AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,36

sur 4723 notes
Peut-être que le mot « chef d'oeuvre » est excessif et doit être réservé aux romans de Zola, Hugo ou Balzac. Peut-être…
Alors, je vais essayer de vous parler d'un livre magistral, un livre qui habite longtemps le lecteur avec des personnages qui au fil des pages deviennent des compagnons de route pour lesquels on a de la tendresse, qui vous font vibrer et partager leurs souffrances, leurs amours, leurs vies.

Ce livre, c'est « L'art de perdre » d'Alice Zeniter, une saga familiale foisonnante qui débute dans l'Algérie des années 30.
Dans la première partie, nous rencontrons Ali qui, dans sa Kabilie natale, semble promis à un avenir bouché à se casser le dos à essayer de cultiver une terre rocailleuse jusqu'à ce qu'un jour, comme un cadeau du ciel, un pressoir charrié par la rivière croise sa route, manquant de peu de l'estropier.
Dès lors, sa vie se transforme, Ali se lance dans la culture des oliviers et produit de l'huile, les affaires sont florissantes.
Mais ce que l'on appelle pudiquement « les évènements » sont en marche et le destin de bien des hommes et celui d'Ali devenu Harki va basculer, jusqu'à ce qu'un bateau l'emmène sous d'autres cieux.

Dans la deuxième partie, Ali essaie de survivre avec sa famille dans un camp à Rivesaltes et Hamid, son fils va poser des questions qui resteront sans réponse. le père à jamais blessé, garde le silence. Un fossé d'incompréhension va se creuser peu à peu.

Naïma, la petite fille d'Ali, vit heureuse à Paris, jusqu'à ce que les attentats de 2015, l'obligent à se poser des questions sur le passé de sa famille dont elle ignore tout.

Il y a beaucoup d'émotion et d'amour dans ce livre, même si les sentiments restent muets, faute de mots pour dire je t'aime ou je te comprends.

Ce roman poignant évoque avec subtilité et émotion les destins brisés par L Histoire et l'irrationalité des hommes, les séquelles de la colonisation, l'exil, le déracinement, le lourd poids de l'héritage familial mais aussi la force de l'amour filial.

La plume d'Alice Zeniter est élégante, tour à tour musicale et brutale. J'ai tourné les pages avec passion. La fin du livre m'a tiré des larmes.
Et j'ai relu ce livre, à haute voix, cette fois-ci, pour en partager l'émotion avec un proche qui a perdu la vue.
L'oralité transcende la beauté de l'écriture et cette relecture me bouleverse.

Alors « Chef d'oeuvre » ? Oui, je crois que ce roman mérite ce qualificatif.


Commenter  J’apprécie          39629
Extraordinaire récit que cette saga d'une famille kabyle des années 30 à aujourd'hui.
Avec pour point de départ, Naïma, "immigrée" de troisième génération, qui ne connaît rien de son passé, Alice Zeniter fait valser avec maestria les personnages de son roman, tour à tour français, algériens ou harkis. L'idendité, le rapport de la France avec ses anciennes colonies, sont présents à chaque page et nous donne à voir un tableau saisissant de la société française d'aujourd'hui.

Lu en juin 2017
Commenter  J’apprécie          2199
Ecrire comme un exutoire pour apaiser, sans oublier,
Un roman où explose des vérités assassines,
Des vérités fratricides obombrées par l'écriture romancée…

