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sur 733 notes
Nous Autres. Si vous n'êtes pas un(e) expert(e) de SF, et en particulier des dystopies, ce titre ne vous dit peut-être rien. En revanche, 1984 de George Orwell ou le Meilleur Des Mondes d'Aldous Huxley, vous connaissez fort bien, au moins de nom.

Eh bien sachez que Nous Autres de Ievgueni Zamiatine est le tout, tout premier modèle du genre. L'auteur, grand amateur de Wells, eut l'idée de combiner l'univers SF futuriste avec ce qu'il vivait à l'époque dans son pays, en 1920, à savoir la mise en place de la toute nouvelle U.R.S.S.

Ce n'est pourtant pas encore la grande maestria liberticide de Staline qu'expérimente Zamiatine, mais c'est déjà suffisamment totalitaire pour lui permettre d'entrevoir tous, absolument tous les excès et les dérives que subira le système. Ç'en est d'ailleurs particulièrement émouvant, car pour lui, contrairement à Aldous Huxley douze années plus tard ou George Orwell vingt-neuf ans après, ce n'est pas juste un exercice d'écrivain visionnaire, c'est presque une dénonciation en temps réel de la situation qu'il est en train d'expérimenter dans son pays.

Nous Autres est bien sûr un écrit de science-fiction, mais c'est aussi et surtout un ouvrage politique et philosophique. Cela dit, il serait injuste envers Zamiatine et envers la qualité de l'oeuvre dont il est question de ne pas la considérer d'abord et avant tout comme une magnifique oeuvre littéraire, car le style y est très présent, quoique pouvant apparaître comme discret, ce me semble un fleuron du genre.

Je m'en explique tout de suite. Nous sommes transportés environ mille ans après le début du XXème siècle (moment où écrit l'auteur). le narrateur s'appelle D-503. C'est un mathématicien et un ingénieur important de l'État Unique, responsable de la mise au point et de la construction de « L'Intégral », grand vaisseau spatial destiné à la dissémination de la " bonne " parole de l'État Unique de part et d'autre de l'univers.

Il s'agit donc d'un " apparatchik " du système, qui parle, au départ, bien comme il faut, c'est-à-dire comme le prescrit le système, qui pense, qui vit, qui fait parfaitement et consciencieusement tout ce qu'enjoint de penser, de vivre ou de faire le système. Malheureusement pour lui, il fait une rencontre inopinée, très dérangeante car non stipulée dans ses abaques et fort délicate à mettre en équation. Il s'agit d'une femme, I-330, pour être précise.

Non contente de ne pas toujours respecter les prescriptions du système, elle l'oblige parfois, contre son gré, à commettre quelques entorses aux divers règlements. D'abord scandalisé, D-503 va peu à peu éprouver quelque penchant pour cette femme vénéneuse. Quoi ? Un penchant ? Une émotion, donc ? Serait-il malade notre brave D-503 ?

Semant en lui les graines maléfiques de l'aspiration à la liberté, à mesure que D-503 s'éloigne de la façon de penser orthodoxe, le style narratif de ses notes prend des tournures métaphoriques. Et c'est là qu'est le grand talent stylistique de Zamiatine, car cela est parfaitement maîtrisé et cela apparaît par touches successives pour confiner, dans les dernières notes, à de la véritable poésie.

Faut-il vous en dire bien davantage ? Je ne sais pas. Pour moi, ce livre de l'éveil de la personnalité à la libre pensée et aux états d'âme est un véritable chef-d'oeuvre, d'intelligence, de pertinence, d'audace, de réflexion et de style. Que demander de plus en seulement deux cents pages et des chapitres ultra-courts qui en permettent une lecture aisée et très rapide ? Chapeau bas Monsieur Zamiatine, ils sont rares les auteurs de votre calibre et ils nous manquent, surtout en ce moment. Nous autres, nous n'avons que Houellebecq, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Voilà un chef d'oeuvre…un livre magnifiquement écrit, aux images saisissantes, une oeuvre engagée, militante, qui a valu à son auteur exil et censure. de la science-fiction écrite par un russe, Evguéni Zamiatine, en 1920, précurseur et influenceur d'un Orwell et de son 1984. Rien que ça ! Une des premières dystopies jamais écrite ayant pour colonne vertébrale l'amour et pour objet la dénonciation du communisme…Un roman violemment hérétique ! Epoustouflée par son audace et sa plume je suis. Quelle claque ! Ce livre raconte l'histoire d'une tentative, celle de faire exploser un Etat totalitaire.

