Angèle a une petite moue de dépit. Elle en est encore à évoquer Guilhem. Il avait une voix de gorge et des mains fermes, on aimait follement l’homme et sa façon de dire, sa façon d’aller braconner dans la langue, il attrapait les mots
en félin, ramenait les plus vivaces, les plus fervents, les plus inédits. Pas de filets pas de flèches, un art secret de la capture. Il gardait les mots un temps bref à part lui puis les lançait s’accompagnant des deux mains, les donnaient à l’air, au vent, à l’étendue, à l’autre. Il les rendait. C’était un homme de prononciation, il avait dit quelque chose, on l’avait écouté, on attendait la prochaine prise qui serait prodige. Et quand il quittait un temps sa langue et qu’il s’emparait de l’autre, la Française, la bien fagotée de ces dames et de ces
messieurs, il la travaillait dans la glaise de la sienne, il l’interrompait
dans ses apprêts, il lui enlevait ses corsets d’une voix leste, il chamboulait ses flexions et ses articulations syntaxiques, il la laissait dans une nudité d’Ève dont on sentait bien qu’il l’avait sortie du rang pour la mettre à sa guise en mouvement et en devenir.
La neige soyeuse et secrète. Lalia la caressait à l’arrivée en lui passant la main sur son gros dos de mère poule. Puis elle la prenait à plein bras.
– Elle se baptise, je me disais.
– Demain, on fabriquera une cabane de neige, Mamète Gélou !
Le pays buissonne de neige, je songeai. Lalia a trouvé un joli mot : c’est tout neigé.
...la mort de soi n'est rien quand on a vu s'en aller ce qui fut le plus cher.
Il fallut tenir tête à la douleur de garder la petite grandissante au nid d'ombre, de la contenir et de la priver, ailes coupées à la palombe, geste contre-nature, à l'encontre de l'ordre des choses, un geste criminel.
Angèle, sa corpulence menue glissée dans l'angle de la fenêtre, ne bouge pas. On s'étonne de tout, on éprouve un émerveillement devant la place nouvelle qu'on occupe et on se débat comme un grand insecte pris, enrôlé par la force des chose, la petite Lalia malade et la famille éprouvé.
Nuech blanca est un roman de la blancheur. Une histoire d'hiver, une veillée dans la montagne, dans le "Haut pays". Livre de lumière : celle du dehors, la neige éblouissante dans laquelle jouent des enfants; celle du dedans, paroles et silences que partagent les grandes personnes, les cousins qui se retrouvent, les souvenirs tricotés comme des laines chaudes.
Nuech Blanca a l'éclat d'une toute petite fille, Lalia, de sa très vieille arrière grand mère, Angèle, et du lien entre elles deux. Lien de protection, de rêve réalisé, voyage entre le "Bas pays" méditerranéen et le "Haut pays" enneigé. Lien des transmissions de génération en génération, transmission d'une langue occitane, d'une histoire familiale et d'un terroir.
Je suis rentrée dans ce livre d'unité de temps et de lieu comme on entre dans une pièce chaude, près d'un feu de cheminée, en écoutant une histoire vacillant comme une flamme. Pages racontant l'âge sage, l'enfance fraîche, légèreté et gravité mélangées. Va et vient dans les temps : le passé des personnages, le présent de cette veillée au chaud, l'avenir que portent les enfants, à travers leurs jeux, leur vivacité, leur tendresse d'être.
Merci Adeline. Votre livre a l'éclat d'un givre qui tient chaud."