Et en complément…
Le 6 septembre 1962, deux mois après la reconnaissance officielle par la France de l'Indépendance de l'Algérie , la vie d'un petit village bas-alpin , au pied de la montagne de Lure, ONGLE , 237 habitants, va renaître grâce à l'accueil du maire , Monsieur André Laugier et son adjoint Monsieur Raymond Reybautd, de vingt-cinq familles de réfugiés harkis, majoritairement originaires de la région de Palestro (aujourd'hui Lakhdaria) en Kabylie, 133 personnes parmi lesquelles les grands-parents et le père d'Alice ZENITER qui vont séjourner dans ce hameau de forestage jusqu'en 1966.
Ce rapatriement épique a été possible grâce à la pugnacité de l'ancien officier de Section administrative spéciale (SAS), le lieutenant DURAND , qui s'est occupé, avec son épouse, de l'exfiltration et de l'accueil de cette communauté. Après avoir transité dans une ferme près de Palestro, le camp de Tefeschoun (aujourd'hui Khemisti), puis Alger et enfin ,Marseille, ces familles, oh combien démunies, passent l'été au camp de Millau dans le Larzac . Elles sont dirigées vers les Basses-Alpes, où elles sont attendues, le préfet de ce département ayant accordé l'autorisation administrative de séjour. Jusqu'alors les longues prospections sont restées stériles, ainsi, le préfet de Vaucluse, Jean Escande (celui- là même qui assista aux obsèques de Camus) s'opposa formellement à l'installation d'une arrivée massive de français musulmans dans son département susceptibles de générer des incidents...
C'est finalement dans ce petit bourg en voie de dépeuplement que ces familles trouvent refuge début septembre. Les hommes deviendront ouvriers forestiers. Pendant que les harkis construisent leur hameau, les familles campent sous des tentes militaires. La population locale et les nouveaux venus ne se fréquentent pas, jusqu'à ce mois de novembre où une violente tempête de neige dévaste les installation précaires. Et là, la solidarité des habitants va être exemplaire : ils vont secourir les malheureux en les recueillant chez eux, dans les granges , en leur offrant réconfort et chaleur. En décembre 1962, la construction du hameau de forestage est achevée.
L'arrivée des familles de harkis a permis de sauver l'école de la commune. Un journal de l'époque décrit d'ailleurs les harkis comme de « vrais gars du pays ». A la fermeture du centre de forestage en 1965, certains iront à Cannes, d'autres resteront dans le département, d'autres s'installeront ailleurs.
La Maison d'Histoire et de Mémoire d'Ongles (MHeMO) a été ouverte en 2008 .Une exposition permanente intitulée Ils arrivent demain, conçue avec l'aide des historiens Jean-Jacques Jordi et Abderahmen Moumen. relate l'épopée du lieutenant Yves Durand qui démissionna de l'Armée pour pouvoir ramener des anciens supplétifs en France. Elle montre l'évolution de leur situation, puis la transformation du hameau de forestage en centre de formation professionnelle à l'intention des descendants d'anciens harkis, jusqu'en 1971.
Commenter  J’apprécie          20027
En refermant ce beau livre en mouvement , l'on se dit qu'il va vivre en nous longtemps......longtemps, à travers le récit historique bouleversant, foisonnant , passionnant, prenant et vivant de bout en bout, écrit par une petite fille de harkis, qui ravive la mémoire d'une famille d'Algérie, transplantée, ballotée de 1930 à aujourd'hui ! Une histoire restée sous silence !


J'avais lu " -Sombre-dimanche" qui contait les sinistres existences hongroises avant et après le communisme, une histoire des Peuples aussi et "Juste-avant-l'oubli"de cet auteur .

Ici, en embrassant le passé, elle l'habite vraiment et rassemble les chaînons de son histoire familiale avec brio, sensibilité, doigté, en refusant toute conclusion facile , d'une manière pleine et rayonnante , juste aboutie.......

Elle met en scène la violence des relations France-Algérie qu'elle va suivre à la trace sur trois générations et conte courageusement en pages nourries d'un matériau riche à la fois historique et sociologique le destin , des Zekkar, cette famille d'immigrés , arrivée en métropole, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie.