Le monde imaginé par Zamiatine est terrifiant car totalement déshumanisé…imaginez un monde baigné dans des dominantes froides de bleu-vert, heureusement quelque peu réchauffé par les langues rose pâle du soleil levant. Un monde sous cloche, en vase clos derrière une muraille verte qui isole les individus du monde sauvage et naturel, des animaux et de toute végétation, et dans lequel les habitations ont des murs transparents, palais de cristal, de façon à pouvoir toujours observer les faits et gestes de chacun. Seules quelques heures privatives dans la journée autorisent à baisser les stores pour une activité sexuelle avec un individu de sexe opposé, les deux assortis d'un billet rose dont le nombre est prévu et dont le temps est compté. Décompte sexuel. Ces heures privatives sont aussi l'occasion d'aller marcher dans les rues au son d'un hymne, marche martiale au pas. Dans ce monde le chef de l'État, dénommé le Bienfaiteur, veille sur tout et s'occupe de tout. Quiétude et bonheur en échange d'une soumission totale et d'une absence complète de liberté. Les individus n'ont pas de prénoms et de noms mais seulement des numéros. Seul importe l'intérêt collectif, un « Nous » réconfortant remplaçant les « Je » qui vouaient les hommes et les femmes aux tourments, aux questionnements, aux errances. le moindre écart vaut aux Numéros d'être littéralement désintégrés. En quelques secondes, une simple flaque.

« Gaillarde, cristalline, juste à mon chevet, la sonnerie : 7 heures, lever. À droite et à gauche, à travers les parois de verre – j'ai l'impression de me voir moi, répété mille fois, ma chambre, mes vêtements, mes mouvements. Cela donne du courage : se voir comme la partie d'un tout énorme, puissant, unitaire. Quelle beauté précise : pas un geste superflu, pas une flexion, pas une torsion de trop ».

Nous lisons les notes de D-503, mathématicien et concepteur de l'Intégrale, un gigantesque vaisseau qui a pour objet de conquérir d'autres planètes pour les soumettre à la volonté du Bienfaiteur, pour les soumettre au bonheur. C'est un homme heureux et travailleur, avide d'équilibre et de clarté, qui fait les louanges de cette société si bien réglée. Il fréquente la ronde 0-90 durant ses heures privatives. O, comme sa lettre, est tout en rondeurs et en douceurs, ses yeux, des billes bleues et ses lèvres, des anneaux roses. La vision des femmes est réduite à leurs atouts, à ces moments agréables passés une fois les stores baissés.

« Je regarde ses lèvres sans rien dire. Les femmes, toutes, sont des lèvres, seulement des lèvres. L'une les a roses, élastiques et rondes – un anneau, tendre barrière contre le monde. Et puis celles-ci : une seconde auparavant elles n'étaient pas là, et tout à coup – un couteau – et des gouttes de sang suave ».

Mais voilà, tout va se dérégler pour D-503 à cause de, ou grâce à - seule l'histoire nous le dira - I-330. Voyez comme cette lettre est élancée, longue, fine, subtile, vouée à bondir et se tourner intrépide vers le ciel ! Voyez comme elle est belle, et ose sortir du rang par ses attitudes, sa façon de vivre, par les couleurs qu'elle ose propager dans son intérieur, sur ses habits, des couleurs chaudes jaune, orange, rouge…au point d'instiller dans l'esprit de D-503 jalousie et désir, au point de le rendre malade et de l'assaillir de chaos. le pauvre, il est en train de développer une âme, comme en attestent ses rêves (seuls les anciens, les sauvages, rêvaient), ses désirs, sa déconcentration, une maladie incurable à cause de laquelle il va découvrir le beauté.

J'ai adoré voir l'évolution de D-503, d'abord sage Numéro faisant l'apologie de l'idéologie en place puis amoureux transi ayant de plus en plus d'audace au risque de passer dans la Salle des opérations et se voir désintégrer. Les tiraillements en lui sont constants, Zamiatine rend compte de ce combat intérieur avec subtilité. Intéressant aussi de voir l'évolution de sa vision de la femme au cours de ses notes, cette femme d'abord vue comme un objet va se transformer en un personnage militant, combatif, puissant. Nous sommes témoins, via ses notes, du passage d'une apologie à une destruction. En cela ce livre est passionnant.

D'innombrable réflexions s'enracinent dans ce texte, celle de l'opposition entre bonheur et liberté, celle de la définition même du bonheur, celle de l'individualité et de sa conscience, celle du totalitarisme et de l'asservissement, de l'organisation de cette société réglée.

Et que dire de la poésie de ce texte, des images saisissantes qu'Evguéni Zamiatine insuffle, usant de métaphores, s'aidant des sens notamment des couleurs, du toucher, des sensations qu'il utilise en aplats, tel un peintre, talent qui m'avait déjà interpellée dans son court texte « L'inondation » lu récemment.

« le printemps. Un vent venu d'invisibles plaines sauvages, au-delà de la Muraille verte, apporte la poussière jaune et miellée d'on ne sait quelles fleurs. Suave poussière qui dessèche les lèvres – on ne cesse d'y passer la langue – et sans doute toutes les femmes que l'on croise (les hommes aussi naturellement) ont les lèvres sucrées. Cela gêne un peu la pensée logique. Mais ce ciel ! bleu profond, sans un seul nuage pour le souiller (quels goûts sauvages avaient les anciens, si leurs poètes pouvaient trouver l'inspiration dans ces amas de vapeur ineptes, indisciplinés, qui se cognent sottement). Ce ciel bleu, je l'aime lui et lui seul – et je suis sûr de ne pas me tromper en disant : “nous” l'aimons – ce ciel stérile, irréprochable ! Ces jours-là, le monde entier est coulé dans le même cristal éternel, irréfragable, dont sont faits la Muraille verte et tous nos édifices ».

