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Gallimard, Nrf (02/10/1989)
4.05/5   10 notes
Résumé :


Les essais rassemblés ici par Marguerite Yourcenar sont le reflet fidèle et saisissant d'un parcours intellectuel extrêmement varié, qui va des années 1930 aux derniers jours de 1987.

Dans la première moitié du recueil, un important ensemble sur la Grèce montre combien les personnages de l'Antiquité grecque ont été pour elle vivants, et pour ainsi dire contemporains. Des pages d'une rare originalité et d'une violence juvénile font app... >Voir plus
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L' improvisation sur Innsbruck
         
Nous avons tous si peur de la paix que nous la prenons pour la mort. Qu’eussent fait les hommes, grands dieux, pendant trois mille ans d’histoire, s’ils n’avaient eu leurs sens, pour jouir de la vie et leur cerveau pour la compliquer?
Avec quelle foi, jadis, je me précipitai dans les musées, les palais, les églises, partout où surnagent un peu de ces épaves de l’homme. Je croyais possible de retrouver dans des portraits, des documents, sur des objets tièdes encore de l’imposition des mains, les traces de ce fluide que nous avons appelé l’âme : mais connaître les vivants m’a désabusée des morts. ...
         
Peut-être faut-il descendre jusqu’aux sensations les plus primitives, jusqu’aux mouvements organiques de la peine et du plaisir, pour trouver en chacun de nous des états communs à l’humanité tout entière, et encore, même lorsque nous dormons, nous différons par nos rêves. Il vient malheureusement un soir où la sympathie paraît presque aussi vaine que l’amour : il faudrait pourtant éviter que l’amateur d’âmes, errant amoureusement dans tous les musées du monde, ressemble à l’ivrogne qui se figure avoir rencontré un ami, parce qu’il trébuche contre la glace d’une vitrine.
Ces figures de la Hofkirche ne sont pas belles; elles ne sont même pas puissantes; elles ne sont que superbes; ce sont des mannequins de grandeur. L’on dit que l’artiste, pour les faire, s’inspira de l’attitude compassée que l’on imposait aux morts, le glaive et la lance en main, dans un geste de défense, ou, s’il s’agit d’une femme, le petit missel entre les doigts, en signe de prière éternelle. Tout n’est que contraste, de même que tout n’est que songes : puisque les vivants perdent tant d’heures à rêver de la vie future, je suppose que les morts, en revanche, revivent sans fin leur vie passée. Tous ceux qui ont aidé à des mises en bière savent, ou plutôt sauraient s’ils consentaient à ne pas mentir, combien fausse, à la fois embellie et dépouillée à l’extrême, est cette dernière image que nous conservons des morts. Se rappeler un être, se le rappeler tout entier, avec ses contradictions, ses mensonges, sa bonne volonté, sa façon de tousser et sa façon de sourire, c’est trop, même pour le plus grand amour. La mémoire choisit; c’est le plus ancien des artistes. ...
La justification des statues, c’est d’inspirer de l’amour à ceux qui les contemplent; le moyen, mon Dieu, d’être amoureux de ces costumes? A force de douter des âmes, on finit par n’être plus touché que par la réalité des formes; on ne les aime que nues, et s’il se peut inexpressives, toute expression n’étant jamais que passagère, même et surtout celle du calme. Voilà, je pense, ce qui m’éloigne désormais des musées, et peut-être des chefs-d’œuvre : c’est que la vie qu’ils contiennent n’est jamais que fragmentaire.
         
*
         
Ceux que la vie, et souvent le malheur, ont conduit au pays des sanatoriums, des cliniques et des pâturages alpestres, savent combien de paix répandent autour d’elles, sur ces hauts lieux consacrés de tous temps à la prière de l’homme, les graves, viriles et sévères en même temps que sereines églises de la Réforme. On s’y sent plus près qu’ailleurs, sinon de Dieu, tout au moins de soi-même. Ces murs blancs, ces bancs, cette morne chaire emportent l’esprit dans un domaine géométrique où l’infini n’est jamais loin de se confondre avec le vide : l’absence de beauté, ici, produit la même stupeur que le beau. Mais mon émotion, toute individuelle, faussée par l’absence de foi, ne prouve après tout que mon amour des surfaces nues. Les saints, les madones, les reliques, c’est la petite monnaie de Dieu : pourquoi ne pas compter avec l’humble bourse des pauvres? Il se peut qu’une dévotion trop molle, une conception de la vie à la fois trop nonchalante et trop tendre finissent par énerver l’âme, mais c’est une question de savoir ce que vaut la rigueur.
         
