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Critique de Osmanthe


Une canne à pêche pour mon grand-père est l'une des six nouvelles qui composent ce recueil de Gao Xingjian, prix Nobel 2000. Bien qu'aimant les nouvelles, j'ai rarement pour habitude de lire d'une traite la totalité d'un recueil, préférant piocher ça et là quelques textes, pour avoir le plaisir d'en garder un peu pour plus tard. Mais là...pas possible. Je me suis laissé entraîner de page en page, de récit en récit, par cette littérature qui en impose quant à son très haut niveau intellectuel et sensoriel, tout en restant d'une simplicité et qualité formelle remarquables. Ces textes nous content avec une si grande puissance évocatrice le moment présent qu'on se sent immergé, happé par l'atmosphère, de bonheur, ou de drame, ou de mystère, ou d'inquiétude, ou encore de regrets...
Recueil d'autant plus riche et stimulant qu'aucune nouvelle ne ressemble à une autre dans son thème ou son atmosphère. Si les quatre premières sont plus concises, toutes ont pour point commun de contracter le temps sur une durée extrêmement courte, souvent quelques minutes, dans une photographie, un instantané de vie.

La dernière est d'ailleurs intitulée "instantanés" : conçue comme une succession de photographies rafales de plusieurs situations, sa structure narrative déroutante, la progression du propos qui reste pourtant étrange, hermétique, provoquent une sensation d'inquiétant malaise, comme si une inondation, une série de vagues ondulantes (l'eau semble être un fil conducteur) allait tout dissoudre.

Avec la nouvelle "Une canne à pêche pour mon grand-père", je m'attendais à une douce évocation du grand-père disparu, partant du souvenir ému du cadeau fait par le petit-fils, une nouvelle canne à pêche moderne. Mais très vite, le discours s'emballe, les phrases s'étirent, perdent leur ponctuation, le ton devient parfois vif, dans une ambiance qui n'a rien de très sereine, comme si le trop-plein d'émotion virait à une nervosité émotive...la construction est remarquable.

Les quatre premières sont mes préférées.
"Le temple" nous conte la merveilleuse proximité d'un couple de jeunes mariés en voyage de noces. L'harmonie et la beauté règnent, sans que le temple visité semble spécialement en être la cause. Les amoureux vivent dans un moment de balade anodin les plus beaux moments de leur vie, et leur osmose est magnifiée par leur rencontre avec un père et sa petite fille, qui forment l'image même de l'amour. Superbe, cela ne peut que donner envie de vivre ou revivre ces moments rares et souvent éphémères.

"L'accident" est comme un flash, un éclair qui fauche en un instant un homme à vélo, transportant son enfant. Là, la scène est décomposée au ralenti, on voit arriver le drame de loin, lorsque le vélo va fatalement couper la trajectoire d'un bus. L'après est horrible, clinique, des passants affluent. L'auteur nous interroge sur le destin, le hasard, la responsabilité individuelle, mais aussi sur notre toute petite place dans ce monde aux villes tentaculaires où l'humain se perd dans l'anonymat, alors que les badauds se perdent en bavardages futiles, aussitôt oubliés...Formidable texte !

"La crampe" relate la montée de tension d'un nageur qui, sans doute pour séduire une jolie fille sur la plage, s'est un peu trop hasardé à partir nager à l'approche du soir, en s'écartant du rivage. Le courant, la survenue d'une crampe qu'il va falloir maîtriser...l'inquiétude gagne, s'en sortira-t-il ? Cet instant de puérile vanité valait-il ce risque ?

"Dans un parc", ce sont les retrouvailles de deux anciens amants...Les années ont passé, l'un n'est plus libre, vont-ils se rapprocher ? Mais les tensions et reproches ne tardent pas à surgir...décidément, cet amour est sans doute définitivement mort, à l'image de ce soleil crépusculaire et de cette jeune femme qui dans ce parc n'est pas très éloignée d'eux, attendant avec anxiété son amoureux, en vain, et qui se met à pleurer...

La concision, la précision du style, l'éloquence de ces instantanés de vie font pour moi de ce recueil un livre coup de coeur, qui aborde les thèmes de l'amour, de l'enfance, de l'injustice du destin avec intelligence et originalité.

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