AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791034749171
160 pages
Dupuis (23/04/2021)
4.05/5   204 notes
Résumé :
Tirage de tête à 999 exemplaires avec frontispice numéroté et signé par l'auteur.

Deux cents ans après sa naissance, Baudelaire continue de marquer les générations et le poète plane sur l'œuvre d'Yslaire depuis les origines. C'est pourtant Jeanne Duval, celle que le poète a le plus aimée et le plus maudite, que le dessinateur a choisie pour revisiter dans ce chef-d'œuvre la matière sulfureuse et autobiographique des Fleurs du mal.

De Je... >Voir plus
Que lire après Mademoiselle BaudelaireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (69) Voir plus Ajouter une critique
4,05

sur 204 notes
5
36 avis
4
22 avis
3
6 avis
2
4 avis
1
0 avis
♫Que j'aime voir, chère indolente
De ton corps si beau
Comme une étoffe vacillante
Miroiter la peau
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain
Tes yeux où rien ne se révèle
De doux ni d'amer
Sont deux bijoux froids où se mêlent
L'or avec le fer
À te voir marcher en cadence
Belle d'abandon
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant♫
-Gainsbourg- 1962-
---♪---♫---🐍---🥀---🐍---♫---♪---
La chanson Baudelaire (Le Serpent Qui Danse) fait partie de l'album Serge Gainsbourg N° 4 en 1962. S'il a composé la musique de cette chanson il y a 60 ans, le texte en a été écrit il y a 165 ans, par Charles Baudelaire, dans son album recueil Les Fleurs du Mal paru en 1857.

Je, ma Muse, et j'ai ri
Moi, jeune dandy, poète
Mot dit : Quelle Nouvelle, Berthe ?
Madame est servie !
Poète solitaire haut en couleur
Ebène chevelure
Bleu ciel azur ou noirceur
Verte confiture
Ah chiche, ne fait plus le pois
dawamesk et gosier jamais à sec
N'a muse pour qui le sein serre

Nadar, de son vrai nom Tournachon
Gérard de Nerval
Ernest Prarond,
6, rue de la femme sans tête
pas tronc étroit Duval, Jeanne
Vénus noire, l'inspiratrice
Il sont tous Vénus
ils sont tous las
Les fleurs du mal
Ces feuilles pas si mal
mes pensées si suis der
mes alexandrins embrassés
ABBA
money, Monet,
Mal de Vénus,
merci philis
Il bat de l'aile
v'là Monsieur Charles Baudelaire.
Longue lettre imaginée
Allégories hantent au logis
Et lé phantasmagories
Un des plus bel hommage
Qu' Yslaire nous a ici, imagé...
Commenter  J’apprécie          1123
Ouvrage reçu lors d'une Masse critique Privilégiée, je tiens tout d'abord à remercier babelio ainsi que les éditions Aire Libre pour l'envoi de ce magnifique ouvrage. En effet, j'aurais pu rajouter l'étiquette "beau livre" à ce dernier tant c'est avant tout une composition sublime, reliée, avec des dessins extrêmement bien travaillés et une histoire qui rend dignement hommage à l'un des plus grands poètes français du XIX e siècle qui était Charles Baudelaire.

L'histoire du poète maudit nous est retranscrite à travers la voix de Jeanne Duval, qui fut la maîtresse de Baudelaire durant de longues années. Celle que ses amis surnommèrent "sa Vénus noire" en référence à sa couleur de peau mais aussi peut-être en raison du fait qu'elle plongeait Baudelaire dans des états d'ivresse de l'amour, de passion dévastatrice mais aussi de création artistique admirable. Passion avant tout tant Baudelaire était passionné par cette mystérieuse métisse vers laquelle il ne pouvait s'empêcher de venir et de revenir inexorablement, au dépit de sa mère et de certains de ses amis. Certes, Jeanne Duval ne fut pas la seule maîtresse du poète mais elle fut celle qui le mena à sa perte. En tant qu'esthète et dandy comme il se qualifiait lui-même, Charles ne pouvait pas se contenter de vivre vivement chichement, comme sa condition l'aurait exigée mais aimait au contraire vivre dans le luxe et la volupté comme l'on dirait. Aussi, passionné d'oeuvres d'art, il ne pouvait s'empêcher de dépenser des sommes astronomiques dans celles-ci tout comme dans ces habits et ce, malgré le fait qu'il ait rapidement dilapidé l'héritage que son père lui a légué à sa mort. Aussi, accumulait-il les dettes, encore une fois, au grand dam de sa mère et de son beau-père mais pour l'artiste (encore non reconnu) qu'il était, il ne pouvait en être autrement...