Lors de la 1ère partie est retracée avec exactitude le parcours de son grand- père, Ali, petit propriétaire terrien et notable, devenu harki, presque malgré lui .
Pour sauver sa peau et celle de ses proches, il quitte son pays , se réfugie dans une France froide et peu accueillante , qu'il ne comprend pas .
Ali, Yema et leurs enfants se retrouvent parqués, brutalement déclassés , pendant des mois , dans un camp de transit , une espéce de bidonville, tout près de Perpignan, avant d'atterrir dans une cité HLM de Normandie .
Hamid, , leur fils aîné intériorise avec force leur chagrin et leur honte tout en les aidant à pallier à leurs difficultés , à sa manière .
Avec exactitude, romanesque, un sens pictural très aigu des situations fortes,des rencontres et affrontements poignants , l'auteur conte la tragédie de ces sacrifiés de l'histoire , elle le fait sans préjugés ni certitudes absolues, une saga aux allures de dérisoire Épopée.
Elle magnifie ces déchirements intimes, cette culpabilité mortifère d'une communauté bannie des siens, le silence et la peur , le repli où elle se réfugie , un fardeau qui pèse sournoisement sur elle.

Trois parcours foisonnants et passionnants se croisent : la petite fille, le fils, le père , le patriarche, trois manières d'être au monde et de revendiquer son statut d'homme ou de femme.
Trois pans d'histoire pétris de culture arabe et française, Naima, la fille d'Hamid a peur de faire des fautes de français et qu'on l'assimile aux terroristes!
S'alléger, accepter de perdre, renoncer à la haine, se délivrer du jugement des hommes: "Dans -L'art-de-perdre, il n'est pas dur de passer maître ", refuser les conclusions simplistes et les pensées toutes faites ! Se réconcilier avec soi !
C'est le pari que réussit l'auteur !
Un roman magnifique à la fois violent et mélancolique, sur l'immigration et l'identité de la France d'hier et de maintenant, impeccable de maîtrise, à la beauté affûtée que chacun devrait lire!
Un excellent moment de lecture !
J'ai eu la chance d'apercevoir l'auteur à "La Grande Librairie ", pédagogue, belle et concentrée , habitée par son sujet .....
Merci à Marie , ma libraire de" La Taverne du Livre" à Nancy..
Ce n'est que mon humble avis, bien sûr .


Commenter  J’apprécie          19329
Parce que personne ne lui en a parlé, Naïma pendant longtemps ne connaît que peu de choses sur sa famille et sur l'Algérie - son pays d'origine mais pas de naissance. Ali, son grand-père enrichi dans le commerce des olives et devenu harki avec la guerre d'indépendance, disparaît avant de lui parler. Sa grand-mère Yema ne parle qu'arabe, une langue que Naïma ignore. Son père Hamid préfère taire l'histoire familiale, honteux de son propre père.

Ali, Hamid, Naïma, les représentants de trois générations d'une famille kabyle ballottée par l’Histoire, séparés culturellement par les conséquences de la guerre qui libère de la colonisation ; pour Ali et sa famille, l'exil forcé avec la perte d'identité et l'invisibilité dans les camps de harkis puis dans un HLM normand, pour Naïma, née en France d'une mère française, la barrière de la langue et de la culture. Pour chacun, l'art de perdre en partie sa culture, de celle qui fait le ciment et le lien entre les membres d'une famille, mais aussi pour Naïma la possibilité de se détacher d'un héritage trop lourd pour s'autoriser à être soi.

Alice Zéniter signe ici un roman saisissant sur les harkis et leurs descendants. Leur histoire racontée avec poésie et réalisme par cette jeune et brillante auteure est vibrante et touchante.
Commenter  J’apprécie          1578
L'on dit qu'en cas d'exil, la première génération n'est que déchirement, la seconde désir d'oubli et d'intégration, mais que la troisième brûle de renouer avec ses racines, en tout cas de retracer l'histoire familiale. C'est ce que semble confirmer Alice Zeniter, petite-fille de harkis, dans ce roman largement autobiographique. Naïma, jeune française d'origine kabyle, tente de reconstituer le passé de son grand-père Ali et de son père Hamid, dans ce qui s'avère une entreprise compliquée : le premier n'est en effet plus de ce monde, et le second n'est que silence obstiné lorsqu'il s'agit de son enfance algérienne et des circonstances qui ont mené les siens à tout quitter pour la France.