Le sentiment amoureux est restitué avec beaucoup de sensualité, de tragique, de passion au travers des notes de D-503. C'est un sentiment qui le fait exploser. Celui qui va le faire sortir de sa quiétude, de sa programmation, de sa logique toute mathématique. Ces passages sont merveilleux et poignants :

« le moment avait mûri. Et ce fut inévitable, comme le fer et l'aimant – suave soumission à une loi inflexible et précise : avidement, j'entrai en elle. Il n'y avait pas de billet rose, pas de décompte, pas d'Etat unitaire – et moi non plus je n'existais pas. Il n'y avait que ces dents serrées, tendres et aigües, ces yeux d'or largement ouverts – et je m'y enfonçais, je pénétrais toujours plus profondément (…) Les lances de ses cils s'écartent, me laissent entrer – et… Comment raconter ce que fait de moi ce rituel ancien, absurde, merveilleux : ses lèvres touchant les miennes ? Quelle formule trouver pour dire ce tourbillon qui balaie tout de mon âme, sauf elle ? Oui, oui, mon âme – vous pouvez rire si vous voulez ».

L'écriture est à l'image des sentiments de D-503, fluide et claire lorsqu'il fait l'apologie de sa société, elle devient peu à peu, entrecoupée, heurtée, déchirée, haletante, confuse.

Comme il est expliqué en préambule dans cette nouvelle traduction publiée aux éditions Acte Sud, en 1930, dans l'Encyclopédie littéraire soviétique, le roman de Zamiatine est désigné comme “un infect pamphlet contre le socialisme”. La suite est attendue : en juin 1931, Zamiatine, sur les conseils de Mikhaïl Boulgakov, écrira à Staline pour lui demander l'autorisation d'aller vivre, ne serait-ce que provisoirement, à l'étranger ; il partira, grâce à l'intervention de Gorki, pour mourir à Paris six ans plus tard, sans avoir renié son pays. Il ne sera traduit en russe qu'en 1988.

« Nous, anti-utopie prophétique qui anticipe toutes les glaciations du XXe siècle, se lit comme un long poème sur le retour nécessaire des révolutions » nous explique Hélène Rey en préambule et c'est très juste. Ce texte n'a pas pris une ride, il est étonnement moderne et terriblement d'actualité. Il est magnifique !
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Nous Autres ( L'imaginaire Gallimard - Traduction : Benjamin Cauvet-Duhamel )

L'Autre grand dystopie du vingtième siècle, vous l'aurez déjà compris si le sujet vous intéresse ; je ne m'étendrai donc pas là-dessus, sur son dialogue avec « 1984 » d'Orwell, sauf à encore parler de traductions, le sujet s'imposant de lui-même, et les réponses à apporter diffèrent.

Avant cela, mentionnons simplement que c'est un immense chef-d'oeuvre, à la transparence de brise-glace, absolument indémodable ( à part la courte scène dans l'espace intersidéral, terra incognita au moment de sa rédaction… ).

Contrairement à « 1984 », ce texte a bien été traité et considéré par la bande à Gallimard ; preuve en est : une édition dans la mythique et bien fournie collection « L'Imaginaire », contre un simple poche Folio pour son illustre neveu anglais… en plus de tout les éléments mentionnés dans mon billet sur le livre d'Orwell… vous les retrouverez chez quelques critiques bien intentionnées, comme par exemple :
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/02/24/1984-orwell-traducteurs/
… achevant j'espère de vous convaincre qu'il faut (re)lire « 1984 » dans sa traduction de Célia Izoard

Pour « Nous Autres », je serais nettement plus circonspect ; ayant comparé les trois premiers chapitres avec cette nouvelle version, le résultat est assez troublant : chaque phrase est complètement différente d'une mouture à l'autre, sans que l'impression générale penche d'un côté ou de l'autre ; comme si la nouvelle traduction tentait scrupuleusement de se différencier, sans réellement y parvenir, tels deux jumeaux endurant leur crise d'adolescence ; on ne saurait facilement dire laquelle on préfère, enjoignant le futur lecteur à lire celle qu'il trouvera le plus facilement… tout en insistant sur le droit d'ainesse… cabotinage ringard supposant le faible intérêt, autre que commercial, à cette nouvelle version chez Actes Sud

Et pourtant, l'affaire était bien ficelée… faut dire, on a affaire à des experts…
Pour le cas Markowicz, mon opinion n'est pas complètement formée : Actes Sud lui a commandé de nouvelles traductions d'une large partie des classiques russes du 19ème, apparemment pas toujours justifiées selon certains slavologues, leur trouvant un côté parfois « forcé ».
De ce que je peux en juger, son nouveau « Le Maitre et Marguerite » (aux éditons Inculte) est superbe, alors que sa version d'Eugène Oniéguine — comparée à celle de Roger Legras pour L'Âge d'Homme ou de Nata Minor au Seuil — semble superflue.
Pour Dostoïevski, il semble que cela soit plus compliqué de trancher, même si ses oeuvres dîtes « mineures » ont largement bénéficié de ce nouveau coup de lumière.