Ayant étudié "Les Fleurs du Mal" au lycée, ouvrage dont il est principalement fait mention ici, Yslaire m'a donné envie de me replonger dans ce très grand classique de la poésie française. Je suis persuadée qu'étant trop jeune (et probablement naïve) à l'époque, je n'ai pas compris toutes les subtilités et peut-être qu'après avoir lu cet ouvrage précieux (et richement documenté avec une biographie en fin d'ouvrage à l'appui), certains passages me réserveront des surprises encore insoupçonnées ! Quoi qu'il en soit, même si ce n'est pas le cas, c'est un ouvrage à lire et à relire et ce, sans jamais sans lasser et Yslaire lui rend dignement hommage ici ! Un beau cadeau à faire si vous voulez (ou si vous voulez tout simplement vous faire plaisir) tant cet ouvrage est une merveille, autant du point de vue de son contenu que de son contenant !
Commenter  J’apprécie          725
Nombreux sont les artistes qui ont trouvé dans les traits ou la personnalité d'une femme, leur source d'inspiration créatrice inépuisable.

Peintres, sculpteurs, écrivains, poètes, ils ont chacun à leur façon, élevé au rang de muses et chéri publiquement ces femmes.
Gala Dali, Sarah Bernhardt, Jeanne Samary ou encore plus récemment Jane Birkin, ont été reconnues comme des véritables égéries par la société.

Origine de la création artistique de l'artiste qu'elles inspiraient, connues, peu connues, inconnues, mal connues, le nom de certaines de ces muses ne sont toutefois pas restées dans la mémoire collective.

Jeanne Duval, la muse de Baudelaire, aimée, haïe, idolâtrée, dénigrée, mais indéniablement présente dans son oeuvre, était considérée dans Les Fleurs du mal, comme la muse qui peut devenir vénéneuse et se transformer dans la femme fatale qui mène le poète au spleen.

Yslaire a décidé de donner de la voix et surtout des traits et des couleurs à l'une des muses les plus controversées de la poésie : Mlle Baudelaire, la Venus Noire qui a inspiré et soutenu l'oeuvre créatrice du poète mélancolique et solitaire au destin tragique.

Récréant les vapeurs et les moiteurs de l'époque, Yslaire donne chair à Jeanne Duval et la laisse nous raconter sa version de Baudelaire.
Cela donne des dessins érotiques aux couleurs féériques, somptueux dans les ancrages, magnifiquement exécutés dans une palette d'images intimes et sulfureuses, sublimées par les fantasmes, les vapeurs d'alcool et de laudanum.
Ce roman graphique est un coup de maître du dessinateur belge.

Ces images exploitent la sexualité des poèmes, loin de la pornographie, les métaphores subliment la beauté de la passion.

Il fallait oser, et heureusement il l'a fait !
Yslaire ouvre la porte aux spéculations concernant le véritable rôle que Jeanne Duval a joué dans la transcription de plusieurs des poèmes de Baudelaire et lui rend hommage en restituant le côté passionnel, voluptueux et divin de cette passion, grâce à la présence inspiratrice de Mlle Baudelaire.

Je remercie Babelio est les Editions Aire Libre de me faire découvrir ce magnifique ouvrage. Un chasse spleen bienvenu.


Commenter  J’apprécie          592
Quaerens quem devoret.
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2021. Il a été entièrement réalisé par Yslaire (Bernard Islaire) : scénario, dessins, couleurs, lettrage. Ce créateur est également l'auteur de la série Sambre, XXe ciel.com. L'ouvrage se termine avec une biographie de quatre pages du poète.

