Une oeuvre pour le théâtre, très concise, une trentaine de pages, écrite directement en langue française en 1991 par le prix Nobel chinois
Gao Xingjian.
Le personnage central est une femme en colère et éplorée, qui dit ne plus pouvoir continuer sa vie avec son homme, qui manifestement la trompe. Elle semble s'adresser à lui, mais lui est une sorte de fantôme qui ne répond pas. La mise en scène de la pièce le place en retrait dans l'ombre, s'exprimant exclusivement par quelques mimiques et gestes muets, voire en faisant contre toute attente un porte-manteaux, contre lequel il est bien dérisoire et inutile de récriminer…
Très vite, cette situation bouleversante entraîne cette femme dans l'exploration de son propre univers intime. C'est une plongée vertigineuse, agitée, dans son passé, à la recherche de son identité. Des souvenirs douloureux, nébuleux, fragmentés, refoulés, refont surface, et envahissent cette femme qui se débat contre une sorte de noyade, comme en apnée. Son arme pour se sauver d'elle-même : parler d'elle à la troisième personne, ELLE, comme pour se détacher des mots et des sentiments.
Sentiments de culpabilité, traumatismes de l'enfance, pulsions de mort et autres émotions diverses et confuses remontent comme une tempête intérieure…et la mise en scène recommandée par l'auteur traduisent cette agitation par la présence d'une femme sorte de double de l'héroïne, qui danse pour accompagner le récit, ainsi qu'un démon et un vieillard…
Ce texte est très marquant, c'est une douloureuse introspection d'une femme déchirée qui, en équilibre très précaire sur un fil, vit en funambule entre passé et futur, amour et haine, rêve et cauchemar…
Gao Xingjian démontre une qualité de style remarquable, il est de loin l'écrivain chinois le plus intellectuel, le plus littéraire.
Gao Xingjian revendique la recherche d'une nouvelle théâtralité. « Je pense que l'essence du théâtre est de montrer le jeu par le jeu. Pour moi, le théâtre n'existe que par le jeu des acteurs avec le public. de cette communication dépend son existence même. », dit-il. Il reconnaît l'influence de sa culture d'origine : « Les passages de l'opéra chinois constituent une façon pour les acteurs de présenter ou de résumer l'action ou l'état des personnages dans une narration à la troisième personne. de même, les apartés sont les incises de l'acteur-conteur, et les digressions les incises du conteur-acteur qui commente la conduite des personnages afin de préserver, en la stimulant, la communication avec la salle ».
Pour finir, il affirme : « Mon théâtre ne comporte généralement pas d'histoire au sens traditionnel et, même si on peut y découvrir quelque intrigue, il ne vise pas au récit dramatique mais à la création d'une situation. » La théâtralité, la force dramatique est mise en exergue par le mouvement, les sonorités, sans illusion par des moyens techniques et effets spéciaux qui étouffe le jeu des acteurs.
J'ai pris plaisir à cette lecture, qui comme toujours ne demanderait qu'à s'incarner dans l'émotion concrète de la pièce jouée.