Qui se souvient de la "World Company " et ses maîtres du monde incarnés par les marionnettes à l'effigie et à la voix d'un
Sylvester Stallone, que nous offraient il y a une vingtaine d'années presque tous les soirs les Guignols de l'Info programmés en clair sur Canal ?
Pour ceux qui ont eu le bonheur d'assister à ces moments privilégiés où
Bruno Gaccio et sa "team" nous débrifaient le monde... via un PPDA ventriloqué par le talentueux
Yves Lecoq, eh bien dites-vous qu'il n'y a qu'un pas entre cette "World Company" et la vision de "l'ordre cannibale" de ce même monde que
Jean Ziegler offre à sa petite-fille Zohra en lui expliquant de manière didactique et militante... le titre de l'ouvrage se suffit à lui-même : -
le capitalisme expliqué à ma petite-fille... en espérant qu'elle en verra la fin - quand, comment, pourquoi le capitalisme en question est, selon lui - je vous laisse juge(s) - la cause de tous les maux vécus par et sur cette planète.
Reprenant la formule du dialogue "maître élève", dans un échange Candice Pangloss ; formule utilisée dans un précédent ouvrage intitulé -
La faim dans le monde expliquée à mon fils -,
Jean Ziegler répond aux questions pertinentes de la jeune collégienne Zohra sur ce capitalisme dont elle a entendu un peu parler à l'école lors des cours d'histoire ou entendu prononcer au hasard de quelques mots glanés par ses oreilles à l'écoute des propos de certains élèves plus grands se revendiquant du Marxisme... ou bien encore et surtout par son grand-père lors d'échanges avec ses parents ou très récemment durant un échange très âpre à la télévision Suisse entre
Jean Ziegler et Peter Brabeck-Lemathe, le patron de Nestlé ", la société transcontinentale de l'alimentation la plus puissante du monde".
Ainsi cette "altercation" entre l'humaniste, l'onusien globe-trotter à qui "on ne la fait plus" et "l'ogre cannibale" chantre du capitalisme honni, introduit-elle le dialogue entre l'auteur et sa petite fille.
Ce ne seront pas, vous vous en doutez, des questions à bâtons rompus qui vont ordonnancer la structure e cet ouvrage mais bien une chronologie de laquelle va découler la logique des thèmes, des questions.
Pour commencer, le grand-père va faire un historique de l'organisation sociétale du monde à travers l'histoire ... l'esclavage, la féodalité, la monarchie, la Révolution française...et la récupération opportuniste de la bourgeoisie, la société industrielle et l'avènement du capitalisme de rente avant la chute du Mur de Berlin en 1989, l'effondrement de l'Empire soviétique en 1991 et ce qui régit le monde aujourd'hui... le capitalisme spéculatif dérégulé et "fou", avec en corollaire les nouveaux maîtres du monde que sont les oligarques et leur nouvelle caste l'oligachie.
Va s'ensuivre tout un explicatif très manichéen sur le fonctionnement profondément mauvais de ce système ( je suis foncièrement en adéquation avec la thèse de Ziegler !...) et les exemples ô combien éloquents de ses conséquences toxiques.
Pour vouloir avoir la curiosité d'ouvrir ce livre, il ne faut pas être dupe et s'attendre à autre chose de ce qu'on ne pouvait qu'y trouver : un réquisitoire contre ce fléau organisationnel du monde.
Ziegler ne cherche à tromper personne.
D'emblée il annonce la couleur : " L'ordre cannibale du monde que le capitalisme a créé doit être radicalement détruit !"
On ne peut pas ne pas être plus clair...
Ce qui m'intéressait, c'était la démonstration ; elle est convaincante.
Ce que j'attendais et attends depuis longtemps, c'est... comment fait-on pour se débarrasser de ce fichu système et par quoi le remplace-t-on ?
Et là, déception !!!
Comme toujours...
Je cite la fin de l'échange.
Zohra : "- Tu ne sais donc rien du système social et économique qui doit remplacer le capitalisme ?"
Jean Ziegler : "- Rien du tout, du moins rien de précis. Mais cela ne m'empêche pas d'espérer que ce sera ta génération qui abattra le capitalisme. Et dans cette perspective, une évidence m'habite : l'action de chacun compte. Mon espérance se nourrit de la conviction du poète
Pablo Neruda : "Podran cortar todas las flores, pero jamas detendran la primavera ", ce qui signifie : " Ils pourront couper toutes les fleurs, mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps".
Un livre qui m'a permis de continuer à apprendre, à enrichir ma réflexion sur le sujet... ( exemples parmi d'autres le coltan , ce minerai qui vaut de l'or, or pour lequel les nouvelles puissances de ce monde sacrifient sans aucun état d'âme des milliers d'enfants esclaves. le noma ou nome "type de stomatite ulcéro-membraneuse et gangréneuse observée parfois chez les enfants atteints d'une maladie infectieuse grave, et caractérisée par le développement d'un ulcère gangréneux sur la face interne des joues, qui gagne ensuite la peau et s'étend progressivement, provoquant des lésions gravissimes et aboutissant en général à la mort"... précisons que la maladie du noma est essentiellement due à la malnutrition ( cf les incompatibilités fondamentales, existentielles entre
Jean Ziegler qui s'est battu toute sa vie contre la malnutrition et le patron de Nestlé qui se bat pour étendre sa sphère d'influence, son empire et l'avidité toujours croissante de ses actionnaires ) mais au final un livre qui me laisse sur ma faim ( désolé pour ce mot malheureux à cet endroit et à ce moment ! )
Car si Ziegler espère, pour ma part je ne suis pas optimiste.
Lui, part d'un postulat qui n'est pas le mien : il y a du bon dans l'homme et l'histoire est ce que nous déciderons d'en faire.
Ziegler croit en l'utopie, celle dont
Che Guevara disait : " Même les murs les plus puissants s'effondrent par leurs fissures."
Moi, je suis convaincu qu'il y a beaucoup trop de mauvais dans l'homme et que l'histoire est tragique.
Comme
Raymond Aron, je pense que "Jamais les hommes n'ont eu autant de motifs de ne plus s'entre-tuer... mais que " l'ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l'Histoire."
Et pour finir que "Le choix en politique n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable."
Ce qui ne m'empêche pas de continuer à lutter pour un monde meilleur !!!...
Une lecture que je recommande.
Elle ne peut que vous apporter.
Les passages sur notre grégarité ( exemple le Black Friday... ), notre passivité ( ce que l'écrivain turc
Nâzim Hikmet dépeignait ainsi : "Ils ont mis des chaînes à la racine de notre tête ) , sur notre aliénation ( " L'aliénation est un processus très mystérieux. Il a pour résultat que les femmes et les hommes pensent, agissent librement contre leurs propres intérêts. Il me paraît très important que tu comprennes comment fonctionne l'aliénation, car elle est l'arme principale des capitalistes pour dominer les esprits. Elle menace chacun de nous ) , voire à notre renoncement face au capitalisme triomphant et à la victoire formidable de ceux que Ziegler appelle les cosmocrates, sur l'intelligence critique des dominés.
Au final, une lecture plus qu'intéressante et à la portée du plus grand nombre.