Jeanne Duval en démone avec des ailes côtoie les gargouilles de Notre Dame. Charles Baudelaire avec des ailes d'albatros s'élance dans le vide depuis une haute tour de la cathédrale. Elle s'élance dans le vide à sa suite, sous le regard de pierre des gargouilles. Il ouvre les yeux, dans son lit, avec elle nue à ses côtés, sous le regard d'un chat noir juché sur l'armoire. Elle allume une cigarette en lui demandant s'il se souvient de combien de bouteilles il lui a fait boire. Il commence à lui lire un poème écrit pour elle : le soir, l'âme du vin chante dans le Bordeaux. Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure, des souvenirs dormant dans cette chevelure, je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir. La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, tout un monde lointain, absent, presque défunt, vit dans tes profondeurs, forêt aromatique. Pendant ce temps-là, elle se trémousse devant lui, dans le plus simple appareil, et elle commence à se caresser. Elle lui met son doigt mouillé par ses sécrétions, dans la bouche, puis le chevauche, toujours sous le regard du chat impassible.

Paris le trente-et-un août 1867, les amis en deuil sont rassemblés devant le cercueil qui a été mis en terre. Jeanne se tient un peu à l'écart, en s'appuyant sur une béquille. Caroline Aupick est raccompagnée chez elle par monsieur Charles Asselineau. Elle se plaint à lui de la présence de Jeanne qui, encore dans sa dernière lettre en avril 1866, demandait à son fils, une somme d'argent immédiatement, alors qu'il était dans de si grands embarras et malade à Bruxelles. Et maintenant elle lui demande un héritage. Une fois son invité parti, elle s'installe à son bureau et sort la longue lettre de Jeanne. Cette dernière indique qu'elle a été la muse immorale, damnée, du plus grand poète maudit. C'est elle, la belle ténébreuse, cette chère indolente, qui marche en cadence, belle d'abandon, comme un serpent qui danse… la fille des colonies, l'esclave créole, la mulâtresse, la Béatrice, la charogne, la triste beauté, la reine des cruelles, mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits… Celle qui noyait sa nudité voluptueusement, dans les baisers du satin et du linge, et, lente ou brusque, à chaque mouvement, montrait la grâce enfantine du singe. Elle vient de ces paysages lointains qui font rêver un enfant qui s'évade en pensée de ce Paris moderne et enfumé par la fumée noire des cheminées. Charles avait six ans quand son père est mort. Il demande à la servante Mariette où est son père. Elle répond que sa mère lui a déjà dit, qu'il est parti en voyage, tout là-haut au ciel, au Paradis. Charles a tant prié pour le salut de ce fantôme absent qu'il a fait de sa mère, sa seule divinité sur Terre.

Qu'il connaisse ou non le travail de ce créateur, le lecteur en identifie rapidement les spécificités. Pour commencer la narration est essentiellement menée par les phrases de la lettre de Jeanne Duval, qui courent en haut ou en bas des cases dans plus de la moitié des pages. Il s'agit donc d'une narration très écrite, entre remarques adressées à la mère du poète, et description de sa vie, de l'état de la relation entre lui et elle. En même temps, il s'agit également d'une narration très visuelle. le tome s'ouvre avec une illustration en double page, présentant une silhouette féminine en danseuse avec l'or de ses bijoux ressortant sur sa peau noire de sa silhouette en ombre chinoise, un début de transformation en démon cornu, et la pauvre Charles, accablé avec les épaules tombantes, une plume dans la main droite et une feuille de papier dans la main gauche, avec ses ailes d'albatros. Puis vient la séquence onirique avec gargouilles et ange déchu depuis les cimes de Notre Dame, en trois dessins en pleine page. Au fil de l'album, le lecteur se délecte de dix-sept dessins en pleine page, deux en double page. Il lit vingt-six pages muettes, dépourvues de tout texte, même du récitatif constitué de la lettre écrite par Jeanne. Il apprécie la variété de ladite narration, pouvant aussi bien offrir une illustration extraordinaire, que des pages de bande dessinée classique à base de cases rectangulaires bien délimitées, disposées en bande.

