AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,27

sur 3334 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans » constate Marguerite Yourcenar dans son Carnet de notes. Or ce qui est vrai pour l'écriture vaut aussi pour la lecture, si l'on veut bénéficier de l'expérience et du recul nécessaires à l'appréciation de leur substance. Les Mémoires d'Hadrien ont ainsi patienté de longues années dans ma bibliothèque avant que je me décide à les lire pour de bon. Et la magie a opéré : ces pages jaunies par le temps viennent d'exhaler, dans une très belle langue, leur concentré d'érudition et de sagesse.

L'empereur Hadrien, malade du coeur et sentant sa mort venir, écrit une longue lettre à Marc Aurèle, qu'il espère comme successeur après Antonin. Il y relate sa jeunesse, son expérience de la guerre et des conquêtes, ses voyages, son goût pour l'art, la science, la beauté et le pouvoir, comment il succéda à Trajan et ses réalisations en tant qu'empereur, oeuvrant à maintenir la paix et la richesse de l'empire. Hadrien est grec dans l'âme mais romain dans sa discipline et sa volonté d'avancer. Il ne fait pas mystère de ses sentiments, même les plus intimes, tout en gardant la décence qui sied. En témoigne l'évocation de sa passion tragique pour le jeune Antinoüs ou, plus tard, la description de son corps affaibli par la maladie.

Marguerite Yourcenar a mûri ce roman pendant plus de 20 ans avant de trouver le point de vue sous lequel l'aborder et d'en écrire la version définitive, publiée en 1951. Pourquoi cette fascination pour le IIᵉ siècle et Hadrien en particulier ? Parce que, selon Flaubert, « Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. » Et Marguerite d'ajouter que « Si cet homme n'avait pas maintenu la paix du monde et rénové l'économie de l'empire, ses bonheurs et ses malheurs personnels m'intéresseraient moins. » En suivant le destin de ce personnage tout-puissant, vénéré comme un dieu et investi d'une mission pour ses semblables, on touche à l'essence la plus noble de l'humain. «J'étais dieu, tout simplement, parce que j'étais homme » déclare ainsi Hadrien sous la plume de l'auteur.

La manière dont Marguerite Yourcenar s'est installée dans la peau de l'empereur vieillissant, a fait siens ses souvenirs et ses sentiments, est à la fois remarquable et troublante. Ses recherches et sa culture classique ne suffisent pas à l'expliquer ; une autre dimension, irrationnelle, spirituelle, est nécessaire. L'auteur avoue ainsi avoir été « Un pied dans l'érudition, l'autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette "magie sympathique" qui consiste à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un. »

Ce tombeau littéraire érigé à la mémoire d'Hadrien est un monument inégalé qui donne ses lettres de noblesse au roman historique. Car, comme l'exprime si bien son auteur, « Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu'interpréter, à l'aide des procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, tissus de la même matière que L Histoire. »
Commenter  J’apprécie          17010
Difficile de résumer un tel chef-d'oeuvre…
Ce roman est un joyau d'intelligence, d'érudition, de sagesse et de poésie.
Une lecture exigeante certes car très documentée et écrite dans un style soutenu avec une précision d'orfèvre mais quel prodige! Quel texte éblouissant !
La philosophie de vie qui s'en dégage est remarquable.
Marguerite Yourcenar se glisse dans la peau de l'empereur Hadrien et donne vie et voix à ce chef de guerre raffiné et cultivé de manière si incroyablement juste qu'on oublie que ce n'est pas lui qui écrit. Après vingt ans de règne, malade et mourant, Hadrien livre un ultime et puissant témoignage sous la forme d'une longue lettre destinée à son supposé successeur Marc Aurèle.
Il s'agit à la fois d'un récit politique, philosophique et historique entremêlé de réflexions existentielles.
Cet esthète à l'intelligence fine nous emporte dans une plongée introspective passionnante menant à la connaissance et l'acceptation de soi. Il a tant expérimenté les facettes de la condition humaine qu'une grande universalité se dégage de ce texte humaniste.
Ses réflexions sur la mort, la maladie, l'amour, l'amitié, le plaisir, la souffrance ou encore le temps qui passe s'ajoutent habilement au récit de ses conquêtes, ses projets, ses voyages et ses stratégies militaires. Il raconte comment il a su bâtir, unifier et pacifier tout en se faisant respecter aidé par « l'observation des autres, la lecture, l'observation de soi ».
Ses aventures nous transportent sur des champs de batailles et dans des décors impériaux antiques où oracles, courtisanes médecins et astronomes se croisent au son des cithares.
Hadrien se confie aussi sur son amour passionnel non pour sa femme mais pour son jeune amant Antinoüs qui mourra noyé dans le Nil et le laissera dans un immense désarroi. Sa résistance à la souffrance de son corps déliquescent et à la fin qui approche est admirable de lucidité et de sagesse « …Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts… ».

