Faute de croire au ciel ou à l'enfer, il ne me restait plus qu'à croire qu'après ma mort, ce serait la fin du monde.
Et moi ? Même après avoir transcrit mon parcours de vie à partir de ce que me dicte ma mémoire, il me reste plein de questions, qui en réalité n'en sont qu'une seule, sous différentes formes: une oeuvre d'art est-elle capable de changer ma vie ? Une oeuvre d'art est-elle capable de changer une vie ? Les prétendues humanités sont-elles capables d'humaniser quelqu'un ? Pourquoi associons-nous le terme d'humanités à la notion de faire le bien et d'éprouver de la compassion pour autrui ? Pourquoi la mort ne serait-elle pas une sorte d'art ? Ne serait-ce pas la mort, le véritable signe de l'humanité ?
Des adultes tendus, qui se disputaient ou se taisaient, tandis que les enfants jouaient sans se rendre compte de quoi que ce soit, heureux d’être en vie et d’avoir moins de dix ans.
Les Parisiens n'existent pas, il n'y a que des amants surpris, des Arabes rejetés par la population, des garçons de café de mauvaise humeur et ainsi de suite. Paris n'existe pas, ai-je pensé dans les derniers jours. Paris est une maladie, et elle est sur le point de me contaminer. Je dois quitter Paris, car cet endroit, au fond, est une fiction, et si je reste plus longtemps ici, je vais finir par croire que cette fiction est un endroit possible, je vais finir par croire que cette petite vie faite de cinéma et de vin est possible.
Au bout d'une demi-heure, quand je posais le livre et fermais les yeux, je n'entendais plus mes pensées. Je n'entendais pas non plus d'échos de la voix de narrateurs. Tout ce qui existait, c'était le silence ; les livres apaisaient ma conscience. Alors je m'endormais presque instantanément.
À vingt-cinq ans, je pensais avoir déjà vu beaucoup de choses dans la vie. J’avais assisté à une décapitation, deux pendaisons, une castration, trois chutes mortelles, une tête détruite par un tir de fusil, une rafale de mitraillette dégommant des personnes importantes et riches au milieu d’une foule, un ancien nazi souffrant d’une crise cardiaque tout sauf accidentelle, un pédophile tombant dans une cage d’ascenseur, une dizaine d’autres visages rigides et froids, quelques litres de sang et des valises pleines d’argent liquide. À cette époque-là, je regardais cet historique avec fierté : combien de filles de mon âge pouvaient en dire autant ? La plupart n’avaient même pas vu le cadavre de leur grand-père reposer tranquillement dans son cercueil. Cependant – et il peut sembler que je change de sujet ‒, je n’avais encore jamais vu Citizen Kane, d’Orson Welles, considéré par de nombreux critiques comme le meilleur film de l’histoire du cinéma. Curieusement, une œuvre réalisée, produite et interprétée par Welles quand il était encore un gamin, à vingt-cinq ans exactement, l’âge qui était le mien quand j’ai été obligée de voir Citizen Kane pour la première fois. Nous étions en 1985 et Orson Welles allait mourir le 10 octobre de cette même année.
Leurs reflets conjugués créent une multiplicité d’images, à l’infini
L’expérience artistique semble toujours surgir dans les moments d’horreur, de désespoir ou simplement de privation. Un esprit tranquille ne produit pas d’art.
J’ai promis que, pendant une heure, tout ce que j’allais dire serait la vérité. Cette heure, mesdames et messieurs, est terminée. Pendant les dix-sept dernières minutes…