Un livre très intéressant qui nous vient du Soudan d'un auteur déjà primé en 2014 avec le prix
Naguib Mahfouz.
Nous sommes en 1969 à Hadjar Narti, un village à deux jours et demi de bus de la capitale Khartoum, près duquel s'écoule le Nil nonchalant. Ses habitants y repêchent le corps d'une jeune femme non identifiée, alors que la radio du dispensaire annonce un coup d'État militaire à Khartoum ,un des nombreux coup d'état qui jalonneront l'histoire du pays dès son indépendance en 1956. Un cadavre dont personne ne sait la provenance et un destin inconnu pour le pays !
Une histoire où l'écrivain aborde une multitude de sujets concernant la politique, l'esclavage (abolie) masquée, la religion ,le sort de la femme et la priorité des intérêts de la famille sur ceux individuels, à travers des portraits très divers assez surprenants. Au village deux clans de bords politiques différents, les Nayers et les Bachir se disputent le pouvoir. Pourtant ils se marient entre eux et font souvent la fête ensemble. Leur principale ressource étant l'agriculture, leur unique intérêt commun consiste en ce que l'Etat leur fourni l'essence nécessaire pour leur culture de dattes. le reste concernant leur foi politique et religieux est assez ambigu. Une ambiguïté bien résumée par les pensées de l'aide soignant communiste qui a fuit Khartoum pour se réfugier dans ce village ignoré de tous ,
« Les choses ici semblaient ambiguës. Il ne savait pas comment distinguer précisément les bourgeois feudataires de la classe ouvrière. Qui était vraiment le peuple à Hadjar Narti ? Il avait acquis la ferme conviction qu'ils étaient tous des rétrogrades. Tous croyaient au confessionnalisme et au pouvoir fondé sur le religieux. Cependant, ils n'avaient pas l'air hostile. Ils étaient bons et calmes et aimaient passer du bon temps ensemble. Étaient-ce eux ses adversaires ? », en passant, des religieux qui boivent comme un trou.
Les portraits de femmes sont aussi assez surprenantes et ambiguës. Entre la vieille Hadja Radia, épouse du maire et First Lady du village, aussi effrayante qu'une incendie de palmeraie, Abir la jeune fille de treize ans convoitée par tous les mâles du village et qui s'offre au premier venu, Dahab sa tante, esclave affranchie, la cinquantaine, courtisane du passé, reine du présent, et les petites filles de 11-12 ans entourées de prétendants qui se manifestent en vu de les épouser, uniquement Sakina Badri la femme de Bachir Nayer sauve la donne ….Quand aux hommes souvent d'une violence inouïe, sont pour les femmes de Hadjar Narti « aussi crasseux que des semelles de chaussures, mais nul ne saurait rester pieds nus. »
Allusion aussi aux rîtes, certaines terrifiantes comme l'excision des jeunes filles et la scarification des joues des femmes , un ornement et une fierté (🧐???) .
Une prose enchanteresse, « Sakina rit gaiement, comme le murmure de la brise entre les palmiers par une fin d'après-midi. », une magnifique histoire d'amour, des sujets intéressants et instructifs, bref une lecture passionnante malgré quelques scènes assez violentes. Et si vous voulez savoir ce que signifie « se noyer dans le “Fayit Niddo Walker” », vous conseille de lire le livre et de vous y noyer avec 😊 !
« La bonne parole arrache les moustaches du lion. »
« Notre existence n'est rien d'autre que la vie passée aux côtés des bien-aimés. »