Un roman très riche et étincelant, d'une maitrise exceptionnelle, lisez-le, si ce n'est fait, en mémoire d'Hadrien, en mémoire de Marguerite Yourcenar, en mémoire de la Littérature
Commenter  J’apprécie          15529
Une visite à Hermogène, son médecin, vient d'apprendre à l'empereur Hadrien sa mort prochaine, d'une maladie de coeur.
Hadrien commence alors la rédaction d'une lettre à Marc-Aurèle. Il y relate sa vie, son régne, ses passions; mais aussi ses défauts. Il raconte aussi à Marc-Aurèle la civilisation romaine, telle qu'un empereur romain fasciné par la Grèce peut la percevoir. Car Hadrien a passé beaucoup de temps chez les Grecs, ce qui a sans doute contribué à faire de lui l'homme qu'il est devenu.
Honnête envers lui-même tout comme envers son correspondant, Hadrien avoue aussi ses faiblesses, telle que sa passion pour Antinoüs et la douleur que la mort de celui-ci lui a infligé.

Comment parler d'un roman aussi magistral que celui-ci? Difficile, mais je vais essayer.

Le récit, écrit en "je" donne vraiment l'impression que c'est Hadrien lui-même qui s'exprime, et non l'auteure. Mieux encore, au fil du texte, l'on oublie que c'est à Marc-Aurèle que l'empereur s'adresse: le lecteur est attiré dans l'esprit d'Hadrien jusqu'à avoir l'impression qu'il lui parle de son existence, qu'il lui permet de pénétrer dans son intimité, lui qui fut l'un des César. On se sent également transporté à son époque, à tel point qu'il est difficile, une fois le livre refermé, de revenir dans la réalité.
Peut-être ce sentiment est-il voulu par Marguerite Yourcenar, qui écrit à propos de ces "Mémoires":
"Portrait d'une voix. Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi."

Yourcenar dit également, à propos de l'écriture de ce récit, commencé dans les années 1920:
"En tout cas, j'étais trop jeune. Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans. (...)." C'est aussi vrai pour la lecture de ce roman. Il ne faut absolument pas attendre d'avoir quarante ans pour le lire, puisque cela reviendrait à se priver inutilement d'un moment de pur bonheur. Mais il faut en tout cas attendre d'avoir atteint la maturité nécessaire pour apprécier un récit qui n'est pas spécialement facile à lire.
Car les Mémoires d'Hadrien sont assez compliquées. Mélangeant la poésie et l'histoire, le texte aborde également de nombreuses considérations politiques de l'époque traitée. L'empereur va même jusqu'à nous faire partager certaines de ses réflexions les plus philosophiques. Il est donc compliqué d'y accrocher lorsqu'on est trop jeune pour comprendre les nombreuses idées et théories développées par Marguerite Yourcenar dans son portrait de cet "homme presque sage".

Car Hadrien est sage. Lucide aussi, quant au devenir de l'empire romain, dont il sait qu'il finira par disparaître. Et il est surtout sage et lucide envers sa propre existence et sa propre fin. Ainsi, dès le début du récit, il se réconcilie avec ce corps malade qui est le sien.
Dès les premières pages du récit, Yourcenar parvient à montrer un Hadrien courageux, ferme et honnête. le reste du roman donne la même impression. Malgré ses erreurs et ses défauts, dont il parle d'ailleurs sans tabous, Hadrien reste tout du long cet homme face auquel on se sent faible et minuscule.
Commenter  J’apprécie          1281
Ce livre est un chef d'oeuvre!
Sous forme de lettre adressée à son petit-fils adoptif Marc Aurèle, Hadrien livre un état des lieux de sa vie, se sachant condamné par la maladie.
Grand homme, visionnaire et grand stratège il a maintenu la paix du monde et rétabli l'économie de l'empire.
Il retrace le travail accompli et aussi ses pensées sur la vie, la mort, l'amour, la religion.
A la lecture de ses mémoires, il est frappant de constater que certaines choses, remises dans leur contexte, n'ont pas vraiment changé, alors qu'il vécut au deuxième siècle ; et nul doute qu'un homme de l'envergure d'Hadrien, serait le bienvenu à notre époque...
Marguerite Yourcenar a acquis une réputation mondiale grâce à ce roman historique, elle la méritait à coup sûr.
Commenter  J’apprécie          1141
Quand l'érudition et la sagesse éclairent nos vies et nous rendent meilleurs.