Pour « Nous Autres », le titre devient « Nous », fidèle à l'original, soit !
Mais ce serait oublier qu'une traduction ne se juge pas à sa littéralité…
Cette expression, oxymorique bien qu'usuelle, se propose en deux mots de réfléchir sur l'altérité face au soi, l'individu transformé à l'intérieur du groupe… nous autres… plus j'y pense et plus ça me plait… cela colle en tout cas merveilleusement bien avec ce livre…

Contrairement à ce que le service de presse a dû relayer, mélange de communication(*) et d'imprécision sciemment organisées, la première traduction n'est pas issue de la version anglaise, mais bien directement du russe ; la préface de la nouvelle traductrice Hélène Henry se charge heureusement de préciser que la toute première adaptation en langue étrangère du texte (1924) n'aurait servi qu'à valider sa traduction française de 1929.
L'article de Télérama intitulé « Trois raisons de (re)lire… “Nous”, de Zamiatine » prétend pourtant le contraire :
« pour la première fois, le texte, dont l'aventure éditoriale fut pour le moins troublée, est traduit à partir de sa version originale russe, et non à partir de sa traduction anglaise. On oublie trop que beaucoup d'écrivains étrangers nous sont encore connus à travers un double filtre, (…etc… blablabla…. achète) »
On prendra donc un malin plaisir à tirer sur l'ambulance, vu que les deux autres raisons avancées ne justifient en rien l'achat de cette nouveauté…

Pour en être complètement sûr, il me faudrait lire en entier ce « Nous », qu'une copie d'un service de com' (*) me passe entre les mains…
Et puis, les couvertures de livres de science-fiction, quand elles se contentent d'être abstraites, sont nettement plus jolies et évocatrices : ici le « Nous Autres » devenant Muraille Verte simplement par un jeu de lettrage, plutôt qu'une illustration qui toujours vieillira mal… : il n'y a qu'à se souvenir des fameuses dorées et argentées de la collection « Ailleurs & Demain » chez Robert Laffont, qui dans les années nonante se sont muées en ignobles posters, dignes de chambres d'ado mal-aérées.


(*) communication : savante construction de malhonnêteté tarifée ou « La Parole du Bienfaiteur »
...
P.S : En y repensant ce matin, je me disais que cette nouvelle version permettait au moins de mettre en lumière un texte injustement méconnu, démontrant bien le problème de notre système, obligé d'avoir quelque chose à vendre pour que la machine COMM se mette en route...
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« Oui, c'est certain, ce Taylor était le plus génial des anciens. Il n'est pas allé, c'est vrai, jusqu'à imaginer étendre sa méthode à toute notre vie, à tous nos pas, à nos journées entières – il n'a pas su intégrer son système vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais tout de même : comment a-t-on pu écrire des bibliothèques entières sur un Kant ou je ne sais qui – et ne remarquer qu'à peine Taylor – ce prophète qui a su prévoir l'avenir avec dix siècles d'avance. »

Ce que l'ingénieur américain F. W Taylor a imaginé pour le monde du travail, la spécialisation et l'industrialisation des tâches, l'écrivain russe Evgueni Zamiatine, l'a étendu à la vie entière. Dans Nous, le roman qu'il écrit en 1920, trois ans après la révolution bolchevique, l'existence est entièrement planifiée et séquencée, régulée par les « Tables du Temps ». Sommeil, travail, repas, promenades, conférences, tout est obligatoirement effectué par chacun à la même heure et selon la même durée. le Un, le singulier, l'individualité sont bannis, les êtres humains ne sont plus nommés, mais numérotés, car ce qui importe n'est pas la destinée de tel ou tel. Ce qui importe est la contribution de chacun à la puissante machine étatique.
Il existe cependant deux petites exceptions à cette impressionnante organisation, une entorse au temps commun. Deux fois dans la journée, de 16 à 17 heures et de 21 à 22 heures, les Numéros bénéficient d'Heures privatives, autrement dit sont libres de s'adonner à des activités plus personnelles comme lire, écrire ou faire l'amour. Encore que les relations sexuelles fassent elles aussi l'objet d'une planification et d'une contractualisation peu propices (c'est d'ailleurs le but) à l'émergence d'un quelconque sentiment amoureux.

