1656, à Amsterdam. le philosophe en devenir Baruch
Spinoza est à l'aube de subir un herem, d'être rejeté par la communauté juive dans laquelle il vit pour ses prises de position répétées contre la religion. Il ne le sait pas encore, mais il deviendra l'un des philosophes les plus respectés du monde intellectuel des Lumières et contemporain. 1910, en Estonie. Deux professeurs assistent éberlués à une argumentation antisémite très profonde de la part de leur élève
Alfred Rosenberg. Celui-ci ne deviendra pas moins que l'esprit philosophique à la base même du nazisme. Fasciné par
Spinoza, il ne comprend néanmoins pas comment un tel génie puisse être Juif...
Roman époustouflant à mi-chemin entre une double biographie mi-réelle mi-fictive et une vulgarisation philosophique, emballée de concepts psychanalytiques.
C'est passionnant, complexe bien que clair, et surtout l'auteur maîtrise parfaitement sa construction narrative au début déroutante mais au final dynamique.
Yalom met en parallèle deux relations, deux amitiés, toutes deux gâchées par les idéologies personnelles et la religion, et nous montre comment deux destins distants de 300 ans se rejoignent. Comment la société évolue et a évolué (ou pas) au regard majoritairement de la religion, responsable de la scission perpétuelle entre êtres humains, que ce soit dans une même communauté ou non.
Dans cet ouvrage, on s'arrête massivement sur la question du dogme religieux quel qu'il soit, l'existence et les origines de la religion et ses effets sur l'Homme et la société au-travers des idées de
Spinoza. Et à l'aide d'échanges nombreux entre nos quatre personnages dans deux huis-clos distincts, l'auteur utilise l'analyse psychologique pour questionner et mettre en évidence des idées et soulever les principaux problèmes qui divisent le monde d'hier, d'aujourd'hui et certainement, malheureusement, celui de demain.
Yalom se sert notamment de l'introspection, de l'impact émotionnel sur les actions et la perception de soi et d'autrui, ainsi que de la sociologie pour faire aussi bien ressortir les traits de caractère de ses personnages que pour situer leurs idées dans le contexte de leurs époques respectives. C'est admirablement bien fait, bien qu'il faille reconnaître que ne n'est pas le genre de livre à lire de manière distraite.
Grâce aux très nombreuses explications données dans ces longs dialogues à répétition (et pour le coup pas forcément très crédibles ou du moins "spontanés, normaux"), il n'est nul besoin d'aborder ce livre avec des connaissances en psychanalyse et philosophie. Il faut juste rester attentif et suivre la logique et l'enchaînement des idées, tout comme réfléchir à l'impact de telle ou telle question.
L'une des nombreuses forces de cet ouvrage, c'est aussi d'aborder de l'intérieur l'idéologie nazie, dans sa construction, son cheminement et ses conquêtes (physiques mais également de l'esprit).
Yalom a fourni un travail incroyable de reconstitution tout en supputant les pensées intimes d'un homme et d'autres figures de l'Histoire telles que celle d'Hitler. le parallèle qu'il dresse entre les deux hommes, les deux époques, les deux contextes est renversant et fait totalement sens : l'aveuglement personnel à cause d'une idée, d'une conviction, fondée ou pas, et qui conduit à la division maximale.
Je dois avouer que j'ai vraiment découvert
Spinoza avec ce livre. Sa capacité à se détacher de son temps est fascinante. Ce qui est d'autant plus fascinant et perturbant, c'est de voir qu'un homme si évolué dans sa pensée puisse être si misogyne (on découvre cela en fin d'ouvrage, et
Spinoza a vraiment de quoi décevoir sur ce point). Ainsi, lui même s'est retrouvé acteur d'erreurs qu'il reprochait aux autres de faire, coincé dans l'une des pensées universelles de son époque, lui qui excellait pourtant à démontrer par a + b et de manière très avancée pour l'époque que la religion n'est que le produit de l'Homme.
Quant au "problème", quel est-il ce problème ? Il est multiple. le titre a plusieurs niveaux d'interprétation et j'en compte au moins quatre : le premier, facile et mentionné dans le livre : comment se fait-il qu'un génie puisse être Juif, selon le nazi Rosenberg ; le deuxième :
Spinoza était un problème dans sa communauté car il menaçait le grand ordre religieux de perdre sa crédibilité ; le troisième :
Spinoza est un problème en cela qu'il est très mystérieux et bien peu de choses ont transparu et perduré dans le temps. Qui était-il vraiment ? ; enfin, le quatrième : en niant l'existence de Dieu, ou du moins en prouvant que l'Homme est à l'origine des religions, c'est un philosophe qui continue de déranger toutes les institutions religieuses du monde. Même si l'athéisme a gagné des ouailles (notez l'oxymore) au cours des centenaires suivant la mort du philosophe, la présence de religions diverses et pour certaines qui ont du mal à coexister, ainsi que leur cohabitation avec l'athéisme restent compliquées et constituent l'un des quatre piliers à l'origine des guerres (argent, religion/idéologie, politique, géographique).
Au final, comment résumer cet ouvrage si dense, même ponctué de quelques longueurs ? Un joli travail. Une belle lecture. Il y aurait tant à dire, tant à analyser, tant à débattre... de surcroît, j'aurais aimé avoir ce genre de livre entre les mains l'année du Bac. Pas sûre toutefois qu'à cet âge, j'aurais saisi l'ampleur du contenu l'intégralité des enjeux discutés.
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