Il est des livres que nous savons précieux dès les premières lignes, des livres qui ont ce pouvoir troublant de retranscrire des sentiments et sensations fugaces, que nous n'avons jamais su exprimer mais toujours ressentis confusément. de mettre noir sur blanc l'indicible auréolant le temps qui passe, la vieillesse, la mort et la vie, la dualité du corps et de l'esprit, l'amour, le sacré et le vulgaire, ou encore l'art. Les mémoires d'Hadrien est un de ces livres.
Quel trouble de lire certains passages, de les relire, bouche bée, en se disant que oui, c'est ça, c'est exactement ça, ces phrases-là, qui plus est écrites d'une écriture ciselée et poétique, sont des clés rares permettant de mieux comprendre ce monde dans lequel nous ne sommes que de passage. Permettant, par là même, de mieux nous comprendre. Même si ces lignes sont les réflexions d'un homme qui sort de l'ordinaire, celles d'un empereur, Hadrien. Enfin les écrits d'un empereur tel que le voit, le ressent Marguerite Yourcenar, femme du 20ème siècle, qui se met dans la tête de cet empereur romain du second siècle. 18 siècles les séparent, le sexe les sépare, et pourtant, nous avons véritablement l'impression de lire la biographie d'Hadrien raconté par lui-même. Un empereur à une époque charnière car, selon Flaubert, « Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été ». Voilà pourquoi ce livre est une somme éminemment humaine, seulement humaine.

« J'étais seul à mesurer combien d'âcreté fermente au fond de la douceur, quelle part de désespoir se cache dans l'abnégation, quelle haine se mélange à l'amour ».

Hadrien régna sur l'Empire romain entre les années 117 et 138. Ce fut un humaniste et un grand voyageur, un homme libre et visionnaire, souvent sage, parfois égaré et injuste. Marguerite Yourcenar imagine une très longue lettre écrite par l'empereur alors malade et qui sentait sa mort venir. Une lettre destinée à son petit-fils Marc-Aurèle. L'écrivaine historienne s'est identifiée au personnage, a réussi à s'insérer dans l'époque, afin de ressentir, de voir, d'entendre, de rêver et de penser, de passer en revue les faiblesses, comme si elle était cet empereur.

« le premier venu peut mourir tout à l'heure, mais le malade sait qu'il ne vivra plus dans dix ans. Ma marge d'hésitation ne s'étend plus sur des années, mais sur des mois. Mes chances de finir d'un coup de poignard au coeur ou d'une chute de cheval deviennent des plus minimes ; la peste ou le cancer semblent définitivement distancés. Je ne cours plus le risque de tomber aux frontières frappé d'une hache calédonienne ou transpercé d'une flèche parthe ; les tempêtes n'ont pas su profiter des occasions offertes, et le sorcier qui m'a prédit que je ne me noierai pas semble avoir eu raison (…) Comme le voyageur qui navigue entre les îles de l'Archipel voit la buée lumineuse se lever vers le soir, et découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort ».

Il y a pour moi deux facettes au récit, deux facettes étayées de profondes et belles réflexions philosophiques. D'une part, celle liée au parcours historique d'Hadrien : son enfance, ses années de formation, son ascension vers le pouvoir, sa politique apaisée, pacifiste, ouverte et tolérante, s'inspirant des différentes contrées du monde qu'il ne cesse de parcourir et auprès desquelles il s'inspire inlassablement dans une volonté d'unification des peuples à la civilisation romaine. D'autre part, celle liée à l'homme intime, à ses sentiments, ses réflexions sur l'amour, la mort, la vieillesse, l'art de vivre, réflexions certes inscrites en leur temps (passionnants notamment ces passages sur le christianisme considéré alors encore comme une secte) et pourtant atemporelles. Ses amours avec de jeunes hommes, notamment avec Antinoüs, sont touchants. La mort de ce dernier, alors qu'Hadrien devenait presque cruel avec lui, dévasta Hadrien et rendit son regard plus sensible, plus humain, tout simplement. C'est ce deuxième aspect du livre que j'ai profondément aimé, le premier s'avérant par moment lourd et exigeant. Mais le premier alimente le second, il est vrai, deux facettes indissociables pour comprendre cet homme. Ces deux facettes, que je distinguais nettement au premiers tiers du livre, se sont mises subtilement à s'entrelacer ensuite. Mon plaisir pour ce livre a été crescendo au point, peu à peu, de déguster véritablement chaque page.