C'est durant ses deux précieuses heures de liberté que D- 503, mathématicien et concepteur de l'Intégrale, le vaisseau chargé d'apporter la bonne parole aux habitants des autres planètes, écrit son journal, ou plutôt rédige ce qui devait être à l'origine un poème, un plaidoyer en faveur de « l'État Unitaire » et qui devient, au fil des pages, une douloureuse confession qui nous dévoile l'envers du décors de la tentaculaire cité de verre. Dans cette grande Machine conçue pour fournir à ses habitants un « bonheur mathématiquement exact », où tout, dans ses moindres détails, est anticipé, planifié, il arrive parfois, en dépit de siècles et de siècles de formatage, qu'un individu redresse la tête, et enraye l'impeccable mécanisme.
Jusqu'ici l'un des rouages satisfaits et consentants de l'État Unitaire, D- 503 découvre peu à peu qu'il est doté d'une âme et d'une volonté propre, et, plus troublant encore, que cette âme est capable de sentiments qu'il croyait réservés aux « vieux livres idiots » et aux temps anciens. L'Amour, qui prend ici les traits d'une femme aux « dents blanches et aigües », est à la fois l'imprévu et le révélateur, il est ce qui va entraîner D- 503 sur la voie dangereuse mais ô combien exaltante de la révolution.

Il est difficile pour le lecteur d'aujourd'hui de mesurer l'incroyable portée, l'originalité d'une oeuvre écrite il y a plus d'un siècle et longtemps restée largement méconnue. Né dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, Zamiatine a grandi sous le régime tsariste, dominé par une bureaucratie tatillonne et arbitraire. Il a participé à la révolution russe de 1905, puis à celle de 1917, et s'est donc retrouvé aux premières loges pour observer l'utopie communiste en marche. C'est dans ce terreau complexe, ainsi que dans le Taylorisme, qu'il a puisé son inspiration.
D'autres avaient imaginé avant lui des mondes purs et parfaits, que l'on pense à la Cité Idéale de Platon ou à l'Utopie de Thomas More. Mais cela restait terriblement descriptif et abstrait. Zamiatine, le premier, immerge l'être humain dans ces souricières et observe ce qui se passe. Ce faisant, il ouvre la voie à un genre littéraire qui connaîtra un immense succès tout au long du vingtième siècle jusqu'à aujourd'hui : la dystopie.

Tout cela est bel et bon mais n'a malheureusement pas suffi à me faire réellement apprécier ce livre. le rythme chaotique, confus, laissant de nombreuses phrases en suspens, et surtout la plume, usant et abusant des métaphores, ont eu raison de mon enthousiasme. J'ai eu de plus en plus de difficultés au fil de ma lecture à m'intéresser aux personnages, qui, à l'exception du narrateur, sont perçus de très loin, esquissés à grands traits naïfs et fragmentés, réduits à deux-trois éléments anatomiques. J'avoue qu'à la longue, j'étais lasse de voir mentionnés pour la énième fois les « dents blanches et aigües » de I- 330, son « sourire en X », ou la « fossette enfantine au poignet » de O- 90. 

Il reste qu'à l'heure du contrôle social en Chine et d'une promesse d'avenir gravement hypothéquée par le risque d'émergence d'une intelligence artificielle autonome, à l'heure où un nombre croissant d'êtres humains réclame toujours plus d'ordre et de sécurité au détriment des libertés, Nous apparaît comme un livre aux accents indéniablement prophétiques.
Le génie de Zamiatine réside probablement dans le fait d'avoir compris avant tout le monde que l'avènement de la Cité Idéale ne pourra se faire que contre l'homme, voire sans lui.
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Nous sommes en 1920 quand Evgueni Zamiatine imagine le monde de demain. Anticipant les dérives autoritaires du régime soviétique, Zamiatine écrit l'une des premières mais surtout l'une des plus belles dystopies, une dystopie d'amour.

Dans ce monde imaginé par Zamiatine, tout est sous contrôle et la police fait régner l'ordre. Les citoyens ont abandonné leur individualité, ce "Je" qui les vouait aux tourments et à la solitude au profit d'un "Nous" réconfortant. Plus de prénoms pour désigner les hommes et les femmes mais simplement des lettres et des numéros. Seul importe l'intérêt collectif et des murs transparents assurent à chacun le pouvoir de surveiller et éventuellement de dénoncer son voisin. le chef de l'état, celui qui se fait appeler "le Bienfaiteur" s'occupe de tout, tel un père sévère mais protecteur. Sachant ce qui est bien pour ses citoyens, il leur promet la quiétude en échange d'une totale soumission. Et en effet, D-503, le héros de cette histoire, est un homme heureux qui ne remet jamais en cause sa vie si bien réglée. Il est mathématicien et concepteur de l'Intégrale, un gigantesque vaisseau spatial qui doit partir à la conquête des autres mondes pour les soumettre à la volonté du Bienfaiteur. Convaincu du bien fondé de sa tâche, il y travaille avec zèle. Dans la vie de D-503, il y a le travail et O-90, une douce jeune femme toute en rondeurs avec laquelle il passe de temps à autre un agréable moment, toujours sous le contrôle du bureau des autorités qui leur délivre pour cela un billet rose.

