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Critique de SZRAMOWO


Berlin Est 1975 :
Démarrage en trombe pour Stasi child. le lieutenant Karin Muller, de la Kripo, la police criminelle d'Allemagne de l'Est, blonde aux yeux bleus, trente ans, marié à Gottfried :
«Seule policière du pays à la tête d'une unité de la brigade criminelle, elle ne pouvait se permettre de passer pour une salope» est réveillée par une sonnerie de téléphone.
Elle se trouve dans le lit du sous-lieutenant Werner Tilsner, son adjoint, marié, lui, à Koletta.
Ils partent aussitôt sur une scène de crime. le corps d'une jeune fille a été découvert au cimetière Sainte-Elisabeth. Près du Mur, le Rempart antifasciste comme on l'appelle alors à Berlin, côté est. La Stasi est déjà sur place....Le lieutenant-colonel Klaus Jäger supervise l'enquête, et informe les deux policiers de la raison de sa présence :
«— En revanche, je peux vous donner la raison de cette implication. La victime semble avoir été touchée par des coups de feu provenant de l'Ouest – a priori tirés par des gardes-frontières – alors qu'elle tentait de fuir vers l'Est.»
Les deux policiers ne sont pas dupes de ce que leur raconte l'officier de la Stasi mais ils gardent leur impression pour eux-mêmes :
«— Je ne sais pas si on peut appeler ça une enquête, observa Tilsner. J'ai l'impression que c'est déjà tout vu et qu'on nous fait intervenir après coup.
 Mais escalader deux murs en étant blessée et sans que nos gardes la remarquent ? Ils dormaient tous ? Ça m'étonnerait beaucoup.»
Pourquoi la Stasi tient-elle tant que cela à ce que la Kripo se charge de l'enquête ? Jäger est formel :
«J'ai besoin qu'une équipe criminelle compétente récolte et enregistre les preuves, sans dépendre du ministère de la Sécurité d'État. N'allez pas croire que vos efforts seront vains, je vous en prie.»
Muller, son adjoint Tilsner et Schmidt l'expert de la police scientifique, sont face à un dilemme. La Stasi acceptera-t-elle toutes leurs conclusions ? Ne sont-ils pas en danger depuis que Jäger leur a confié l'enquête ? Parviendront-ils à identifier la victime et coincer son assassin, sans remettre en cause la version officielle de la Stasi ?

Toutes choses égales par ailleurs, Karin Müller en 1975 se retrouve dans la même situation que Bernie Gunther (le héros de la -trilogie Berlinoise de Philip Kerr) face aux Nazis. Comment faire jaillir la vérité dans un système politique qui défend sa propre vérité ? Encore qu'à la différence de Bernie qui n'est pas nazi, Karin Müller, elle, pense que :
«L'égalité avait ses limites dans leur État prolétarien, songea Müller, mais c'était un monde tout de même plus juste que de l'autre côté du Rempart antifasciste. Ça crevait les yeux chaque fois que les insupportables programmes d'information ouest-allemands dont Gottfried était friand déversaient leurs sempiternels comptes rendus de grève et de mécontentement ouvrier.»

L'essentiel de l'intrigue repose sur la divergence de vue entre le service de sécurité de l'état (La Stasi), et la responsable de l'enquête Karin Müller de la Kripo. La Stasi veut découvrir les coupables, mais à condition que cela ne remette pas en cause l'idéologie du système. Müller entend faire valoir ses compétences d'enquêteur quelque soit les conclusions auxquelles elle parviendra.

L'auteur développe cette thématique de façon précise et détaillée, parfois un peu trop. Il prend du plaisir à décrire la vie en RDA en 1975, alors que le sytème communiste commence à connaître ses premières remise en cause et que la fuite vers l'ouest tente, malgré les dangers, de plus en plus les jeunes Berlinois.


Young émaille son récit de références à la vie quotidienne de l'époque en RDA : les voitures Trabant, Wartburg, Lada et Barka - le jeu de construction Pebe (l'équivalent du Lego) - les appareils photos Praktika et Foton (Le Polaroïd soviétique) - «l'atmosphère enfumée du tramway» - les comités de quartier («— Vous êtes membres du comité de quartier ? demanda-t-elle à Müller. Voilà de quoi je parlais, ajouta-t-elle en désignant la gadoue sous ses pieds. À quoi bon nous construire des appartements neufs si on n'arrange pas les routes et les allées ? Je risque de me noyer en tombant dans cette boue. Enfin, au moins, vous êtes là.») - «Le VEB Autobahnkombinat – l'entreprise de travaux publics gérée par l'État qui supervisait la construction d'une autoroute entre Berlin et Rostock.» - «Le camion-benne IFA W50» - les vacances sur la Baltique - Des femmes qui travaillent dans le bâtiment - La Vopo -

Karin Müller est partie prenante du système, même si parfois elle peut douter :

«Face à celui des Eisenberg, un autre grand ensemble de béton sortait du sol et semblait s'élever sous les yeux de Müller. Cela lui rappelait le jeu de construction Pebe qu'elle avait offert à son neveu deux ans plus tôt, lorsqu'elle avait fêté Noël en famille dans la pension que tenait sa mère en Thuringe. En l'espace de quelques heures à peine, alors que les adultes digéraient leur repas de fête, le petit garçon avait construit une tour moderniste en empilant les briques en plastique. Ici, aujourd'hui, des ouvriers adultes membres de l'État prolétarien bâtissaient le rêve socialiste dans sa version grandeur nature. Pourtant, même si ce spectacle remplissait Müller d'espoir pour l'avenir de son pays, le souvenir du cadeau de Noël était source de culpabilité. Cette année, elle n'était pas retournée à la maison familiale d'Oberhof – le Saint-Moritz est-allemand.»