Avec pudeur et délicatesse, Yourcenar ne cache rien, ni les affres de la maladie, ni les penchants sentimentaux contradictoires de cet homme, ni les lâchetés et parvient à faire éclore des ressentis qui étaient restés en moi à l'état de bourgeons… Éclos grâce à cette plume magistrale, je sais d'ores et déjà que je reviendrai sur ces nombreux passages surlignés qui éclairent mes propres sentiments, ma propre expérience. Les livres, ce genre de livre, sont de véritables compagnons nous offrant des réponses.

« Cloué au corps aimé comme un crucifié à sa croix, j'ai appris sur la vie quelques secrets qui déjà s'émoussent dans mon souvenir, par l'effet de la même loi qui veut que le convalescent, guéri, cesse de se retrouver dans les vérités mystérieuses de son mal, que le prisonnier relâché oublie la torture, ou le triomphateur dégrisé la gloire ».

La plume de Marguerite Yourcenar est exceptionnelle. Elle excelle tout autant à exprimer un sentiment universel, à révéler certains ressentis très intimes qui aussitôt approchés, par nous, souvent partent en fumée, voire des pensées davantage inavouables, à décrire avec brio un paysage. Cette lettre faite livre recèle de mille et une pépites comme en attestent les milles et un passages soulignés, commentés, aimés.
J'ai eu la troublante sensation parfois de lire un mélange de secret et de sacré, comme peut l'être l'amour, une forme d'initiation à la vie dans toute sa globalité. Et quelle poésie pour narrer la beauté…

« Ma main glissait sur sa nuque, sous ses cheveux. Dans les moments les plus vains ou les plus ternes, j'avais ainsi le sentiment de rester en contact avec les grands objets naturels, l'épaisseur des forêts, l'échine musclée des panthères, la pulsation régulière des sources. Mais aucune caresse ne va jusqu'à l'âme ».

Sans doute Marguerite Yourcenar, femme du 20ème siècle, était-elle plus proche d'Hadrien que nous le pensons de prime abord pour avoir réussi ainsi à transmettre avec une telle acuité les pensées de cet homme. Finalement, comme lui elle était libre, amoureuse d'une personne du même sexe avec laquelle, loin des convenances de l'époque, elle a vécu changeant même, pour elle, de nationalité, érudite…sage tout simplement, solaire et humaine.

En conclusion, si l'explication détaillée de l'ascension au pouvoir et du pouvoir de l'empereur peut s'avérer parfois fastidieuse, mais le plus souvent passionnante, passionnante de façon croissante, quand elle relate notamment les relations avec les autres peuples ou les mesures économiques et sociales prises, le récit convoque avec érudition tout autant la philosophie, la poésie, l'astrologie, l'ésotérisme, tels que les oracles et la chiromancie, les arts, la mythologie, pour nous livrer un récit solaire qui conte l'humanité dans toute sa globalité et complexité par l'intermédiaire d'un seul homme, d'un grand homme, à travers ses ambitions, ses désirs, sa grandeur d'âme mais aussi via les interstices sombres de ses failles, de ses blessures, de ses lâchetés. le tout au moyen d'une écriture magnifique, ciselée et poétique, une écriture de toute beauté. Un livre rare, compagnon de vie, compagnon de beautés, compagnon de maladie, compagnon d'agonie lorsque, déjà, nous naviguons sur les eaux brumeuses du Styx…

« L'âme n'est-elle que le suprême aboutissement du corps, manifestation fragile de la peine et du plaisir d'exister ? Est-elle au contraire plus antique que ce corps modelé à son image, et qui, tant bien que mal, lui sert momentanément d'instrument ? Peut-on la rappeler à l'intérieur de la chair, rétablir entre elles cette union étroite, cette combustion que nous appelons la vie ? Si les âmes possèdent leur identité propre, peuvent-elles s'échanger, aller d'un être à l'autre, comme le quartier de fruit, la gorgée de vin que deux amants se passent dans un baiser ? »…