Mais tout se dérègle le jour où I-330 entre dans sa vie. le désir et la jalousie sèment alors le chaos dans l'esprit de ce pauvre mathématicien si raisonnable. Car I-330 est belle tout autant qu'indocile. Elle fume, boit et fréquente des rebelles nostalgiques du "monde d'avant". A ses côtés, dans ses bras, D-503 va se sentir devenir un autre homme, un homme fait de chair, pleinement vivant. Cette femme, il va l'aimer de toute son âme, contractant par cet amour la plus dangereuse des maladies. Car dans le monde transparent et aseptisé du Bienfaiteur, il n'est pas permis d'avoir une âme, comme il n'est pas permis de rêver. L'imagination appelle la désobéissance et la désobéissance est punie de mort. Pour sauver les citoyens et maintenir l'unité du peuple, les médecins de l'Etat les opèrent afin de leur retirer cette résurgence de l'ancien monde, la faculté de penser par soi-même.
Cette nouvelle conscience de D-503 donnera l'occasion à Zamiatine d'écrire des pages superbes, d'une incroyable poésie. Plus l'histoire progresse, plus cet amour grandit dans le coeur de D-503, brisant toutes ses certitudes. Mais pour un homme habitué à vivre sans passion, confit dans un petit bonheur tranquille, ouvrir son coeur à l'amour n'est pas sans risque. Se sachant atteint de ce mal d'amour incurable, D-503 écrit des notes et ce sont ces notes que nous lisons, des notes tragiques et bouleversantes, les notes d'un homme amoureux.

" le moment avait mûri. Et ce fut inévitable, comme le fer et l'aimant - suave soumission à une loi inflexible et précise: avidement, j'entrai en elle. Il n'y avait pas de billet rose, pas de décompte, pas d'Etat unitaire - et moi non plus je n'existais pas. Il n'y avait que ces dents serrées, tendres et aigües, ces yeux d'or largement ouverts - et je m'y enfonçais, je pénétrais toujours plus profondément. Et ce silence - il n'y avait, là dans le coin - à des milliers de milles -, que ces gouttes qui tombaient dans le lavabo et j'étais, moi - L Univers, et entre chaque goutte - des époques, des ères..."

Tout le génie de Zamiatine est là, dans ces passages d'une rare beauté, qui alternent avec les descriptions glacées d'un monde déshumanisé. Il y a de la passion et du feu dans ces notes de D-503. Ce sont celles d'un homme qui a longtemps marché courbé et qui se redresse enfin, porté par une force qui le dépasse.
"Les ouragans, les orages qui déchirent le ciel, qui réduisent en miette la quiétude trotte-menu - quoi de plus beau en ce monde?" écrivait l'auteur dans sa préface en 1922.

"Nous" fut interdit de publication en URSS en 1924, donnant plus de force encore à ce roman qui semble avoir été écrit hier ou plutôt aujourd'hui. La numérisation et le contrôle toujours plus grand de notre société invite à lire et à relire ce chef-d'oeuvre de Zamiatine. Intemporel et indispensable, il nous met en garde contre les dérives d'un Etat qui promettrait la sécurité en échange de nos libertés. Et si Zamiatine écrivait dans sa préface que ces temps, sans doute inéluctables, étaient encore infiniment lointains, je crois que nous les voyons, au contraire, se rapprocher dangereusement. Aujourd'hui et avant qu'elles ne soient définitivement brisées, il est grand temps de déployer nos ailes...

"J'ai écrit pour ceux qui ne savent pas seulement marcher, défiler au pas cadencé- mais qui ont des ailes pour voler.", Evgueni Zamiatine, extrait de la préface de "Nous".
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L'autre jour, au cours de déclamation, une élève a présenté un extrait d'un roman de Musso. Impossible de citer le titre du roman de cet auteur prolifique, mais peu importe en fait. Ce fut une véritable épreuve pour moi (et pour le prof, je crois) que d'écouter ces platitudes et ces clichés usés jusqu'à la corde. Bon je ne blâme pas la pauvre jeune fille … d'autant plus que pour justifier son choix, elle a déclaré que ledit roman avait été imposé par son professeur de français, ce qui m'a achevé …

Comment un prof de français peut-il imposer ce genre de lecture alors que la vie est si courte et suffira pas à découvrir tous les chefs d'oeuvre de la littérature française et étrangère ? Et surtout quel projet pédagogique s'appuie sur une telle lecture ? Celui de faire de nos jeunes des gentils consommateurs soumis aux diktats des marchés, des citoyens à l'imaginaire atrophié, des exécutants qui ne remettront pas en cause l'ordre établi, des électeurs dociles amputés d'esprit critique ? Pire, mille fois pire, celui de les dégouter de la lecture ?

