Depuis quelque temps, je lis la poésie de Zanzotto - en m'aidant plus de la traduction de Philippe di Meo que du texte original, tant ce poète contemporain me déconcerte, m'interroge, me surprend par son originalité d'esprit et par celle de sa langue, mêlée de dialecte vénitien et souvent de graphismes proches du signe cabalistique..
Quand un univers désarçonne, il est parfois bon, avant de l'évaluer ou d'en rendre compte, de chercher un terrain d'entente, afin de tenter d' apprivoiser ce qu'il peut avoir de déstabilisant. Celui de la critique littéraire permettait de parler d'un lieu plus familier,supposé connu: la poésie des autres.
D'autant que les essais critiques de Zanzotto se présentent comme de courts chapitres sur les poètes italiens que je préfère et sur quelques poètes français que je chéris aussi particulièrement.
Bonne pioche!
L'esprit, l'abord et l'analyse de Zanzotto ont la même complexité, la même surprenante originalité que sa poésie mais quand on connaît d'où il parle, tout prend un sens, un éclairage passionnant.
Ses pages sur les fléchettes légères de Sandro Penna ancrées dans un Eros pudiquement estompé mais si tragique, au fond, ou sur la vaillance de Michaux engagé dans une lutte à mort contre les drogues pour leur arracher leur secret, les exorciser , les objectiver et revenir à la nudité d'une certaine humanité menacée par le néant, m'ont paru d'une justesse confondante.
Et en même temps , quand un grand poète parle d'autres poètes, il nous livre beaucoup plus qu'une analyse, qu'une vision: une vraie friction de deux univers poétiques, arrachant et livrant ainsi un petit morceau de sa sensibilité, à lui, Zanzotto.
Voici un livre compact, difficile, sans aucun doute, à déguster par petites tranches, en feuilletant aussi les textes des poètes mis sur la sellette. Mais qui offre un regard décapant, neuf, personnel et qui aide à VOIR, en quelques pages, ce que tous ces grands noms de la poésie italienne ou française ont d'unique.
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Pour Sandro Penna
Avec Penna, nous pénétrons dans le vagabondage constitutionnel de l'éros, dans son cheminement ponctué de blessures, qui cependant en pareil cas semblent davantage issues des fléchettes d'une sarbacane que de flèches capables d'infliger des plaies mortelles. Saintsébastien (sic) très étrange, perdant en chemin les petites flèches dont il souffre néanmoins intensément, évoluant toujours dans le risque, mais réconforté par une ressource d'astuce ( pourrions-nous presque dire) et de résignation, de manière à exorciser les tourbillons tragiques, toujours latents dans ces régions, Penna libère ses poésies au vent telles des bulles veloutées, ou, mieux, comme les pellicules d'une mue ou d'une cicatrisation dans laquelle ses innombrables blessures et égratignures s'attestent et dans le même temps s'évanouissent. Mais la tragédie tisse tout l'arrière-plan.
Henri Michaux
L'agressivité de Michaux se révèle donc comme une réponse , une compensation, une défense jaillissant presque à cause d'un réflexe nerveux. Il apparaît que le matériau pourri avec lequel Michaux bâtit ses "propriétés" ( "mes propriétés") , peuples, animaux, mots, fantômes ( avec des opérations analogues à celles de Kafka ou Borgès) , constitue d'ores et déjà une sorte de butin arraché lors d'une victoire sur un ennemi provisoirement en retraite, mais toujours prêt à attaquer de nouveau. Mots et signes viennent donc se situer sur un terrain frontalier incertain et ils sont le tracé produit par la friction de deux forces opposées; ils sont , d'une part, justement lisibles comme des éléments distordus depuis le néant, ils en signalent la présence, y font allusion, et, de l'autre, ils se profilent comme les formules, momentanément seyantes, qui l'ont tenu en échec. On aurait dû trouver le silence et, non, c'est tout le contraire, quelque chose s'avance.
Henri Michaux
En fait, tout le travail de Michaux peut aussi apparaître , d'un certain point de vue, non seulement comme une "lutte contre" mais également comme un énorme rideau de fumée, presque comme si tous ses ectoplasmes voulaient cacher "quelque chose" ( tout en y faisant allusion par un jeu de renvois complexes), quelque chose de très privé, enfoui dans sa psyché.
Avec Antonella Anedda, Michel Deguy, Jacques Demarcq, Benoît Casas, Andrea Inglese, Sophie Loizeau, Valerio Magrelli, Claude Mouchard, Guido Mazzoni & Martin Rueff
Andrea Zanzotto est né il y a cent ans et mort il y a dix. Ce double anniversaire, marqué par d'importantes publications posthumes, Erratici, disperse e altre poésie (1937-2011 – Francesco Carbognin éd., Mondadori, 2021), Traduzioni, trapianti, imitazioni (Giuseppe Sandri éd., Mondadori, 2021) est l'occasion de nombreuses célébrations en Italie comme en France. Dans le cadre d'un colloque de trois jours, « Zanzotto europeo, la sua poesia di movimento » (25-27 novembre 2021), organisé par Giorgia Bongiorno, Laura Toppan, Andrea Cortellessa et Martin Rueff, la Maison de la Poésie accueille cette soirée exceptionnelle. Des poètes de France et d'Italie évoqueront la figure d'Andrea Zanzotto, l'importance de son oeuvre, la fécondité de son héritage.
Le programme du colloque est consultable sur le site de l'Institut Culturel Italien
À lire – Andrea Zanzotto, Venise, peut-être, trad. de l'italien par Jacques Demarcq et Martin Rueff, éd. NOUS, 2021.
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