Commenter  J’apprécie          10062
Je ne suis pas vraiment porté sur l'adoration des tout puissants, encore moins des empereurs, mais voilà qu'un des leurs m'invite à la confidence au seuil de sa mort. Que fais-je ? Je le renvoie à ses soldats ? À ses garnisons, ? À ses tribuns ? À ses palais ? À ses alcôves ? Ou bien je l'écoute un peu, pour peu qu'il aurait à me dire des choses intéressantes... ?
Ici l'écrivaine, Marguerite Yourcenar, au travers du narrateur qu'est l'empereur Hadrien, convoque autant l'humanité, les philosophes que les astres.
Comment nommer ce livre, Mémoires d'Hadrien ? Est-ce un roman historique, une biographie ? Une confidence ?
Ce livre peut faire peur, cette peur c'est d'ailleurs ce qu'il m'est arrivé et m'a donné aussi envie d'y venir.
Un carnet de notes à la fin du livre explique le cheminement de l'auteure. Il nous apprend beaucoup sur l'idée initiale, la construction de ce livre, la pensée de l'auteure aussi, Marguerite Yourcenar m'est apparue ici comme une exploratrice insatiable, arpentant autant les lieux physiques où vécut Hadrien que ceux plus mystérieux que sont les sillons de l'âme humaine. C'est presque elle que j'ai découvert plus que l'empereur Hadrien. Cela ressemble au travail d'une existence ployée vers la beauté et l'érudition.
« Un pied dans l'érudition, l'autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique, qui consiste, à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un ».
Dix-neuf siècles plus tard, que reste-t-il de cet homme, l'empereur Hadrien ?
Ce que j'aime dans les personnages des livres, ce sont leurs fêlures, ces interstices par où entre enfin la vie.
Marguerite Yourcenar fait resurgir sous la lumière de son écriture un empereur intègre, intransigeant, attachant. C'est un empereur autant attaché aux travaux de la paix qu'à ceux de la guerre. D'ailleurs, la paix il va la construire comme quelque chose d'essentiel pour lui.
Il posera un regard nouveau sur ce qui touche l'humain, l'attention aux autres, l'attention aux choses de l'art aussi...
Sur les pas d'Hadrien, nous déambulons sur les contours de la Méditerranée et un peu plus loin vers l'Asie Mineure, et pourquoi pas aussi vers la Bretagne d'alors, c'est-à-dire la Grande-Bretagne d'aujourd'hui, un vaste territoire, un empire, qui devient sous nos yeux comme une sorte de continent : la Mer Noire, l'Espagne, la Grèce, la Gaulle, la Colchide qui nous rappelle le mythe de Jason et des Argonautes, et puis aussi l'île où vécut peut-être le héros Achille...
Le début du récit commence par une lettre adressée par l'empereur Hadrien à Marc-Aurèle, futur empereur, en quelque sorte celui qu'il désigne ici comme son successeur. Nous démarrons donc ce texte en agréable compagnie. Hadrien sent sa mort proche et se confie... Alors il revient sur son passage dans la vie, peut-être dans L Histoire, la trace qu'il espère pourquoi pas laisser après lui...
Aurais-je lu ce livre s'il n'avait été proposé par un cercle de lecteurs auquel j'appartiens au sein de ma médiathèque préférée ? Quand je dis « cercle de lecteurs », je devrais dire « cercle de lectrices », je suis le seul homme régulier de ce cercle. Si vous m'autorisez une petite digression, je vous dirai qu'un jour je me suis étonné de ce manque de parité, pour une fois à l'envers. La directrice de la médiathèque m'a alors donné son interprétation. Statistiquement, les hommes lisent autant que les femmes, par contre, s'agissant de parler des livres, les hommes ne sont pas présents à cet exercice, par pudeur sans doute, n'osant pas révéler à d'autres personnes des émotions qu'ils ont ressenti à ces lectures... Voilà, je referme la parenthèse.
L'écriture de Marguerite Yourcenar est magnifique, lumineuse, solaire, sensuelle à certains endroits. Elle est fluide et m'a aidé à accéder à ce propos érudit qui convoque un personnage historique.
On se fait un monde des empereurs romains, on les croit fous, névrosés, tyranniques, dictateurs, inaptes à comprendre le monde, incapables de descendre de leur piédestal.
Il est vrai que des personnages comme Néron, Caligula, ou même César, n'ont pas aidé à rendre beau le profil de la fonction.
Si l'empereur Hadrien porte un regard humain sur ses semblables, il n'en demeure pas moins qu'il sait régler avant l'heure tout risque pouvant menacer son pouvoir, les manoeuvres autour de lui sont monnaies courantes, son charisme joue à chaque fois dans le bon sens.
C'est un empereur qui a des failles, des blessures, des doutes... Des défauts aussi, des endroits où il nous agace à certains moments. C'est d'ailleurs la force du propos. Humblement, il le reconnaît d'ailleurs, il nous confie ses erreurs, ses secrètes lâchetés. Mais c'est un homme de pouvoir et dans sa fonction où il faut prendre des décisions, ses émotions s'effacent, se retirent un peu pour laisser l'empereur faire son travail...
J'ai aimé cet empereur qui forge les premiers pas de son pouvoir sur le renoncement à une politique de conquête. Il voulait le pouvoir pour restaurer la paix, mettre un terme aux répressions sanglantes.
Hadrien, homme politique aussi forcément, nous dévoile ce qui existait et qu'on croit parfois comme une réalité contemporaine : l'orgueil et la vanité du pouvoir, la convoitise de ce pouvoir, les intrigues de palais, les conspirations, les ténébreuses machinations, le cercle étroit des femmes...
Son destin, sa manière de gouverner, sa trace, tout cela indique une note originale et j'ai trouvé dans les mots de Marguerite Yourcenar une manière belle d'aborder l'humanité tout entière au travers de l'envergure d'un seul homme, ses rêves, ses désirs, ses ambiguïtés, ses blessures, ses renoncements...
Voilà un empereur qui creuse des ports, construit des digues, des aqueducs, élève des fortifications pour se défendre, fonde des bibliothèques.
Des villes naissent, se multiplient sous son règne. Elles sont belles.
Hadrien se détourna très vite de son épouse Sabine pour laquelle il a des mots très durs. L'empereur aimait davantage les hommes que les femmes et dans ce chemin de vie davantage les jeunes hommes, des éphèbes. Son amour véritable fut Antinoüs. Leur amour fut un éclat de bonheur, un diamant, quelque chose qui scintilla, et la mort du jeune homme, son choix de mourir un jour, fut quelque chose qui dévasta Hadrien, le rendit plus humain, le ramena à la terre, à la mer, au paysage quotidien, aux bruits de la rue et du rire des enfants. Sans doute il ne s'en remit jamais... Ou peut-être cela changea son regard sur l'humanité. Hadrien en fut dévasté, comme il fut dévasté par la mort d'autres proches avant et après.
La « presque sagesse » d'Hadrien qui transpire dans le texte de Marguerite Yourcenar nous offre des mots follement beaux, fugitifs, parfois un peu rebelles par rapport à l'ordre des choses, des mots qui transgressent et veulent davantage dire la paix que la guerre, davantage dire l'attention auprès d'un esclave que le désir de répression...
Davantage dire la vie...
Un magnifique texte, empli de lumières et d'érudition.
Commenter  J’apprécie          9229
J'ai beaucoup tardé pour lire ce livre et dépassé l'âge requis par Marguerite Yourcenar mais je crois qu'il faudrait le lire à l'adolescence quand on étudie l'histoire romaine.