*
         
Tout chef-d’œuvre contient un cri d’orgueil : l’affirmation d’un homme. Cet art anonyme, à ras du sol, nous ramène à la modestie des origines; déjà, ces paysages de montagnes nous disposaient à une idée plus juste des proportions humaines, sur une planète trop grande pour n’être que le support de l’homme. Seuls, les peintres d’autrefois, les Brueghel, les Dürer, surent éviter l’orgueil dans le tracé des perspectives : de petits êtres rampants combattent ou s’étreignent dans un coin de paysage, au bord de fleuves sans cesse écoulés, mais pourtant plus fixes qu’eux-mêmes, au pied de montagnes qui changent si lentement qu’elles paraissent ne pas changer. ...
         
Je suis hantée par l’idée de la brièveté du temps, non pas seulement du temps déjà si court qui va de la naissance à la mort, mais aussi de l’intervalle encore plus limité, où il nous est donné de mettre à profit la vie.
         
1929
         
(Extraits, pp. 45- 7 / 50 / 52-4)
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Il faut se souvenir que son art est d'essence mystique, même si à ce mysticisme elle hésite à donner un nom. Le regard est plus important pour elle que l'objet contemplé, et dans ce va-et-vient du dedans au dehors qui constitue tous ses livres, les choses finissent par prendre l'aspect curieusement irritant d'appeaux tendus à la vie intérieure, de lacets où la méditation s'engage son cou frêle au risque de s'étrangler, de miroirs aux alouettes de l'âme. On peut se faire de l'univers une image bien différente de cet impressionnisme pathétique, mais il n'en est pas moins vrai que l'auteur de Vagues a su préserver, sous le flot multiforme, angoissant et léger des sensations, cette netteté limpide qui est l'équivalent formel de la sérénité. Ainsi, les rivières accueillent des choses une image toute superficielle et perpétuellement fuyante, qui ne trouble en rien la transparence de leurs profondeurs, ni la musique de leurs lentes coulées vers la mer.
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Ces gens d'autrefois eurent leurs peines; nous avons les nôtres; nourris de pensées toutes spéciales, pris dans l'écheveau des circonstances particulières, ils n'ont guère avec nous que la parenté viscérale des entrailles et du coeur; ils nous ressemblent surtout en cela qu'ils sont morts et que nous mourrons un jour; s'ils différaient de nous, nos problèmes nous suffisent sans nous charger des leurs; s'ils nous ressemblaient, nous n'avons que faire de portraits surannés de nous-mêmes." (p. 46) ou encore, "Il vient un jour où l'on se fatigue des voyages comme on s'est fatigué des livres, où l'on se lasse des vivants comme on s'est lassé des morts, Par un mouvement naturel qui n'a rien de beau, de rassurant aussi, on se détache de tout ce qu'on a connu, de tout ce qu'on a possédé
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Plus heureux que les poètes, les peintres à l'étranger se passent d'un traducteur : l'idiome des formes et des couleurs n'a pas souffert des tristes conséquences qui suivirent l'écroulement de la Tour de Babel.
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Tous feux éteints: ceux des paquebots comme ceux des rues, ceux des veilleuses de malade comme ceux des cierges d'église. Et les rares lampes qui brûlent encore tremblent de peur sur l'horizon.
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Vidéo de Marguerite Yourcenar
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* : _La poudre de sourire : le témoignage de Marie Métrailler,_ recueilli par Marie-Magdeleine Brumagne, précédé de _lettres de Marguerite Yourcenar de l'Académie française à Marie-Magdeleine Brumagne,_ Lausanne, L'Âge d'Homme, 2014, pp. 179-180, « Poche suisse ».
#MarieMétrailler #LaPoudreDeSourire #LittératureSuisse
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