Ce roman, largement autobiographique, de Xianliang Zhang met en scène un prisonnier politique dans les camps de rééducation chinois, suite -visiblement- à un poème "de droite"... le lecteur est plongé assez abruptement dans le microcosme de la rééducation par le travail et de l'autoflagellation face à un appareil étatique à la fois immuable et en même temps fort fragile (vu qu'il bouge au gré des purges et des disgrâces).
Le sujet est multiple, me semble-t-il. Est-ce un pamphlet contestataire, contre-révolutionnaire pour reprendre des termes fort prisés dans le roman, déguisé en histoire d'amour? Ou l'inverse?
L'auteur fait évoluer son personnage principal sur plusieurs dizaines d'années. le roman se divise grosso modo ainsi en 3 périodes. Au terme de la première, le personnage principal entrevoit une femme nue, se baignant à l'écart. L'émoi est considérable, on peut le comprendre. Il rencontre cette femme de nouveau, l'épouse et la déception est amère pour elle quand elle se rend compte de l'impuissance sexuelle (allant de pair avec l'impuissance politique) de son nouveau mari. La deuxième partie se conclut sur les capacités retrouvées du personnage principal. Hélas, l'épouse a commis un écart. C'est le prétexte que va saisir le personnage principal pour demander le divorce au terme d'un an de mariage. Il est fou dingue de cette femme, mais entrevoit que céder à une vie de couple reviendrait à abandonner ses idéaux politiques, son écriture... Sans compter la paranoïa qui s'installe, vu que de nombreux conjoints dénoncent leur mari/femme. C'est le sujet de la troisème partie. Au final, le roman se termine par une queue de poisson, le mariage n'ayant pas réellement de base légale, le divorce n'est pas d'actualité. le point d'interrogation final sur les actes futirs du personnage principal laisse entrevoir un retour à la raison... Enfin, c'est ma vision (un peu fleur bleue) de la chose, ils méritent tous les deux le bonheur.
Le bonheur, sans doute la clé du roman d'une écriture fort poétique, alternant tour à tour les propos assez directs et les figures de style alambiquées.
J'ai très moyennement accroché au départ. La distance par rapport à une littérature chinoise à laquelle je ne suis pas du tout habitué explique sans doute une partie de ma difficulté. Mais à mesure que l'on s'enfonce dans le roman, les choses s'améliorent, on se familiarise avec les personnages et avec le contexte (politique et culturel). En gros, il y a 4 romans qui s'entrecroisent:
- la vie au quotidien dans les camps: j'adhère tout à fait à l'écriture directe, brute parfois, sans précaution ni ambage. C'est vivant, et sans concession. La vie dans les rizières, le statut des prisonniers, les recours contre la disgrâce, etc.
- le climat politique général: vu que j'ai plus de 50 ans, je visualise assez bien Mao, Deng Xiaoping, Chou Hen Laï, etc. Donc les purges, les mouvements polulaires, puis contre-révolutionnaires, c'est assez bien expliqué (mais parfois j'avoue, mon manque de culture m'a enmpêché de profiter pleinement du propos).
- la philosophie chinoise et les critiques d'auteurs anciens: là, j'ai nagé en eaux profondes... Les références et allusions à des textes-clés chinois me sont passées très au-dessus de la tête.
- l'intervention du surréalisme: c'est comme cela que je qualifierai les passages où le personnage principal parle à son cheval, ou rêve éveillé et voit des créatures ou des animaux qui lui parlent et l'éclairent sur son devenir. C'est souvent drôle, bien vu, concret, bien ancré dans le réel (même si on dérive clairement dans le fantasque ou le fantastique). Les pensées du grand moreau, le cheval du personnage principal (sorte de Jimini Cricket...) sont pleines de bon sens. On a la confrontation des pensées mutliples et conflictuelles du personnage principal, tiraillé entre vivre simplement et continuer une sorte de combat contre le pouvoir.
Lecture intéressante, très éloignée de mes habitudes que je suis très content d'avoir terminé (meêm si cela m'a pris un temps assez long).
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Dans tous les mouvements politiques, le premier coup de couteau tombe toujours sur la culture et l'enseignement, puis c'est le massacre général!
Rempli de curiosité, j'écartai les tiges de roseau et jetai un regard furtif vers l'autre côté du canal. Je fus frappé de stupéfaction en voyant un être humain !
Une femme !
Une femme toute nue ! (p.59)
Depuis une dizaine d'années, leur politique obéit au précepte suivant: "mieux vaut arrêter à tort mille hommes que de laisser échapper un seul opposant". (p.178)
On prétend que l'amour, c'est le sacrifice, mais que pouvais-je lui sacrifier, moi qui n'avais rien? (p.129)
Il n'y avait plus que la beauté et la séduction de son corps plein et rond. Seule son image se dressait dans le vide, les bras croisés, mais aux épaules.
Il ne restait plus qu'elle au monde ! (p.65)