Où le voile du mystère commence à franchement se lever, et où les interrogations des deux premiers tomes trouvent un certain nombre de réponses. Clairement, la narration s'oriente vers une normalisation du propos : l'identité de Frank Stern - ou plutôt de ses apparitions - commence à se préciser, et le parcours d'Eva Stern à travers une histoire européenne agitée et une histoire américaine rebelle dessine les contours d'un personnage complexe psychologiquement.
En vérité, c'est une histoire dramatique que conte Yslaire : la guerre, la mort, la haine de l'autre hantent les pages d'un album qui, en miroir, est magnifique graphiquement - peut-être le plus beau des trois premiers -, offrant des pages d'une grande poésie et d'une grande beauté, ce qui constitue, à n'en pas douter, l'un des points forts de l'album.
Toutefois, on sent que l'auteur fait évoluer son récit comme un funambule avance sur son fil : en équilibre instable, devant parfois balancer des bras pour continuer son chemin. C'est là tout le paradoxe d'une oeuvre qui pioche dans les grands événements et les tragédies du 20ème siècle, y glissant subrepticement des personnages de fiction et, cependant, semblant hésiter entre un penchant définitivement onirique et une orientation réaliste et sérieusement dramatique.
Du reste, il reste, pour le dernier album, quelques interrogations auxquelles on espère des réponses (notamment : qui est @nonymous ? quel est son but ?). Yslaire donne ici une vision subjective (et assumée comme telle) d'un siècle traversée par des fantômes (certains diraient : des anges), apparaissant et disparaissant au gré des mémoires et des propagandes, et des grands hommes, repères intellectuels et chronologiques situant les personnages de fiction (ainsi Freud ou Kerouac) dans un monde qui connaît des bouleversements sans pareil.
Prologue sur l'origine, la naissance des enfants Stern. Mais « dès le début, il n'y a pas de commencement ». Un lourd secret de famille nous est dévoilé.
Janvier 2000. La jeune Lucienne veille Eva qui est dans le coma, elle essaie de récupérer sa mémoire contenue dans son ordinateur. Mais l'ordinateur bogue, il reste calé au 1er janvier 1900, jour de la naissance d'Eva. Lucienne contacte Nathan, un ancien ami d'Eva, qui lui raconte ce qu'il sait de la vie d'Eva et de Frank. La vraie ( ? en tout cas une autre) version de leur histoire.
Cap sur les années hippie, sur la conquête spatiale, et sur la déportation des juifs. le fil rouge apparent : Des étoiles et des ailes sous toutes les formes.
Un album à dominante brune. La prouesse graphique me fascine toujours autant, pleine de superpositions d'images en fondu enchainé, de jeux de cadrage, de techniques variées. le style Yslaire, avec ces visages qui expriment le spleen, est une vraie signature.
Si tu ne dois en lire qu'un, lecteur, de toute la série, ce sera celui-ci, car « dès le début, il n'y a pas de commencement ». Cette folle de psychanalyste centenaire dévoile ses secrets, et, à travers les méandres d'une Europe violentée par la guerre, la haine et la déportation, c'est un secret de famille refoulé qui éclate en sanglot.
Un ange passe, lecteur. Et pendant ce temps, les États-Unis fêtent la Beat Generation à grands coups de conquête spatiale et de guerre du Vietnam.
Des hommes meurent et des femmes enfantent, lecteur. Enfin, tu ressens de l'empathie pour ces personnages aux psychés torturées. Enfin, les pièces du puzzle s'assemblent en un tout à peu près cohérent. Enfin, une vie miséreuse prend fin et c'est aussi bien de fermer la page de ce siècle funeste.
Encore, le trait d'Yslaire, extrêmement précis, sublime les mots de cette voix off. Yslaire, qui flirte avec les frontières, celles des genres, avant tout, celles des êtres, des tabous et des possibles. Un talent au service d'une Histoire impitoyable, qui en fait même boguer les disques durs les mieux formatés, comme s'il te demandait, inlassablement : « Que reste-t-il de ce siècle éculé ? »
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Dès le début, il n'y a pas de commencement.
Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.