Des rudes mais paisibles montagnes kabyles à la relégation dans les cités de banlieue françaises, en passant par la guerre, ses impostures et ses trahisons, puis par les camps de transit où certains ont croupi jusqu'à quinze ans dans des conditions de vie épouvantables, c'est une fresque historique passionnante, en même temps qu'une saga familiale d'une émouvante authenticité, qui nous plonge dans la détresse des harkis - rejetés comme « traîtres » par l'Algérie, mal accueillis comme immigrés indésirables par la France - et dans le désarroi de leurs descendants, encore aujourd'hui ostracisés en même temps que l'ensemble des « Arabes » dans une société française en proie à des débats identitaires.


Face aux lacunes laissées béantes par les non-dits de son histoire familiale, l'auteur, alias Naïma, explore les recoins de l'Histoire officielle, mettant au jour des ombres et des complexités ignorées. Des sombres réalités de la colonisation à la guerre d'indépendance, des manipulations politiques aux terribles massacres perpétrés de part et d'autre, l'on se retrouve aux côtés de pauvres gens transformés, malgré eux et par d'aléatoires enchaînements de circonstances, en fétus balayés par des vents qui les dépassent, et qui les chassent bientôt, après les avoir écartelés entre des choix impossibles, vers une zone grise infernale, épicentre de toutes les hontes et humiliations.


Parias sans pays, les parents et grands-parents de Naïma auront préféré enfermer l'Algérie dans le double-fond secret d'une nouvelle existence malheureuse, se gardant d'en transmettre la moindre bribe. Sans cesse renvoyée à ses origines par le regard d'autrui, la très française Naïma se retrouve pourtant elle aussi dans un déstabilisant entre-deux qui la jette dans une quête identitaire. Et c'est une narration pleine de vie et d'émotions, peuplée de personnages attachants, creusés en profondeur, qui nous emporte, dans un grand souffle où se mêlent exactitude et romanesque, vers une fin ouverte sur une possible réconciliation avec soi, et, peut-être, entre les deux rives de la Méditerranée.


Un grand roman, porté par une belle écriture très picturale, sur l'art de perdre que, sur plusieurs générations, l'on apprend dans l'exil, et un coup de coeur équivalent à celui ressenti pour un autre récit d'une petite-fille de harkis : le tailleur de Relizane d'Olivia Elkaim.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          11020
Ce roman habité ressemble à un long cri enfiévré, parfois de tristesse résignée, parfois de colère révoltée. Il fait le lien entre la guerre d'Algérie, l'immigration forcée et notre société, à travers une saga familiale sur trois générations. Une famille à l'origine algérienne, marquée du sceau du déracinement. Ali le grand-père prospère avec son pressoir à olives tombé du ciel en Kabylie. Hamid le fils construit sa vie entre exil, camp de Rivesaltes, intégration française. Naïma la petite-fille se débat en France contre la chape de silence, rempart de famille.
Un récit toujours au présent comme un coup de poing permanent, sans la saveur romanesque du passé simple imparfait qui éloigne tant de la réalité. L'emploi du présent inscrit le passé dans les gestes quotidiens, empêche de se dire que c'est fini tout ça, au contraire les étages générationnels se mêlent pour ne former qu'une histoire troublée, inscrite dans les gênes harkis de Naïma sans qu'elle sache trop pourquoi.
"Ils taisent leur histoire individuelle et ses complexités, ils acceptent en hochant la tête une version simplifiée qui finit par entrer en eux, par recouvrir la mémoire et quand leurs enfants voudront creuser en dessous ils découvriront que tout a pourri sous la bâche de l'amour sans faille et que les vieux disent qu'ils ne se souviennent plus.".

