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EAN : 9782841371976
134 pages
Editions Jérôme Millon (01/11/2006)
4.33/5   3 notes
Résumé :

Maria Zambrano, disparue en 1991, fut une philosophe espagnole de premier plan. C'est habituellement ainsi qu'on la présente. Mais elle fut peut-être avant tout un authentique écrivain. Célèbre dans son pays (on vient de lui consacrer un film), elle l'est aussi en Amérique centrale, en Italie, en Suisse, partout où elle a vécu et où sa présence a marqué. Camus avait entamé les démarches pour la publier en France, lorsqu'il fut victime de l'accident de la... >Voir plus
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Discours de réception du prix Cervantès. (extraits)
     
Pour sortir du labyrinthe de la perplexité et de l’étonnement, pour me faire visible et même reconnaissable, permettez qu’une fois de plus, je recoure à la parole lumineuse de l’offrande : « merci ».
     
… « Ce devait être l’aube », dit Cervantès au moment où Don Quichotte sort de la campagne. « Ce devait », dit-il, avec cette incertitude propre à l’aube, l’aube qui, lorsqu’on la regarde et la suit, est un « se faire jour ». Non pas un état de la lumière, une heure fixe du jour, comme le sont les autres heures de la journée ou même celles du crépuscule quand il est long. Les heures, quand elles viennent de l’aube, ne cessent de gagner du temps. L’aube, on dirait qu’elle n’a pas de temps ; que c’est de l’ordre de son « se faire jour » de ne pas en porter, de ne pas le gaspiller ni le consumer ; que c’est son apparition, qu’en ce qui concerne le temps elle ne peut mieux se donner qu’ainsi, en une espèce de labilité comme l’eau sur le point de se répandre. Comme si l’océan du temps et de la lumière-temps – se montrait de part en part sur le point de déborder et de se retirer. Voilà pourquoi, aussi claire soit-elle, l’aube est toujours indécise.
     
L’aube donne la certitude du temps et de la lumière, et l’incertitude quant à ce que la lumière et le temps vont apporter. C’est la représentation la plus adéquate que l’homme puisse avoir de sa propre vie, de son être dans la vie, puisque l’être de l’homme aussi toujours se fait jour. Devant l’aube, l’homme se rencontre lui-même et face à soi, il découvre cette façon qu’il a de se déborder lui-même et de s’occulter, dans cette indécise liberté à demi rêvée. Et devant l’aube, la sienne, celle du jour, il s’éveille, s’en allant à sa rencontre. C’est sa primaire, sa première et transcendantale action.
     
Don Quichotte se met en chemin à l’heure de l’aube. Il ne pourrait en aller autrement pour ce personnage qui souffre de manière exemplaire le rêve de la liberté, ce rêve qui, en une certaine heure si incertaine, se déchaîne dans l’homme.
Tout le Quichotte est une révélation humaine, mais pas trop humaine, en ceci que le roman et le protagoniste coïncident avec le lieu et le moment de l’aube, de l’aube permanente que n’a pas encore dépassé le roman de la liberté humaine. L’aube au-devant de laquelle l’homme parfois se fatigue d’aller. …
     
Et tout ce qui en lui était endormi s’éveilla, commença à vivre selon sa loi. Il ne lui était plus nécessaire de s’oublier ni de renier ses œuvres déjà écrites, elles étaient ses filles qui s’ébattaient un peu plus loin et à présent elles le réjouissaient ; tout désormais lui servait, jusqu’à Aldonza la réelle, et toutes ces femmes, ses sœurs, qui lui a avaient servi de bonnes et d’autre chose. Et une étrange compassion se répandit sur elles et sur lui-même. ...
     
Son coeur jeûna sans effort. Il écrivit à l’aube, avec cette lumière qui précède celle du soleil, avec son silence. Il ne revint jamais sur ce qu’il avait écrit. Il n’eut rien à corriger. Sauf une phrase dans laquelle il mentionnait un village dans la Mancha – résumé de l’Espagne ou du monde entier – dont il ne voulait pas se rappeler le nom. Un point obscur, un oubli rancunier qui dénonçait le fait, sous son propre poids, qu’il était encore en train d’habiter la terre.
     
Forte de cet oubli, je n’ai pas voulu pour ma part oublier cette ville belle et lointaine : Morelia. Pour ne pas renier ce qui a été l’effort de toute une vie. Pour me souvenir avec cette parole en blanc chez Cervantès, des présents et des absents, de ce qui connurent l’échec et persévérèrent dans l’erreur.
     
Et souhaitons qu’en cette même heure, qui pourrait bien être celle de l’aube, quelqu’un continue de parler – ici ou là, n’importe où – de la naissance de l’idée de liberté.
Pendant ce temps, et une fois prononcée la parole de l’offrande – merci – je vais essayer de continuer à chercher la parole perdue, la parole unique, secret de l’amour divino-humain. La parole peut-être signalée par ces autres mots privilégiés, à peine audibles, presque un murmure de colombe :
     
Vous direz que je me suis perdue,
qu’amoureuse, je suis allée
me perdre et que j’ai été gagnée.
     
(1988)
     
Traduction de Jean-Marc Sourdillon, avec la collaboration de Jean-Maurice Teurlay | pp. 93-95, 100-103.
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Parce qu'il y a une espérance qui n'attend rien, qui s'alimente de sa propre incertitude : l'espérance créatrice; celle qui extrait du vide, de l'adversité, de l'opposition sa propre force sans pour autant s'opposer à rien, sans s'enrôler dans aucune sorte de guerre.
Elle est l'espérance qui crée, suspendue au-dessus de la réalité sans l'ignorer, celle qui fait surgir la réalité non encore réalisée, la parole non dite: l'espérance révélatrice; elle naît de la conjonction de tout les pas signalés, accordés et concertés à l'extrême; elle naît du sacrifice qui n'espère rien d'immédiat mais qui jouit de son accomplissement certain et révolu.
Elle est l'espérance qui croit dans le désert qui se dispense de nous attendre pour n'espérer rien dans un temps fixé, l'espérance libérée de l'infinitude sans terme qui embrasse et traverse toute la longueur des âges.
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Devient perplexe non celui qui ne pense pas mais celui qui ne voit pas. La pensée ne guérit pas ; elle peut au contraire, par sa propre richesse, produire elle-même de la perplexité. La vision, la vision de la vie elle-même, dans l'unité avec le reste, c'est là que guérit la perplexité.
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Héraclite dit: « le sage ne dit ni ne cache, il indique ». Celui qui parle par expérience, bien qu'il indique, bien qu'il taise le plus important, communique, et, quand il se tait, il le fait comme Socrate pour que l'autre sente naître en lui ce dont il a besoin et pour que cela lui soit davantage sien ; pour qu'il le sache d'expérience aussi.
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Vidéo de Maria Zambrano
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Jacques Munier, diffusée le 17 septembre 1982 sur France Culture. Invités : Marie Laffranque, Nelly Lhermillier, Michèle Le Doeuff, Edison Simons, Rafaël Tomero et Claude Mettra.
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