Le lecteur succombe vite au charme des dessins, de la variété des techniques utilisées : dessin avec formes détourées et encrés, et mise en couleurs, tracés plus libres, avec contours esquissés par plusieurs traits non effacés, rendu de type gravure pour illustration dans un journal du dix-neuvième siècle, bichromie et formes détourées au crayon, motif imprimé en fond de case comme du papier peint, facsimilé d'une toile de maître (Gustave Courbet), jeu avec les couleurs pour un effet impressionniste (par exemple le feuillage estival des arbres déjà un desséché dans la lumière mordorée du soleil), utilisation d'une couleur de type encre de seiche, puis contraste avec des cases en noir et gris foncé, bichromie en nuances de gris, collage de plusieurs images côte à côte, sans bordure de case, page composée en pyramide avec le premier plan en bas de la page, une image qui vient dominer ce premier plan au milieu de la page, encore une autre au-dessus à gauche, et une autre différente dans la partie supérieure droite, le tout fondu les unes dans les autres, mouvement montré dans une suite de cases, jeu entre la bichromie et un élément en couleur comme une fleur, variété des cadrages, etc. L'artiste use naturellement des possibilités offertes par le dessin, prise de vue, techniques de dessin, outils pour dessiner, avec une élégance et un à-propos extraordinaires, sans tomber dans une forme de prolifération démonstrative.

En fonction de sa sensibilité, le lecteur se retrouve bouche béante, arrêté dans sa lecture, devant telle ou telle image. Par exemple, il peut rester à regarder le vol de la gargouille et de l'ange-albatros pour sa qualité gothique, être épaté par ce gros plan sur le sexe sombre de Jeanne avec une rose en guise de vulve, se sentir habité par ces pages où Jeanne écrit avec Charles tenant sa main avec la plume, et pour fond des lignes d'écriture cursive dans une bichromie pourpre extraordinaire transmettant l'inspiration de la muse dans un flux extatique, sourire devant le bleu très clair de la confiture verte (dawamesk) ressortant doucement sur la tonalité ocre des cases, partir dans les visions de Charles sous l'influence de ce produit psychotrope (Jeanne en démone, en panthère spectrale, etc.), se sentir mal devant le dessin de charogne d'un cheval, frémir devant l'animalité d'un des rapports sexuels du couple, etc. À l'opposé d'un artiste qui veut en mettre plein la vue, Yslaire choisit avec soin les techniques les mieux à même d'exprimer ce qu'il souhaite faire passer comme impression, comme sentiment, comme sensation, pour évoquer la manière dont le poète ressent le monde.

La narration visuelle constitue un voyage en lui-même, exprimant le ressenti et la sensibilité du poète plus que celui de sa muse. Par l'artifice de la lettre, l'auteur peut parcourir la vie de Charles Baudelaire (1821-1867) dans l'ordre chronologique. S'il connaît déjà la vie du poète, le lecteur y retrouve des éléments emblématiques comme sa syphilis, sa prise de laudanum, son caractère dispendieux, ses dettes l'obligeant à déménager très régulièrement, sa relation avec sa mère, son admiration pour les oeuvres d'Eugène Delacroix (1798-1863) et en particulier son tableau La mort de Sardanapale peint en 1827, sa tentative de suicide d'un coup de couteau le trente juin 1845, son engagement politique en particulier lors de la troisième révolution de 1848, dite de Février, et sa participation aux Journées de Juin la même année, sa mise sous tutelle financière, sa relation avec Apollonie Sabatier, etc. Tous ces événements sont relatés par Jeanne même si elle n'était pas personnellement présente à chaque instant. Elle évoque également les relations du poète avec les autres artistes de l'époque : la bohème artistique avec Félix Tournachon (1820-1910, dit Nadar), Théodore de Banville (1823-1891), Ernest Prarond (1821-1909), Gérard de Nerval (1808-1855), mais aussi Gustave Courbet (1819-1877), Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), Théophile Gautier (1811-1872). Les traductions de Edgar Allan Poe (1809-1849) sont également évoquées, avec la présence à deux reprises d'un corbeau prononçant le mot Nevermore. le lecteur qui découvre le poète dispose ainsi d'un aperçu un peu orienté de sa vie, tout en étant très solide et bien documenté. L'un comme l'autre peut également jouer à identifier les extraits de poème présents et à en retrouver le titre, ou à relever une référence, comme celle de la charogne, ou une remarque en passant (page 124) renvoyant à celle qui est si gaie.