Il y a dans ce récit comme une urgence à dire les choses pour le narrateur, à les lire pour le lecteur.
J'ai été scotché par la puissance de ce roman (comme beaucoup d'autres lecteurs ici).
Commenter  J’apprécie          986
C'est avec beaucoup de sentiments négatifs que j'ai abordé le début de ce roman : de la répugnance, à parcourir une fois de plus le récit des exactions des fanatiques de tous poils, de l'aversion pour ses scènes qui , bien que maintes fois lues ou vues, provoquent toujours cette nausée, comme le font celles qui évoquent les horreurs de la shoah. Pas question dans cet épisode de l'histoire de prendre parti, sinon contre celui de la violence extrême « justifiée d'idoles » ou d'utopies qui sont autant de passeport pour exhumer la nature bestiale de l'humanité. Malgré tout Alice Zeniter, au-delà de l'évocation de l'insoutenable , parvient à bien mettre en évidence l'absurdité du destin de ceux qui ont fait le choix qu'ils croyaient juste, qui en furent glorifiés pour devenir des parias apatrides.

Puis vient départ de ce pays auquel la famille doit renoncer , tant la menace est grande et la peur omniprésente. le chagrin est d'autant plus lourd que ce qui s'efface peu à peu au rythme de la progression du ferry qui s'éloigne, c'était la réussite sociale, la gloire éphémère du héros, la vie en famille, l'espace et un destin choisi.

C'est là que le récit devient captivant , et riche de faits qui n'ont pas été étalés à la une des médias de l'époque. Il n'y a en effet pas de quoi être fier : avoir utilisé ces hommes à des fins de stratégie militaire, au péril de leur vie, pour les délaisser , eux et leur famille, , en proie a des conflits de loyauté insolvables , et dans des conditions de vie quotidienne que l'on réserve plutôt à des criminels, pour aboutir au final dans celui fut la genèse des « quartiers », n'a rien de glorieux.

C'est la dernière partie qui est la plus remarquable : Naïma , née en France, d'un père qui a oublié, dans un processus d'auto-protection, finit par retourner sur la terre de ces ancêtres.
Si Naïma naît sous la plume pour exister au nom d'Alice Zeniter, qui s'est inspirée de la vie de sa propre famille pour écrire ce roman, elle fait partie d'une galerie de personnages dont le portrait est élaboré avec finesse et subtilité, pour le plus grand bonheur du lecteur.

Um mot pour mentionner le magnifique poème d'Elisabeth Bishop qui a inspiré le titre.

Les lycéens ont encore une fois élu un ouvrage brillant, et nécessaire.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          910
Pour qui (comme moi) n'avait cerné que de très loin la question algérienne au temps de la France coloniale, L'Art de perdre fait résolument office de rattrapage express.

Une fiction qui retrace en effet la réalité historique, mais plus encore puisqu'à travers le destin d'une famille kabyle disloquée par la guerre d'indépendance, le récit se double d'une analyse psychosociologique intéressante et nouvelle. Ainsi la succession des événements et leurs répercussions sur plusieurs générations sont-elles relatées de l'intérieur, sans parti pris aucun, offrant la parole à ces algériens contraints au dilemme d'une tragique alternative entre occupant français et mouvements nationalistes. Charybde ou Scylla, fais ton choix camarade, dans tous les cas ce sera loin d'être la fête au village.

Ce long et pénible voyage dans le passé parle donc de choix, de racines et d'exil, et paradoxalement de silence, ce silence douloureux et incompris qui souvent s'impose en guise de résilience.