Quel gâchis d'imposer ce genre de lecture quand des romans tels que « nous » n'attendent qu'à être lus, discutés, critiqués ? Car oui ce roman fait partie des tous grands, de ceux qui appellent à la discussion, au débat, à l'argumentation. le roman de Zamiatine suscite la réflexion, aiguise l'esprit critique et entremêle différentes domaines de connaissance. Et ça, c'est tellement rare, cette joyeuse transversalité !

Alors si j'étais professeur de français, je m'associerais avec le professeur de philo, avec le professeur de mathématique et/ou de physique et avec le professeur d'histoire. Ensemble, on replacerait ce roman dans le contexte historique (pas neutre quand même ici …), on confronterait la vision de l'avenir d'un homme des années 1920 à notre actualité, et à notre vision de l'avenir. On démasquerait les syllogismes, contre-vérités et sophismes qui pullulent dans ce livre, on construirait une argumentation solide pour les démonter … On s'interrogerait sur cette vision de la fin du monde, une vision qui rompt avec la tradition des eschatologies (enfin je ne suis pas une spécialiste en la matière) , où généralement la fin du monde est synonyme de chaos, des massacres, de désordres, de souffrance, … Ici la fin du monde est un monde ordonné à l'extrême, où le bonheur régnerait en maître partout et la souffrance serait totalement éradiquée. Un monde où il n'y aurait plus de raisons de faire la révolution.

Alors certes ce « Nous » n'est pas une lecture facile. D'abord il y a cette plongée dans un monde purement factuel, intégralement ancré dans le présent, dans la réalité, dans la causalité, dans la fonctionnalité. Un monde où le doute, l'émotion, le rêve, le fantasme sont bannis. Un monde sans musique, sans poésie, sans intimité, sans échappatoire. Un grand état supranational où la vie est programmée dès la naissance. Zéro risque, zéro accident.

Et puis Zamiatine était ingénieur et ça se ressent, évidemment. Alors peut-être que pour apprécier ce roman, il faut être sensible aux charmes des mathématiques et de la physique, y compris à leurs paradoxes. Il y a aussi cette ponctuation si particulière, ces tirets qui font tantôt office de parenthèses, tantôt de virgules, tantôt de points de suspension pour indiquer une idée interrompue. C'est assez perturbant. Était-ce voulu par l'auteur, qu'en est-il dans le roman d'origine ?

Mais une chose est sûre : avec ce roman, on ferait un vrai travail d'éducation, on armerait les citoyens de demain contre les fameuses « fake news », sujet tellement à la mode, sans débloquer des budgets supplémentaires … (en Belgique, un budget a été débloqué pour combattre les fake news, alors qu'on aurait pu injecter cette somme dans le système éducatif. Ah oui, c'est vrai, c'est beaucoup moins porteur électoralement …).

Mais voilà je ne suis pas professeur, ni responsable des programmes pédagogiques, ni femme politique ! Dommage …
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GROS COUP DE COEUR !
C'est un roman de dystopie, un des tous premiers (1923) et qui n'a pas pris une ride, il aurait inspiré George Orwell pour 1984. Je l'ai lu dans cette nouvelle traduction, sans doute plus moderne, plus vive, parfois drôle, racontée au présent. le titre est « Nous », alors que dans l'ancienne traduction c'était « Nous autres », déjà le titre est plus péremptoire, plus direct et à mon avis plus juste. L'écriture est belle, recherchée, parfois abrupte, pas toujours facile, mais s'accordant parfaitement à la pensée du personnage principal, perdu dans ses réflexions contradictoires, une écriture pleine d'images, au rythme saccadé, qui suit le fil de la pensée, une pensée qui se perd. C'est d'une grande réussite, la description d'une réflexion logique et froide, mathématique, unifiée, sans nuances qui se confronte à une pensée plus éthérée, poétique, fantaisiste, à l'intérieur même de l'esprit de notre personnage, D-503. le langage a une importance primordiale dans ce récit. À travers ce roman, c'est évidemment une critique du communisme Stalinien, de la pensée unique, mais aussi du Taylorisme capitaliste, l'aspect Science-fiction n'est alors qu'un prétexte, qu'un médium pour amener ses idées. C'est réalisé avec une grande subtilité, l'auteur parvient à se mettre de l'autre côté, l'âme poétique, le rêve, ne seraient qu'une maladie dangereuse qu'il faut absolument soigner.
Ce roman m'a littéralement transporté, surpris. Il va falloir lui faire une place sur mon île déserte.
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Tic-tac. Tic-tac.
Quel monde parfait, quelle société parfaite, quelle vie parfaite entre ces murs de verre, rythmée par la parfaite Table des temps, abritée par le Mur vert du "monde déraisonnable et informe des arbres, des oiseaux, des animaux..."
Tic-tac. Tiiiiiic… tac.
Le petit grain de sable apparaît sous la forme d'une femme différente, envoûtante.
Tic-tic-tic… Taaac.
Elle entraîne le narrateur dans des lieux insolites, dans des actions insolites. Il tombe amoureux, il perd le contrôle.
"– Ça va mal. Il s'est formé une âme en vous."
Tac-tac-tac-TAAAAC !
Elle est la rébellion.
Elle est l'opposée des femmes pneumatiques d'Huxley, elle est la Julia d'Orwell. Ou plutôt, elle est sa mère, puisque Zamiatine a écrit ce fascinant roman en 1920.
Quelle prémonition des sociétés totalitaires !
Et en même temps, c'est une oeuvre qui n'est pas un pamphlet, qui n'est pas "juste de la S-F" ou "juste une dystopie".
C'est de la littérature. C'est de la poésie.
La manière dont le narrateur évoque les formes, les couleurs, pour refléter ses émotions d'abord absentes, puis envahissantes !
La façon dont est décrite la dérive de son esprit rationnel, mathématique, qui peu à peu se distord et se fracasse !
Zamiatine a écrit un chef-d'oeuvre.
Et bien entendu il a dû fuir le régime stalinien, et bien sûr il est mort en exil.
Mais il a laissé ce monument.