La foi de Müller dans le système contrebalance les doutes exprimés par son mari Gottfried, professeur de mathématiques dont la fidélité au parti est prise en défaut :
«Pendant le séjour de Gottfried à Rügen – banni pour n'avoir pas su instiller assez de fanatisme partisan à ses élèves berlinois, il avait dû enseigner quelque temps dans une maison de correction –»

C'est là, la deuxième thématique forte du roman. L'amour entre Karin et Gottfried peut-il survivre dans un système politique et social basé sur le mensonge et la dissimulation ?

Dans la maison de correction de Prora Ost, Gottfried va croiser deux jeunes filles, Beate Ewert et Irma Behrendt qui vont interférer dans l'enquête de son épouse.

Dès lors comment Karin Müller parviendra-t-elle à gérer cette double contrainte :
fidélité envers le parti via l'enquête qui lui est confiée par la Stasi et loyauté envers son mari, même si elle trompe avec Tilsner ? Sachant que Gottfried n'a jamais caché son attirance pour l'Ouest. Attirance que Karin ne partage pas. Même si :
« Au bureau, elle s'autorisa un souvenir de l'Ouest. Entassant les sacs de courses sur la longue table, sous le panneau d'affichage, elle prit la grosse boîte de chaussures. Elle l'ouvrit, souleva avec précaution le papier de soie qui protégeait les bottes. Elle en prit une dont elle caressa le revers en fourrure comme on caresse un chat. Une petite touche de luxe. »

Elle s'interroge sur les objectifs de Jäger et de la Stasi :
« Elle ne s'expliquait toujours pas ses motivations exactes. D'un côté, il ne cessait de définir avec précision les bornes à ne pas dépasser, de les mettre en garde ; de l'autre, il semblait leur ouvrir des portes pour leur permettre de mener une enquête de plus en plus approfondie, quelles qu'en soient les conséquences. »
Dans un système où la vie privée des individus n'a aucune importance, Karin et Gottfried n'ignorent pas quelles peuvent être les conséquences de conduites hors normes. Les agents de la Stasi n'ont pas assez d'imagination pour penser qu'une enquêtrice de la Kripo peut être la femme d'un professeur de mathématiques attiré par l'Ouest, sans être un tant soit peu contaminée.
« L'article 96 de la constitution de la RDA, (…) : « Toute personne reconnue coupable de tentative de déstabilisation de l'ordre politique ou social de la RDA peut, dans certains cas graves, se voir condamnée à mort. »

Par contre, les mêmes agents font preuve d'une imagination débordante pour créer la réalité qui leur convient, en produisant des preuves plus vraies que de nature.

« — Qu'est-ce que c'est que ça ? hurla-t-il en laissant tomber la photo sur la table.
Gottfried eut un mouvement de recul : on le voyait embrasser une jeune fille sur la bouche tout en lui tripotant la poitrine. Il ne s'agissait pas d'Irma mais de Beate Ewert.
— Je vous le demande, citoyen Müller. »

Malgré les obstacles qui surgissent de toute part, Karin continue son enquête :

« À en croire Jäger, c'est Tilsner qui avait une dette envers lui. Il y avait trop de secrets autour de cette enquête. Trop de mensonges. Müller ne savait plus que croire, ni qui. »

Stasi Child, sous couvert d'une enquête criminelle, décrit de façon minutieuse ce qu'était la vie dans les pays communistes, particulièrement en RDA. On ne peut s'empêcher de penser au film de Florian Henckel La vie des autres (2007).

Système pervers qui place les individus dans des situations insupportables pour les pousser à la faute et les convaincre de trahison. La collaboration avec ses propres bourreaux pour les aider à démasquer d'autres traitres apparait alors comme la seule porte de sortie pour échapper au pire.
Dans ces conditions, la confiance, la base de tout lien social est rompue, et la société toute entière bascule dans l'absurde et la déraison, autorisant les comportements les plus vils.

Le roman est long, comme un jour sans fin, précis, détaillé, mais jamais ennuyeux. le récit restitue ce que vivent ses personnages, s'interrogeant sans arrêt sur les objectifs poursuivis par ceux qui les gouvernent, doutant de leur entourage, s'épuisant à trouver en eux la force de continuer.

Stasi Child est le premier roman de David Young. Attendons la suite.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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