Un témoignage édifiant et tristement d'actualité pour tenter d'appréhender le thème de l'émigration en général et des harkis en particulier, si bien occultés dans nos livres d'Histoire, comme par hasard.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
Commenter  J’apprécie          832
L'histoire d'une famille sur trois générations : Ali, Kabyle, qui vit dans son village et son oliveraie, lorsque commencent ce qu'on appellera les « Événements d'Algérie ». Ayant combattu pendant les deux guerres mondiales dans l'armée française, il choisit son camp, bien malgré lui, car il est fier de ses médailles militaires, s'oppose aux militants du FLN, et au final doit fuir avec sa famille laissant tout sur place.

On voit évoluer Ali, entre ses déchirures : perte de son pays, de sa propriété, de son statut social, et l'oubli qu'il cherche dans le travail répétitif de l'usine.

Puis l'arrivée en France dans le camp de Rivesaltes et les conditions de vie inhumaines, où l'on devient moins que rien, la promiscuité, la violence et les neuroleptiques pour les plus récalcitrants…

Ali se mure dans son silence concernant son passé et ce silence va se perpétuer dans les générations suivantes.

On note aussi la perte du statut de parents, de l'autorité de père : « ce serait contraire à l'ordre des choses qu'un fils décide au lieu d'obéir – c'est ce qu'on lui a toujours appris. Pourtant, depuis qu'ils sont en France, son père lui délègue une partie croissante de ses pouvoirs » P 261

Alice Zeniter parle aussi très bien de la honte de Hamid lorsqu'il compare le travail de son père par rapport à celui des autres enfants, le malaise qu'il ressent en les écoutant parler. Avec le statut, il y a aussi la langue qui se perd d'une génération à l'autre. Pour bien maîtriser le français, il faut « oublier » la langue maternelle.

Son père attend de lui l'obligation d'excellence à l'école, dans la vie, que son père exige de lui pour qu'il mène une autre vie que lui.

Toujours Hamid se demandera ce que son père a pu faire pour que la famille soit obligée de fuir l'Algérie, abandonner la maison et les oliviers… comment faire le deuil de quelque chose qu'on ne connaît pas, qu'on ne peut qu'imaginer.

Sa rencontre avec Clarisse qui n'a jamais eu à s'affirmer à travers ses choix : « Clarisse a la liberté de ceux à qui jamais on n'a dit qu'ils devaient être les meilleurs mais qu'ils devaient trouver ce qu'ils aiment » P 306

La troisième génération, avec Naïma qui se pose des questions, cherche ses racines, et veut aller à la découverte de l'Algérie, alors qu'Ali a fait une croix sur le pays perdu, et encore plus Hamid qui réfute toute idée de racines.

J'ai aimé mettre mes pas dans ceux de Naïma, suivre sa réflexion (et celle d'Alice Zeniter en fait), sa manière de réagir face à la perte de ce pays sur lequel toutes les projections sont possibles, sans oublier le poids des non-dits, ce silence assourdissant qui règne parfois.

« le silence n'est pas un espace neutre, c'est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. » P 311

Ce livre est un coup de coeur, le seul vrai coup de coeur de cette rentrée pour l'instant (« Cette chose étrange en moi » d'Orhan Pamuk en était presque un). Alice Zeniter m'a fait entraînée dans ce voyage initiatique à travers cette famille dont j'ai aimé tous les personnages, tous les lieux, même les plus sordides.

J'ai appris des choses, retrouvé d'autres que j'avais oubliées car je connaissais très mal les « Évènements d'Algérie » pour employer l'expression consacrée et notamment sur ce qu'ont vécu les Harkis. L'auteure m'a donné envie d'approfondir. Sa réflexion sur les attentats, et surtout les similitudes dans les manières de procéder entre FLN et Islamistes (P 376 377) est très intéressante.

Un tout petit bémol : j'aurais aimé qu'elle parle plus de Hamid adulte…

Ce roman a reçu le prix Goncourt des lycéens avec lesquels je suis souvent beaucoup plus en phase qu'avec les choix de l'Académie Goncourt !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          803





Lecteurs (10223) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1428 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..