Ce serait l'occasion de s'imprégner d'une écriture magistrale, raffinée, d'une pureté extraordinaire au sens propre car il doit falloir certainement remonter à Victor Hugo pour en approcher.

Le personnage d'Hadrien est superbement campé et lui donner le rôle du narrateur est une démarche qui donne au lecteur une vision encore plus proche de l'empereur.

La documentation est fouillée, les voyages de l'auteur au plus près de la réalité de l'époque, elle a consulté des centaines d'ouvrages ou documents, consacré plus de trente années de travail, le tout servi par un talent d'écrivain incomparable aujourd'hui.
Commenter  J’apprécie          712
Une bénédiction que de nous avoir offert ce monument au programme de l'agrégation, et en même temps un crime : cela nous oblige à sprinter dans notre lecture, alors que c'est tout à fait le genre d'oeuvre qui se savoure comme un suc, un nectar de tous les instants. Vous connaissez Voyage au bout de la nuit, ce chef d'oeuvre familier, de pessimisme, où un vieux ronchon crache sur le monde, avec genre 12 citations par page aussi mémorables et vraies que du Shakespeare? Mémoires d'Hadrien, c'est la même chose, mais en langage soutenu et sans l'amertume, avec un empereur romain antique hallucinant, aux antipodes des bouchers psychopathes dont on entend parler la plupart du temps en cours de latin/grec.

Homme lettré, esthète, amoureux de la Grèce, de la voûte étoilée, jouisseur presqu'épicurien du plaisir des sens, pacifiste, idéaliste, progressiste, être on ne peut plus réfléchi, il nous offre, à défaut d'une vie ultra-romanesque, des réflexions d'une actualité sidérante, tant sa sagesse, sur tellement de points, la vie, la mort, l'amour, la politique, les religions, le plaisir, la postérité, la perception publique de l'homme de pouvoir, pendant son règne puis post-mortem... est criante de vérité. Ses considérations résonnent encore certes en 1951, au moment de la publication, mais encore plus en 2015. L'épisode de Jérusalem dans la partie Disciplina Augusta en est, je crois, l'exemple suprême.

