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Critique de Woland


Akuma no temari uta
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle

ISBN : 9782809709278

Yokomizo Seishi écrivait dans les années 1950 et l'action de "La Ritournelle du Démon" se déroule d'ailleurs en 1955. Contrairement à son tout aussi célèbre confrère, Matsumoto Seicho, son style est, en tous cas selon moi, beaucoup plus pittoresque, plus fantaisiste aussi, en dépit de quelques rappels dus à la première publication en feuilleton et le tic, parfois agaçant, par lequel il insiste sur les cheveux éternellement en bataille de son héros, le détective Kindaichi Kôsuke.

Celui-ci rêve souvent de partir en vacances, et c'est le cas une fois de plus ici. Mais il se laisse toujours plus ou moins avoir par quelqu'un qui lui demande un service ou même par la simple lecture personnelle d'un article relatant une vieille affaire non classée. Dans "La Ritournelle ...", c'est ce que son vieil ami, le commissaire Isogawa, lui conte sur ce qu'il nomme depuis plus de vingt ans "l'Affaire de 1932" qui va transformer des vacances en principe sereines, dans une vieille auberge accueillant les personnes désireuses de prendre les eaux à la source de la Tortue, près du village d'Onikobe, en une enquête véritablement haletante, où la tension va crescendo, et auréolée, qui plus est, comme il souvent de tradition dans les anciens policiers chinois et japonais, d'une auréole fantastique.

C'est en effet en 1932 que Aoike Genjirô, l'époux de Rika, l'aubergiste chez qui, justement, Kindaichi doit prendre pension pour ses vacances, a été assassiné par un escroc désormais en fuite, du nom de Onda Ikuzô. le corps, qui était tombé face à la cheminée, le visage en plein dans le feu, avait été identifié à l'époque par toute la famille du défunt et par le chef du village en personne. Et pourtant, le commissaire Isogawa n'a jamais pu oublier et se demande toujours si, malgré tout, il n'y a pas eu erreur et si ce n'est pas Genjirô qui, ayant eu le dessus sur Onda, a profité de tout ce désordre pour s'esquiver vers une vie nouvelle ... le pire, c'est que son épouse, Rika, se trouvait alors enceinte et que le choc fut si grand qu'il marqua sa fille à naître d'une "tache de naissance" qui lui descendait de la moitié du visage jusqu'aux hanches ...

En 1955, devenue adulte, Satoko, puisque tel est son nom, pourrait, sans cette tache qui la défigure, prétendre à compter, avec Yura Yusako et Neire Fumiko, parmi les plus belles filles d'Onikabe - et aussi les plus recherchées par les prétendants.

A peine a-t-il entamé ses vacances que Kindaichi doit faire face tout d'abord à la disparition inexpliquée du chef du village, Hôan, qu'il était allé visiter, puis à un premier meurtre : celui de Yusako, retrouvée sur un rocher surnommé "la Chaise" et qui donne son nom à la cascade où il baigne, un entonnoir en verre dans la bouche et une antique mesure par-dessus. L'effet est spectaculaire et d'une beauté macabre. Mais tous, évidemment, n'y voient que la barbarie du procédé - même si la jeune fille a été étranglée avant de mourir - car, à Onikobe, très peu de personnes se rappellent une ritournelle que les fillettes chantaient vingt ans plus tôt en jouant à la marelle ...

Un peu plus chanceux, le lecteur, par l'intermédiaire, dans le prologue, du commissaire Isogawa, lequel est censé se faire le rapporteur du récit, connaît, lui, l'intégralité des couplets de la chanson et est donc en mesure, dès la mort de Yasuko, de s'attendre à l'assassinat de deux autres jeunes filles. Mais pourquoi les assassine-t-on ? Pourquoi n'a-t-on pu retrouver le corps de Hôan ? Serait-il encore en vie ? Serait-ce lui, l'assassin ? C'était tout de même un personnage assez bizarre ... Et quel rapport tout cela entretient-il avec "l'Affaire de 1932" - si tant est que ce lien existe bel et bien ?

Enfin, qui est cette mystérieuse vieille femme toute courbée, dont nul de ceux à qui elle a adressé la parole (Kindaichi tout le premier) n'a vu le visage, qui apparaît à chaque fois sur le lieu des meurtres et qu'on a remarquée auprès de chaque victime, guidant semble-t-il les jeunes filles vers quelqu'un qui les réclamait en urgence ? En principe, ce serait Rin, la cinquième épouse du vieux Hôan : le jour où il reçut Kindaichi, n'annonçait-il pas à celui-ci le retour prochain de son ex-femme ? le grain de sable de l'affaire, grain de sable ô combien inquiétant, c'est que, vérification faite, Rin est décédée un an plus tôt ...

L'intrigue de 1955 découlant en effet de celle de 1932, le lecteur qui n'a aucune idée de la littérature japonaise, encore moins des trésors policiers qu'elle recèle, aura tout intérêt à s'appesantir sur chacune des péripéties qui ponctuent le roman, voire à s'arrêter de temps à autre pour revenir en arrière. Les prises de notes ne sont pas interdites non plus puisque la règle japonaise, qui place en principe le nom de famille avant le prénom, n'est pas ici toujours respectée et qu'il y a là de quoi se perdre pour le non-initié. En revanche, ces précautions prises et pour peu qu'il s'accroche un peu, le lecteur en question ne sera certes pas déçu par un roman adroitement - et même diaboliquement - agencé, qu'on lit presque d'une traite tant l'ambiance, le plus souvent glauque et fantastique en dépit du soleil qui illumine Okinobe en ce beau mois d'août, et la complexité des personnages et des événements auxquels ils se trouvèrent mêlés avant la guerre, saisissent et emportent.

Peut-être en fait vaut-il mieux commencer par "La Ritournelle du Démon" pour pénétrer dans le monde de Yokomizo Seishi. A ceux qui y ont déjà fait une incursion, ce roman donnera sans nul doute l'envie de relire ses autres ouvrages, dont "Le Village aux Huit Tombes", chez Picquier. ;o)
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