Le choix de l'auteur est de présenter Charles Baudelaire, avec le regard de Jeanne Duval, au travers de leur relation. Il comble les manques par des propos qui ont été rapportés à sa compagne, ou ce qu'il lui a raconté. L'ouvrage permet de considérer cet homme comme un privilégié gâté, vivant de ses rentes, dépensant sans compter, imbu de sa personne en vivant comme un dandy, aimant les femmes, incapable de s'astreindre à une régularité dans le travail, égocentrique au possible. Néanmoins le lecteur ne le perçoit pas de cette manière dans sa lecture. Il assiste aux souffrances d'un individu devant prendre du laudanum pour éviter que sa maladie ne s'aggrave, comprend qu'il se traite également avec des pilules de mercure. Il voit un homme réellement amoureux d'une jeune femme (impossible de connaître son âge avec exactitude) qui exerce le métier de prostituée, et d'une origine considérée à l'époque comme inférieure, défendant les artistes qu'il estime, amateur de beau bizarre (page 79 : le beau est toujours bizarre), souffrant de sa maladie, de son mal-être, partagé entre l'horreur de la vie et l'extase de la vie. Pages 116 & 117, le lecteur est terrifié quand Jeanne Duval jette violemment l'encrier du poète et fracasse sa psyché, brisant ainsi l'image qu'il avait de lui dans son miroir, mais aussi son ego, jouant visuellement sur les deux sens du mot Psyché. Il sourit en page 124 quand Baudelaire déclare à Marie Daubrun que pour lui un bon portrait est une biographie dramatiste, c'est-à-dire exactement ce que Yslaire a réalisé pour raconter la vie du poète. Arrivé à la fin, le lecteur se dit qu'il aurait bien lu quelques pages de plus, sur des éléments pas forcément développés, comme son éloignement pour l'usage de produits psychotropes, mais il fallait faire des choix.

Il suffit au lecteur de feuilleter cette bande dessinée pour comprendre qu'il bénéficie d'une invitation au voyage avec des pages de toute beauté, variées et séduisantes. Il comprend rapidement que le bédéaste affiche un point de vue dans cette biographie, en mettant en avant Jeanne Duval, et surtout sa relation avec Baudelaire. Il plonge dans une reconstitution en forme de drame, très bien documentée, visuellement envoûtante, n'hésitant pas à choquer en montrant crûment une charogne aussi bien qu'un sexe de femme en gros plan teinté de sang, qu'un sexe d'homme qui se transforme en serpent, à montrer la dimension pathétique de cet homme qui souffre, à faire apparaître l'évolution de la relation entre Jeanne et Charles jusqu'à leurs violentes disputes. Il en ressort enchanté par les sensations et les émotions, étrangement réconforté d'avoir partagé les tourments de cet homme frère en humanité.
Commenter  J’apprécie          374
Ô miroir, mon beau miroir, raconte-moi l'histoire de Monsieur et Mademoiselle Baudelaire.

"Jeanne... Acceptez-vous de me prendre pour Monsieur, de devenir mon esclave de minuit ? de me rester toujours attachée ? Et de vous appeler à jamais Mademoiselle Baudelaire ?"

Mademoiselle Baudelaire est un hymne à la beauté. La symphonie de Jeanne, de la féminité et des fleurs du mal.

Telle une Reine de Saba, Jeanne va prendre les rênes de la romance.
Yslaire lui attribue le premier rôle et la narration.

J'ai adoré la forte présence des couleurs contrastées. Yslaire dessine les parfums et la musique aux éclats pigmentés.

C'est sur l'île Bourbon et sous le regard de Charles, que la sublime et jeune Jeanne fait son apparition.
Du haut de sa superbe, la déesse est parée d'une robe transparente et délicate sur une peau chocolat au lait.

"Certains s'imaginèrent même qu'il m'avait rencontrée là-bas..."