Outre l'histoire déchirante avec Antinoüs, les moments de grâce de l'empereur plongé dans sa contemplation du monde, de son oeuvre, de sa vie, de l'humain (là encore, pensée extraordinairement moderne pour un homme antique!), je retiendrai, comme je l'ai mentionné plus haut, ses craintes, lors de ses moindres erreurs et échecs, de l'interprétation du peuple, des scribes, et de l'Histoire. Hadrien nous montre que L Histoire ne retient jamais l'Homme. Elle ne cesse d'interpréter, de tirer des conclusions sur les maladresses d'une gouvernance qui échappe au gouvernant, malgré toute sa bonne volonté. Immanquablement, cela a fait écho à l'impopularité de notre cher président actuel, sans vouloir défendre tous ses choix, qui doit certainement vivre les mêmes tourments.

Rarement un personnage de papier (historique, basé sur une documentation ultra-pointue de la part de Yourcenar, mais il n'en reste pas moins qu'il est écrit par une tierce) m'aura autant semblé réel dans la livraison de toutes ses pensées, de ses émotions, et le véritable auteur, inexistant, invisible. C'est un tour de force. Yourcenar raconte être rentrée dans la peau d'Hadrien, et le résultat est sans pareil.

L'enchaînement réflexif et mémoriel d'Hadrien, avec en quelque sorte un paragraphe = une idée développée, et une logique dans leur enchaînement, rappelle Proust, mais en moins pénible, verbeux et prétentieux (attention, je l'apprécie quand même toujours!), sans la phrase à rallonge, et sans le commentaire systématique expliquant sur 50 couches la moindre chose. Yourcenar était une inconditionnelle de Marcel, mais pour moi, c'est un bien meilleur écrivain. Mémoires d'Hadrien a failli rejoindre l'île déserte Babelio, mais je n'ai pu me résoudre à sacrifier un de mes 6 livres déjà choisis, et il aurait fallu aussi y joindre le Guépard, autre chef d'oeuvre découvert grâce à l'agrèg...

Ce chef d'oeuvre métaphysique, philosophique, historique, politique, humain, bouleversant par l'esprit si avancé du personnage, et par les quelques épisodes romanesques très émouvants qui se produisent, possède un bémol tout personnel : il faut attendre la fin de la partie Tellus Stabilita pour que le style et le personnage gagnent cette ampleur qui ne quittera plus le roman, aura son apogée (comme la vie d'Hadrien) lors de l'inoubliable Saeculum Aureum, et ce, jusqu'à la dernière page.

La lecture est difficile, beaucoup l'ont dit, et ce, en raison de l'extraordinaire érudition de l'auteur, qui insère une quantité proustienne de noms de personnages, villes, contrées antiques dont la plupart d'entre nous ne connaîtront qu'un tiers, le tout sans préambule. Mais pour ma part, ce déluge patronymique m'a surtout permis d'ancrer encore plus mon cerveau dans cette époque, cette belle antiquité gréco-romaine, et de me faire découvrir, avec Google, de somptueux lieux ou auteurs auxquels je n'avais jamais prêté attention... Vous en retirerez un énorme bénéfice culturel et une immersion totale dans l'oeuvre!

Si vous voulez avoir un aperçu de cet opus de la sagesse, vous pouvez parcourir toutes les citations déjà postées sur le site, qui témoignent de la pertinence ahurissante des pensées d'Hadrien... Car Yourcenar a puisé chez les historiens, mais aussi dans la propre poésie de l'empereur pour le reconstruire ici. Un des plus grands romans qu'il m'ait été donné de lire, peut-être sur l'homme politique le plus grand, le plus lucide, le plus humain que la Terre ait jamais porté, livré par un écrivain d'un talent inouï qui a gagné mon respect, et qui avait bien mérité sa place à l'académie française.
Commenter  J’apprécie          6419
La publication en 1951 des Mémoires d'Hadrien fut pour Marguerite Yourcenar (1903-1987) le couronnement d'un travail qui s'était étendu sur plus de vingt-cinq années. Cette romancière et poétesse française, première femme élue à l'Académie française, s'était intéressée très tôt au personnage d'Hadrien, qui régna sur l'Empire romain entre les années 117 et 138.

Sa curiosité pour un empereur qu'on qualifierait de nos jours d'humaniste et de globe-trotter tourna à la fascination lorsqu'elle prit la mesure d'une phrase de Flaubert : « Les dieux n'étant plus et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été ». Pour Marguerite Yourcenar, Hadrien fut typiquement cet homme seul, libre encore de tout dogme et délivré de la crainte que le ciel ne lui tombe sur la tête.