Traduction de B. Cauvet-Duhamel.
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J'ai lu ce roman dans sa version gratuite, traduite de l'anglais, puisque c'est tout récemment qu'il est enfin disponible en français à partir du texte russe. Mais je ne suis pas sûre que les problèmes de traduction suffisent à expliquer mon peu de goût pour la prose zamiatinesque. Pourtant l'oeuvre est assez sidérante pour donner envie de passer outre.
Inspiration avouée d'Orwell pour "1984", cette dystopie présente toutes les caractéristiques de l'univers totalitaire: surveillance de tous par chacun, noms remplacés par des numéros, vie réglée sous l'égide d'un chef bienveillant et immuable, refus de la famille, prééminence des sciences dures (seules capables d'atteindre la vérité), expansionnisme libérateur des peuples encore opprimés, etc. On ne s'étonnera donc pas qu'il ait été censuré par son pays en 1923 (le livre ayant d'abord été édité en Angleterre).
Oui mais bon. Ce roman qui semble si évidemment décrire le totalitarisme stalinien a été terminé en 1920. 1920! Il fallait quand même être sacrément doué pour déceler l'URSS de la belle époque (si j'ose dire) en pleine tourmente révolutionnaire.
Google mon ami m'apprend que Zamiatine avait déjà écrit "Les Insulaires", satire de la bourgeoisie anglaise (il construisait des navires russes en Angleterre), de son conformisme et du machinisme; or Taylor est un des guides de la dictature rationnelle dénoncée dans "Nous autres". Taylor, l'homme qui a inventé l'organisation scientifique du travail, déclaré la guerre à la flânerie... et qui marqua durablement Lénine.
La fameuse phrase "Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme; le communisme c'est le contraire" m'a toujours semblé d'une sagesse indépassable. Les poètes prolétariens de l'époque révolutionnaire chantaient l'usine et le collectif, l'homme mécanique aussi puissant que la machine. Et Zamiatine, ingénieur amoureux des lettres, révolutionnaire qui avait eu l'occasion de se frotter au capitalisme, était bien placé pour comprendre à quoi pouvait aboutir la fascination pour le pire des deux mondes.
Il fut moins visionnaire que témoin lucide des utopies nées de la révolution industrielle. Même s'il ne proposa pour contrer l'homme futur que la femme-amante-et-mère (OMG!), Zamiatine mérite d'être lu et placé au panthéon des esprits libres.
(Pour aller plus loin: https://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1981_num_22_2_1910)
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Beaucoup a été dit sur l'aspect précurseur, visionnaire de "Nous autres". Et c'est vrai qu'on ne peut être que bluffé par l'intelligence et la pertinence du propos et par la qualité de l'écriture.

La forme de journal est une bonne idée et permet de pénétrer la psyché du héros, de suivre son évolution en temps réelle. D'ailleurs, Zamiatine décrit finalement assez peu le contexte social pour centrer son récit sur son personnage principal. Celui-ci, fourmi parmi les fourmis d'une société hyper rationaliste, mécanisée va se découvrir une individualité. le héros va hésiter entre repousser ou s'ouvrir à ce sentiment nouveau qu'il sent vivre en lui, cette soif de liberté, cette faim de vivre. Ce combat intérieur est passionnant.

Nous autres est un chef d'oeuvre de la littérature de dissidence. C'est aussi un roman qui possède d'indéniables qualités littéraires. J'ai été étonnée par la modernité du style.
Le récit est empreint d'une grande poésie. Ainsi, par exemple, l'opposition entre la société mathématisée, automatisée et le monde du dehors, sauvage et primitif donne lieu à des passages à la fois naïfs et touchants.
Quant à l'histoire d'amour entre d'et I, elle est tout sauf mièvre. Véritable dissection du sentiment amoureux, cet aspect du roman offre de très beaux passages.
Zamiatine mène parfaitement son récit jusqu'à un dénouement désespéré qui broie le coeur.
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