Du rose doux au rouge vif, en passant par le jaune métallique et le marron glacé, le dessinateur s'éclate avec les associations de coloris et de mouvements.

Mauve est le foulard de Charles,
Violets sont ses cheveux.
Améthyste est la maison close où Charles perd sa vertu et sa fidélité.

Rose pétale est la fleur éclose dans la vulve de Jeanne,
Ce sexe animal devient rouge sang gorgé par le désir.

Parmes sont les joues de Charles face à l'entrejambe cerise flamboyante de sa muse.

L'or sonore... Je perçois encore les bracelets, colliers et ornements dorés vibrant sur la peau marbrée de Jeanne, en pleine danse érotique.

Menaçant, le sexe tendu de Charles se courbe pour prendre la forme d'un serpent prêt à mordre la bouche et le sexe de Jeanne.

Noir sont les bas soyeux enveloppant les longues jambes de la peau métissée de la vénus,
Ébènes et brillantes sont les boucles de ses cheveux.

"Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, quand je mords tes tresses lourdes et noires, il me semble que je mange des souvenirs."

Roux sont les cheveux de l'écrivain et aéronaute Félix Nadar,
Bronze est le chapeau de l'historien Ernest Prarond.

Animal ténébreux et admirateur de la beauté de Jeanne, noir est le chat de Charles.
Le félin va progressivement adopter la créature mâtinée.

Obsédé par sa muse, Charles l'imagine partout, jusque dans son assiette.
Rongé par la syphilis, le poète lui dicte ses vers. J'aime particulièrement la pleine page où Jeanne porte la plume serrée dans ses doigts fins et aiguisés, la main blanche du poète guidant le rythme.

Observateur et annonciateur de la mort, le corbeau s'associe aux mouches sur plusieurs planches.
Les croyances religieuses occupent une place importante. C'est à Satan que le poète choisit d'invoquer ses prières.

Quand Charles s'approche de la fin de sa vie, vaincu par la maladie, Jeanne apparaît en diablesse aux yeux jaunes électriques, entre méduse et dragonne crachant des mouches, emportant le petit homme argenté dans la nuit brumeuse.

Ainsi, Jeanne la mulatresse sera alternativement une déesse aux ailes d'ange déployées et un démon gargantuesque aux griffes acérées.

"Tout dandy s'accorde à l'air du temps, fût-il un soleil couchant."

J'avais déjà lu "Le ciel au-dessus du Louvre" du même auteur, où l'imagerie et le symbolysme étaient également très marqués.
Yslaire est sans aucun doute un incontournable de la bande-dessinée.
J'ai apprécié son engagement féministe.
Il aime donner la bulle aux femmes et ridiculiser les hommes, conditionnés par leur nature machiste.

La scène du cercle des poètes phallocrates  m'a particulièrement saisie. Chacun leur tour, ils devisagent Jeanne comme s'ils étudiaient un meuble et se perdent en critiques, persuadés de détenir la vérité suprême.

"Ernest Prarond trouvait ma poitrine assez plate, quand Félix Nadar jugeait exubérant le développement de mes pectoraux."
"Ernest était certainement le plus attentionné avec moi. Il m'adressait la parole avec autant d'égards que l'animal qui jouait dans mes bras."

À Charles de répondre : "La femme est simpliste, comme les animaux, elle ne peut séparer l'âme du corps..."

C'est avec ironie que l'auteur caricature la petitesse d'esprit de Charles face à la grande âme de sa venus noire. Alors que le poète mesurait un mètre quatre vingt six, Yslaire dessine la belle métisse du haut de deux mètres, soit une tête et demi de plus que le dandy. Histoire de se venger d'une époque où les femmes ne pouvaient s'exprimer librement.

"Sa chair était faite d'encre noire couchée dans la douleur sur le papier...
Moi, je n'existais pour lui que dans l'invisible"

Tous deux affaiblis par l'hémiplégie, Jeanne et Charles s'éteindront chacun avec un côté paralysé, en reflet, comme un puzzle. L'un dans l'autre, éternellement.
Mademoiselle et Monsieur, l'homogénéité du miroir.

