Ce texte appartient à la première période créatrice de Zaïtsev, celle qui précède la Révolution russe. le texte a été écrit en 1916-1917 et publié en 1918, avant la période trouble du triomphe des soviets et de l'expérience amère de l'exil. Nous sommes donc dans une Russie certes un peu délétère, mais dont la fin n'a pas encore été décrétée, une Russie de riches oisifs, d'aristocrates, d'officiers, d'intellectuels et de religieux.
Parmi eux, observant, ne semblant pas juger, mais agissant comme un agent révélateur, se meut Alexis Christophorov. Personnage de peu, sans emploi fixe, ni fortune, il éveille la curiosité, la sympathie, ou même plus. Autour de lui s'agitent dans un ballet aussi cruel que pathétique, de grandes dames, amoureuses de qui il ne faudrait pas, d'officiers aux abois passionnés de jeu, de riches messieurs convenables amoureux de danseuses qui leur préfèrent des gens plus simples, des demoiselles prêtes à engager pour de mauvaises raisons leur foi à des jeunes gens qu'elles n'aiment pas vraiment. Et notre Chrisophorov, épris de Vega, l'étoile bleue, candide et toujours de bonne foi, a une certaine tendance à mettre à nue tous les mensonges, les petits arrangements, les renoncements, compromissions et incohérences. Tout cela dans les décors de la Russie d'avant la révolution, entre grande ville et paysages campagnards, monastères et palais.
Plein de nostalgie avant l'heure, le tableau d'un monde qui se précipite de guerre lasse vers sa fin annoncée, tout simplement fatigué de vivre, dégoûté de soi-même, vide de désir authentique. En petites touches impressionnistes, Boris Zaïtsev nous en dresse le tableau, aussi touchant que désespéré, aussi triste que beau. Dans peu de temps les figures de son cabaret d'ombres seront balayées par l'histoire, et cette époque prendra les teintes d'un âge d'or, mais les personnages exsangues de l'Etoile bleue sont des créatures déjà à moitié évanouies d'un monde en train de mourir de mort naturelle.
Quelque part dans la rue, des patins de traîneaux grinçaient. La neige crissait sous le pas des passants. Des voix leur parvenait. Mais tout semblait l'écho d'un autre monde. Et il est vrai qu'il avait dans le jeu adamantin de la neige, dans son scintillement calme et ininterrompu, dans l'or mystérieux de la lune, dans le vêtement neigeux des arbres, comme une hallucination.
A cet instant, Christophorov ressentit physiquement le passage d'une nuée suspendue au-dessus de tout cet attroupement - une nuée de désirs et d'avidité. Le nom de Kohlov parcourait la foule, haïssable pour la plupart et pour les autres sonnant comme une douce musique. En dépit de tout, Kohlov gagnait. Cela devient évident dans la dernière ligne droite.
La salle de spectacle du Bolchoï, avec son or, sa soie et son damas rouges, dégage quelque chose de pompeux. Les tapisseries des loges pendent en de lourds plis de pourpre aux fleurs brodées. Et, dans ces plis, se niche une poussière séculaire.
Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?