Tout en menant un travail érudit et exhaustif de documentation nécessitant de lire couramment le latin et le grec ancien, Marguerite Yourcenar s'est longtemps interrogée sur la forme qu'elle donnerait à ce qui s'apparente à un roman historique. Elle a choisi de laisser s'exprimer Hadrien. L'ouvrage n'est toutefois ni une autobiographie ni un journal. Il se présente comme une très longue lettre (trois cents pages) écrite par l'empereur quelque temps avant sa mort, qu'il sentait venir, et destinée à ceux qui seront appelés un jour à la tête de l'Empire. L'écrivaine historienne s'est alors effacée, identifiée au personnage, insérée dans l'époque, afin de voir, d'entendre, et de penser comme si elle était Hadrien.

Hadrien revient sur ses années de formation, ses premières responsabilités, son ascension vers le pouvoir dans le sillage de Trajan, un empereur guerrier et conquérant, qui le désigna comme son successeur sur son lit de mort. D'esprit tolérant, ouvert aux idées extérieures, Hadrien mit un terme à la politique expansionniste de son prédécesseur, se déplaçant aux quatre coins de l'Empire afin d'en pacifier les territoires, d'y développer l'économie et d'agréger les cultures des peuples à la civilisation romaine. A la fin de son règne, il échoua cependant en Judée, où les zélotes, réfractaires à toute remise en cause de leurs pratiques, le contraignirent à une guerre impitoyable et funeste.

Sage, clairvoyant, conscient de ses responsabilités, il a travaillé au progrès de l'humanité et des sociétés, a modernisé les lois, tout en restant lucide et stratège sur les obstacles et les menaces, n'hésitant pas à frapper fort si nécessaire. Lettré, poète, amateur d'art, captivé par l'histoire grecque et l'antiquité égyptienne, il fit construire des cités modernes, des temples, des bibliothèques et la fameuse Villa Hadrienne, à Tivoli, non loin de Rome. « Je me rendais responsable de la beauté du monde, je voulais que les villes fussent splendides », écrit-il.

Dans sa vie privée, Hadrien fut un amoureux passionné. Des femmes, et surtout de jeunes garçons en quantité, un usage politiquement correct à l'époque. Parmi ces éphèbes, son favori, Antinoüs, que sa mort mystérieuse par noyade dans le Nil éleva au rang de divinité.

Sous la plume prêtée à Hadrien par Marguerite Yourcenar, la syntaxe est parfaite. le langage est simple, fluide, en dépit de nombreux noms propres – personnages, lieux – et de mots inusuels désignant des objets ou des pratiques du IIe siècle. Hadrien raconte au passé simple son parcours d'empereur. C'est une longue, très longue narration, développée sur un ton si uniforme que la lecture en devient par moment monotone. Mémoires d'Hadrien n'en reste pas moins un prodige de virtuosité littéraire et un éclairage passionnant sur l'apogée de l'Empire romain.

A la fin de sa vie, Hadrien, malade, se montre désabusé, fataliste, tout en restant globalement optimiste. « le désordre triomphera, mais de temps en temps, l'ordre aussi… Les mots de liberté, d'humanité et de justice retrouveront çà et là le sens que nous avions tenté de lui donner ». Une vision éclairée, des propos qui sonneraient juste aujourd'hui. de quoi à la fois espérer et désespérer de l'espèce humaine.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          630
J'ai longtemps été intimidée par Marguerite Yourcenar, que je croyais à tort barbante et compliquée...
Toutes mes excuses, je viens de finir les mémoires d'Hadrien et je suis subjuguée par la finesse, l'intelligence, la rigueur et la densité de ce récit.
Je suis d'autant plus admirative, que Mme Yourcenar à reussi à me rendre passionnants une époque et un homme qui jusque là m'évoquaient juste vaguement mes leçons d'histoire au collège. Et je recommande à tous de lire ce livre dense et exigeant, qui retrace la vie de l'empereur Hadrien, vous ne le regretterez pas !
Le carnet de notes qui suit est également à lire, et très intéressant. concernant l'évolution de l'élaboration de ce roman, qui aura tout de même, au final, duré plus de 25 ans!
Commenter  J’apprécie          636




Lecteurs (11069) Voir plus



Quiz Voir plus

Marguerite Yourcenar

Quelle est la nationalité de Marguerite Yourcenar ?

Elle est belge
Elle est américaine

10 questions
282 lecteurs ont répondu
Thème : Marguerite YourcenarCréer un quiz sur ce livre

{* *}