Je vous invite maintenant à laisser glisser les pages entre vos mains et apprécier le kaléidoscope de couleurs s'ouvrant en éventail sous vos yeux.


Lu en août 2021.
Commenter  J’apprécie          4715


critiques presse (12)
BoDoi
01 juin 2021
Il offre ainsi une relecture historique riche et sensible, une plongée réussie dans les tourments de deux âmes éprises de beaux mots.
Lire la critique sur le site : BoDoi
Telerama
31 mai 2021
Yslaire, l’auteur de la saga “Sambre”, revient à son siècle chéri, le XIXe, et raconte l’orageuse idylle de Charles Baudelaire et de la mystérieuse Jeanne Duval.
Lire la critique sur le site : Telerama
Sceneario
25 mai 2021
Peut-être qu'en contre partie, le scénario souffre d'une trop insistante linéarité, sans véritable surprise, autre qu'artistique. Mais l'album ne laisse pas indifférent, assurément !
Lire la critique sur le site : Sceneario
BDGest
11 mai 2021
Se basant sur quelques éléments biographiques, dont un testament laissé par l'auteur quelques jours avant une tentative de suicide, le récit imagine ce qu'aurait pu être leur histoire.
Lire la critique sur le site : BDGest
LeFigaro
06 mai 2021
Yslaire l’auteur de «Sambre» évoque le poète maudit à travers sa muse, Jeanne Duval. Une invitation au voyage.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LigneClaire
26 avril 2021
Yslaire a investi, compris et restitué toute la grandeur humaine et littéraire de Baudelaire.
Lire la critique sur le site : LigneClaire
Auracan
23 avril 2021
De Bidouille et Violette à Mademoiselle Baudelaire en passant par Sambre, la belle saga romantique, et par l’innovateur XXe ciel.com, Yslaire se remet perpétuellement en question pour transcender ses œuvres, et ce dernier opus n’y fait pas exception.
Lire la critique sur le site : Auracan
LeSoir
23 avril 2021
L’artiste belge trace le poème graphique de la « Vénus noire », où se dessine la vie du poète punk des « Fleurs du mal », son génie, ses fulgurances, sa méchanceté aussi.
Lire la critique sur le site : LeSoir
ActuaBD
22 avril 2021
Toujours dans l’émotion, Yslaire a fait son miel de cette histoire en nous livrant un remarquable objet littéraire et esthétique.
Lire la critique sur le site : ActuaBD
BDZoom
20 avril 2021
Une biographie romantique du poète bohème et maudit, mais qui fut quand même reconnu par ses pairs après sa mort, racontée du point de vue de sa muse : et quelle muse !
Lire la critique sur le site : BDZoom
BDGest
12 avril 2021
De Jeanne, pourtant, on ne sait presque rien, ni son vrai nom, ni sa date de naissance, ni sa date de décès. Aucune lettre signée de sa main ne nous est parvenue.
Lire la critique sur le site : BDGest
Actualitte
24 mars 2021
Ce nouveau chef d'œuvre de l'auteur de la série culte Sambre touche au sublime par un dessin qui ranime le parfum de scandale et la sexualité crue d'une poésie en quête d'absolu.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Madame Aupick (ou devrais-je écrire aujourd’hui Madame Baudelaire-Dufaÿs du nom de votre premier mari ?), À vous je peux le dire, madame, qui me demandez qui je suis pour oser vous réclamer un héritage. De m’avoir croisée de rares fois, vous espérez sans doute encore pouvoir m’ignorer. Mais, au risque de vous paraître orgueilleuse, aucun lecteur des Fleurs du mal, n’oubliera la Vénus noir de Charles Baudelaire, la muse immorale, damnée, du plus grand poète maudit. Oui, c’est moi, la belle ténébreuse, cette chère indolente, qui marche en cadence, belle d’abandon, comme un serpent qui danse… la fille des colonies, l’esclave créole, la mulâtresse, la Béatrice, la charogne, la triste beauté, la reine des cruelles, mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses, sorcière au flanc d’ébène, enfant des noirs minuits… Celle qui noyait sa nudité voluptueusement, dans les baisers du satin et du linge, et, lente ou brusque, à chaque mouvement, montrait la grâce enfantine du singe. Savez-vous pourquoi mont poète amoureux m’a si souvent