Le dernier tome de la série est dans la lignée des trois autres. Esthétiquement, c'est une oeuvre forte où chaque case - si l'on peut employer ce terme, tant la mise en page correspond peu à une bande-dessinée traditionnelle - est remarquablement travaillée, où le souci de l'auteur de rendre avec justesse les visages et les émotions se mesure au nombre de traits qui en tracent les contours. Autour de ces dessins narratifs (dans lesquels on pourrait voir une ressemblance avec les dessins d'Enki Bilal) c'est un environnement ultra contemporain qui rappelle l'univers informatique et ce contraste est évidemment l'un des atouts de cette bande-dessinée.
Du côté du scénario, ce dernier tome reste sur la même ligne d'équilibriste choisie par l'auteur entre récit onirique et récit historique. Les années beat puis la guerre du Viet-Nam, la NASA et la conquête spatiale d'un côté ; les anges et l'immortalité de l'autre. de là émerge - ou plutôt continue d'être - une certaine incohérence du récit qui, si elle est assumée, n'en est pas moins dérangeante pour ce qui est de la compréhension. On reste cependant à la recherche d'Eva et de Frank, au travers des témoignages de ceux qu'ils ont connus - une aviatrice, un médecin, un astronaute ... -, de ces deux étoiles par le nom et la destinée qui traversèrent ce siècle et ses errements et dont on ne récupère que des bribes, des histoires partielles et parcellaires qui, comme un puzzle incomplet, révèlent les informations au goutte à goutte et en laissent d'autres cachées.
Le XXème siècle, le siècle d'Eva, le siècle des idéologies et de la guerre, le siècle de la mort de masse avait ses tragédies. La bande-dessinée ici présente lui donne - ou plutôt lui redonne - sa poésie. Mais dans sa volonté d'inclure presque tout ce qui fit ce siècle - les événements historiques, la création littéraire et artistique, la spiritualité, la technologie ... -, ces quatre albums se perdent quelque peu et l'immense oeuvre qu'ils auraient pu constituer demeurent, certes, un ensemble visuel formidable mais laissent un arrière-goût amer : celui de l'inachevé.
A force de voir ici et là des critiques plus que positives sur un dénommé Chabouté, je me suis moi aussi laissé tenté et après une première déception : Purgatoire. Je me suis un peu réconciliée avec l'auteur ( comme quoi parfois la persévérance paye !).
L'histoire :
Zoé sort de prison après 10 années passées derrière les barreaux. Sa grand-mère, Camille, lui ayant laissé une maison en héritage dans un petit village, Zoé décide de partir s'y installer afin de se réconcilier avec elle-même. Seulement, dans ce village de la Goule les gens sont rustres et peu décidés à l'accueillir avec bienveillance, hormis Hugo, le fils du maire, un jeune homme un peu simple. L'atmosphère devient très vite pesante et il devient vite clair que les habitants cachent un terrible secret ...
Comment un petit groupe d'individus peut-il faire régner la terreur si longtemps ?
J'ai toujours du mal à me plonger dans ce graphisme en noir et blanc de l'auteur mais une fois franchi cet obstacle il est clair que le graphisme contribue merveilleusement bien à rendre l'atmosphère d'étrangeté et de lourdeur qui règne sur le village.
Les personnages sont criant de réalité, des visages peu amènes et des yeux aux regards hostiles. Quand à Zoé que j'ai d abord pris pour un garçon est attachante et peu commune. le suspense est très bien distillé montant en puissance jusqu'à la fin du récit qui offre une fin on ne peut moins surprenante. Un moment de réel plaisir donc mais pas un coup de coeur non plus !
Un extrait que j'ai aimé :
"Ici même les corbeaux survolent le village sur le dos pour ne pas voir ce qui s'y passe"
Janvier 2000. La jeune Lucienne veille Eva qui est dans le coma, elle essaie de récupérer sa mémoire contenue dans son ordinateur qui est planté. Elle contacte Raphaël, un ancien ami d'Eva, qui lui raconte ce qu'il sait de la vie d'Eva et de Frank. La vraie ( ? en tout cas encore une autre) version de leur histoire.
Cap sur les années hippie, sur la conquête spatiale, et sur la guerre du Viêt-Nam. le fil rouge apparent : Outre des étoiles et des ailes sous toutes les formes, la vie et la mémoire à tout prix.
Un album à dominante bleue. La prouesse graphique me fascine toujours autant, pleine de superpositions d'images en fondu enchainé, de jeux de cadrage, de techniques variées. le style Yslaire, avec ces visages qui expriment le spleen, est reconnaissable.
Cet album est parallèle au précédent, XXe ciel.com/mémoires00, plusieurs scènes sont reprises et déclinées. Ma critique également.
Cette série, comme toute bonne oeuvre de science-fiction, ou comme un film de Lynch, mérite plusieurs lectures pour comprendre, ou du moins se faire une opinion du mystère Frank Stern.
ça y est, lecteur, je sais tout. Et tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien... Franck est-il mort ? Les anges existent-ils vraiment ? A-t-on seulement marché sur la Lune ? Et Yslaire ne se fout-il pas un peu de nous ?
C'est habitée d'une vague mélancolie que je referme ce dernier tome : à remonter les heures sombres d'un siècle où l'atrocité occupe une place d'honneur, je ne peux que me féliciter de ce qu'un auteur y enfouisse quelques traces de sublime.
Mais entre le vrai et le faux, la fiction et L Histoire, Yslaire joue avec les frontières sans jamais toutefois nous livrer de vérité absolue. C'est seul au monde qu'il te relâche dans l'inconnu de ce nouveau siècle dominé par le numérique qui envahit peu à peu toutes les strates de notre mémoire... vaste programme pour les générations à venir, lecteur, avec un goût d'inachevé tout au fond de la gorge.
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Yslaire à toujours su raconter des histoires fortes atipyques, sa main restera toujours magique et ses planches sont des joyaux. Pourtant je n'ai pas su apprécier à sa juste valeur cette oeuvre. Je me suis perdu dans cette histoire d'un frère disparu durant la guerre. le récit est trop chargé pour moi, trop des pistes et d'hypothèses. Probablement saurez-vous mieux apprécier que moi !
Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.