Ce ne sont pas les Espagnols seulement qui se groupent autour de Fortuny, son atelier est un de ceux qu'on visite le plus : de Boston, de Philadelphie, de Cuba, de New-York et de Chicago, on lui envoie des visiteurs qui font de la propagande à cette peinture brillante, curieuse, habile, et encore plus faite pour charmer les yeux que pour toucher le cœur. L'atelier lui-même est plein d'intérêt, c'est un cabinet d'amateur, un petit musée. Les murs nus lui font horreur, Fortuny couvre tout l'atelier de brillantes étoffes, il dresse contre les parois de grandes vitrines pleines de poteries, de faïences persanes, de morceaux d'azulejos, de spécimens de Fart hispano-arabe ou de l'art persan, armes précieuses, buires, plats à reflets métalliques, verreries de Murano, étoffes de l'Orient. Tout ce qui brille, tout ce qui miroite, tout ce qui retient la lumière, il le recherche et le collectionne.
Fortuny vivait absorbé dans une contemplation féconde et sollicité de tous les côtés à la fois par les mille épisodes brillants, pittoresques, inattendus et dramatiques, qui se déroulaient devant lui. Des choses les plus émouvantes, il ne voyait que l'aspect extérieur; le côté âme et passion semblait lui échapper, comme pour lui permettre de mieux considérer le costume et le caractère. Il allait et venait par les camps avec une activité infatigable, muni d'un large carton de papiers légèrement teintés sur lesquels, avec une dextérité extraordinaire, il fixait, à main levée et debout, tout ce qu'il voyait, en rehaussant ses dessins d'une tache blanche, pour avoir des reliefs. C'était déjà juste, net, très habile de facture, pas encore savant au point de vue de l'attache anatomique
Le 6 mars 1857 (le peintre avait alors dix-neuf ans', il obtint au concours la pension de Rome instituée par l'ayuntamiento de la ville de Barcelone en faveur de celui des élèves natifs de la province qui a donné la preuve de hautes dispositions pour la peinture. Plus tard, cette pension se doubla d'une seconde, faite par la reine Isabelle sur sa cassette particulière. Il quitta Barcelone le 14 mars de la même année.