masquée, déguisée, cachée, dissimulée ? Ce mystère entretenu, et même chanté dans tous ses poèmes maudits, sous forme de métaphores et d’allusions choisies, avait pour but de me protéger… Moi de vous… et lui, de moi. Je viens de ces paysages lointains qui font rêver un enfant qui s’évade en pensée de ce Paris moderne et enfumé par la fumée noire des cheminées. Avait-il six ans quand son père est mort ? il se disait déjà rêveur et mélancolique, pleurant sans larmes un vieillard devenu peintre, après avoir été curé. De là sans doute, la dévotion que votre fils gardera toute sa vie pour les images et les tableaux. Quel garçon à cet âge, n’aurait pas prié pour le salut de son âme, de ce vieillard amoureux d’une si jeune femme, la faisant veuve à vingt-six ans, sans fortune et sans gloire ? Charles a tant prié pour le salut de ce fantôme absent qu’il a fait de vous sa seule divinité sur Terre…
Commenter  J’apprécie          50
J’étais intimidée par son étalage de connaissances géographiques, sa mémoire de voyageur. Je n’ai pas dit : « Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lemer... »
J’aurais pu dire aussi Jeanne Duval. Ou encore Jeanne Prosper, ou « Dardart », comme disait mon meilleur ennemi, Nadar, mon premier « monsieur »... ou « la Vénus Noire », comme vous le disiez si bien à votre fils, madame, en insistant avec une voix grave sur la couleur... pour la noircir plus que ma peau.
Commenter  J’apprécie          160
Dans un de ses premiers poèmes écrit au retour de son voyage en Orient, il s'identifiait à l'Albatros : Le poëte est semblable au prince des nuées / Qui hante la tempête et se rit de l'archer,/ Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
S'il est une certitude, c'est que la découverte de ces contrées lointaines, de l'île
Bourbon aux Mascareignes , nourrit " Les Fleurs du mal " , et le marqua toute
sa vie. Pourtant Charles resta toujours discret sur ses souvenirs . Certains imaginèrent même qu'il m'avait rencontrée là-bas .
Commenter  J’apprécie          100
Je l’aidais à faire l’apologie de cette déesse du mal, à laquelle tout le monde voulait m’identifier, convaincue qu’il voulait me protéger de leurs préjugés mâles de jeunes Blancs arrogants. Car moi, la mulâtresse sans nom, sans histoire, la fille créole d’un sombre esclave adorateur de vaudou, je vous l’avoue, je ne détestais pas cette Vénus noire dont il idéalisait la couleur de peau et le parfum de la chevelure crénelée…
Commenter  J’apprécie          120
La langoureuse Asie et la
brûlante Afrique ,
Tout un monde lointain ,
absent , presque défunt ,
Vit dans tes profondeurs,
forêt aromatique !
Comme d'autres esprits
voguent sur la musique
Le mien , ô mon amour !
Je plonge ma tête
amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où
l'autre est en fermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver , ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !
Longtemps !
toujours !
ma main dans ta
crinière lourde
Sèmera le
rubis, la perle
et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne
sois jamais sourde !
Commenter  J’apprécie          80

Lire un extrait
Videos de Yslaire (39) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Yslaire
Ptit Cab La neige était sale
autres livres classés : bande dessinéeVoir plus
Les plus populaires : Bande dessinée Voir plus



Lecteurs (368) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages de Tintin

Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.

Tintin
Milou
Le Capitaine Haddock
Le Professeur Tournesol
Dupond et Dupont
Le Général Alcazar
L'émir Ben Kalish Ezab
La Castafiore
Oliveira da Figueira
Séraphin Lampion
Le docteur Müller
Nestor
Rastapopoulos
Le colonel Sponsz
Tchang

15 questions
5176 lecteurs ont répondu
Thèmes : bd franco-belge , bande dessinée , bd jeunesse , bd belge , bande dessinée aventure , aventure jeunesse , tintinophile , ligne claire , personnages , Personnages fictifsCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..