baleine !
J'ai tout de suite pensé à la scène de l'astéroïde dans "L'Empire contre-attaque" et plus encore à l'épisode 3x08 (Green Eyed Monster) de "Farscape", la série SF la plus fun de tous les temps. On est dans un archétype universel, mais comme ce roman est le seul de l'auteur français à avoir été traduit en anglais, tout est possible…
La deuxième partie est très inégale tant on alterne hard science truffée de jargon technique et poésie humaine ou inhumaine.
Pour obliger le monstre à quitter son océan de chlore liquide, les naufragés veulent le faire muter en créature terrestre de l'intérieur. le côté scientifique a mal vieilli et peut paraitre aujourd'hui capillotracté, quand il ne demande pas une forte dose de suspension d'incrédulité. D'un autre côté pouvait-il en être autrement vu que les théories sur la génétique n'ont été validées qu'en 1952 par les expériences de Hershey et Chase alors que le roman date de 1957 ?
Par contre les descriptions sont encore une fois très réussies, car d'un côté on voit la mutation vue par les humains avec des scènes qui m'ont fait penser au super film de Richard Fleisher intitulé en français "Le Voyage fantastique" (1966), notamment quand les personnages veulent éviter les nerfs de la créature comparés à des câbles à hautes tensions, et d'un autre côté on voit la mutation vécue par le monstre lors de passage d'une assez jolie poésie.
La troisième partie m'a plutôt laissé indifférent.
Les rescapés découvre leur nouvelle environnement extraterrestre qui fait un peu "Monde perdu" de Sir Arthur Conan Doyle ou "Cycle de Caspak" de d'Edgar Rice Burroughs. Encore que je sui presque sûr d'avoir quelques récits d'Edmond Hamilton dans le même style…
Ils s'échinent à faire décoller leur vaisseau, tout en cohabitant avec les rejetons mutants de la créature qu'il les avait avalé, et parmi une nouvelle race de lézards rouges empathes et télékinésistes… Oui je sais, c'est vraiment too much ! Surtout que comme ils sont pris pour des dieux, ils doivent faire attention de ne plus penser à partir de la planète pour pas provoquer de panique parmi leurs nouvelles ouailles… Un truc à la "Cal de Ter" de P.-J Hérault (un observateur humain présidant au développement d'une civilisation entière en se cryogénisant à répétition pour sauter dans le temps) aurait sans douté été plus intéressants, mais cette option était exclue vue la brièveté du récit.
Ce qui m'a fait sortir du truc aussi, c'est quelques bonnes vieilles incohérences des familles :
- Pourquoi fabriquer du carburant quand on dispose d'une source d'énergie qui semble plus puissante et plus efficace ?
- Pourquoi ne pas installer éoliennes, hydroliennes ou panneaux solaires pour recharger les batteries ? Ils ne connaissent pas la dynamo ou quoi ces voyageurs de l'espace ? lol (Ce n'est pas comme s'ils ne les avaient pas déjà rechargées en se branchant sur le système nerveux de la créature… (idée déjà usitée dans Oms en série))
- Pourquoi perdent-ils autant de temps et d'énergie à construire une rampe de lancement ? Il ne pouvait pas décoller à la verticale ou à l'horizontale leur super vaisseau… mdr
La quatrième partie nous amène vers l'inévitable dénouement.
Massir privé de son Vendredi comprend qu'il n'a presque plus aucune chance revoir la Terre et son épouse Néïde.
Il construit un mausolée conçu pour défier le temps et décide de s'enfermer dans l'ambre pour survivre tout en faisant durer son message de détresse quasi éternellement… 10000 ans plus tard, il est découvert par un équipage d'explorateurs spatiaux qui par accident l'achève ou lieu de le ramener à la vie (tiens on dirait un peu "La Nuit des temps" de René Barjavel… ^^)
La révélation finale pouvait se deviner à l'avance par quelques indices semés çà ou là, mais comme de nombreux passages de la novela me faisait penser à certains épisodes de l'anime "Ulysse 31" (d'ailleurs je me demande à quel point les auteurs de l'anime ont puisé dans la SF française pour leurs scenarii) et comme le capitaine Massir me rappelait au bon souvenir du légendaire roi d'Ithaque, je m'y attendais un peu… ^^ Belle idée aussi que montrer comment l'évhémérisme a transformer Massir et Jolt en figures cosmogoniques pour le peuple des lézardes rouges.
Du coup, j'ai presque hâte de lire "
Noô" du même auteur qui lui aussi puise à la fois dans la SF et dans la poésie antique.
Plaisant ou déplaisant le récit reste intéressant, et vu qu'il ne fait qu'une centaine de pages on ne perd son temps à le découvrir. N'empêche, il y avait quand même matière à faire une super histoire de SF, du coup je suis très curieux de savoir comment Ankama a modernisé le récit en l'adaptant en bande dessinée !