L'histoire d'une famille sur trois générations : Ali, Kabyle, qui vit dans son village et son oliveraie, lorsque commencent ce qu'on appellera les « Événements d'Algérie ». Ayant combattu pendant les deux guerres mondiales dans l'armée française, il choisit son camp, bien malgré lui, car il est fier de ses médailles militaires, s'oppose aux militants du FLN, et au final doit fuir avec sa famille laissant tout sur place.
On voit évoluer Ali, entre ses déchirures : perte de son pays, de sa propriété, de son statut social, et l'oubli qu'il cherche dans le travail répétitif de l'usine.
Puis l'arrivée en France dans le camp de Rivesaltes et les conditions de vie inhumaines, où l'on devient moins que rien, la promiscuité, la violence et les neuroleptiques pour les plus récalcitrants…
Ali se mure dans son silence concernant son passé et ce silence va se perpétuer dans les générations suivantes.
On note aussi la perte du statut de parents, de l'autorité de père : « ce serait contraire à l'ordre des choses qu'un fils décide au lieu d'obéir – c'est ce qu'on lui a toujours appris. Pourtant, depuis qu'ils sont en France, son père lui délègue une partie croissante de ses pouvoirs » P 261
Alice Zeniter parle aussi très bien de la honte de Hamid lorsqu'il compare le travail de son père par rapport à celui des autres enfants, le malaise qu'il ressent en les écoutant parler. Avec le statut, il y a aussi la langue qui se perd d'une génération à l'autre. Pour bien maîtriser le français, il faut « oublier » la langue maternelle.
Son père attend de lui l'obligation d'excellence à l'école, dans la vie, que son père exige de lui pour qu'il mène une autre vie que lui.
Toujours Hamid se demandera ce que son père a pu faire pour que la famille soit obligée de fuir l'Algérie, abandonner la maison et les oliviers… comment faire le deuil de quelque chose qu'on ne connaît pas, qu'on ne peut qu'imaginer.
Sa rencontre avec Clarisse qui n'a jamais eu à s'affirmer à travers ses choix : « Clarisse a la liberté de ceux à qui jamais on n'a dit qu'ils devaient être les meilleurs mais qu'ils devaient trouver ce qu'ils aiment » P 306
La troisième génération, avec Naïma qui se pose des questions, cherche ses racines, et veut aller à la découverte de l'Algérie, alors qu'Ali a fait une croix sur le pays perdu, et encore plus Hamid qui réfute toute idée de racines.
J'ai aimé mettre mes pas dans ceux de Naïma, suivre sa réflexion (et celle d'
Alice Zeniter en fait), sa manière de réagir face à la perte de ce pays sur lequel toutes les projections sont possibles, sans oublier le poids des non-dits, ce silence assourdissant qui règne parfois.
« le silence n'est pas un espace neutre, c'est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. » P 311
Ce livre est un coup de coeur, le seul vrai coup de coeur de cette rentrée pour l'instant («
Cette chose étrange en moi » d'
Orhan Pamuk en était presque un).
Alice Zeniter m'a fait entraînée dans ce voyage initiatique à travers cette famille dont j'ai aimé tous les personnages, tous les lieux, même les plus sordides.
J'ai appris des choses, retrouvé d'autres que j'avais oubliées car je connaissais très mal les « Évènements d'Algérie » pour employer l'expression consacrée et notamment sur ce qu'ont vécu les Harkis. L'auteure m'a donné envie d'approfondir. Sa réflexion sur les attentats, et surtout les similitudes dans les manières de procéder entre FLN et Islamistes (P 376 377) est très intéressante.
Un tout petit bémol : j'aurais aimé qu'elle parle plus de Hamid adulte…
Ce roman a reçu le prix Goncourt des lycéens avec lesquels je suis souvent beaucoup plus en phase qu'avec les choix de l'
Académie Goncourt !
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